|

Pour une politique démocratique de l’ouvrage…

Je trouve très intéressante et stimulante la perspective ouverte par la synthèse et ses apports (cf. le texte ci dessous). Je la résumerais de la façon suivante : « De l’économie, même solidaire, du travail à la politique démocratique de l’ouvrage ».

Est-ce que l’on pourrait dire : travailler moins pour œuvrer mieux.. ?

Cela m’a fait relire des textes du livre, « Pour en finir avec ce vieux monde, les chemins de la transition », en particulier le texte de Thomas Coutrot, dans cet ouvrage, introductif à la partie « prospective du travail ».

Il me semble que la préoccupation de celles et ceux qui se sont senti.es motivé.es pour participer à ces échanges était de trouver une double perspective de convergence et de politisation des alternatives porteuses de transition socio-économique et écologique, depuis des « agir » qui mettent en avant le travail du commun, la coopération, la contribution, les solidarités territoriales, l’entraide et la coopération de proximité, la sécurisation économique, notamment.

Recomposer des collectifs et faire converger ces agirs me semble devoir s’appuyer autant sur une dynamique de construction de « personnes morales », porteuses de ces valeurs de démocratie de l’ouvrage, que sur une dynamique de « politisation du temps libre », comme nous y invite le dernier numéro de la revue Mouvements, « Repolitiser le temps libre ».

Cela me semble devoir nous faire nous préoccuper autant de formes et agencements socio-économiques, comme les communs, que de processus politiques de mobilisation et d’engagement.

Mais alors on n’échappe pas à une double perspective, à la fois utopique, avec les utopies concrètes dans le cadre desquelles nous sommes mobilisés, et, à la fois, historique, par une continuité des « luttes pour la reconnaissance » et l’émancipation/libération.

Il est alors intéressant de mettre en perspective les expérimentations des alternatives en communs, autour du numérique, des plateformes, des écosystèmes solidaires et autres, avec les « mouvements » et autres actions collectives en France, en Europe, mais aussi en Amérique Latine. Les mobilisations et les formes politiques qui en naissent peuvent alors être évaluées en se référent, notamment, à des propositions comme celles d’Axel Honneth que je relis/relie aujourd’hui.

Faire converger les expérimentations, en mutualiser le sens et les avantages du point de vue du cheminement de la transition, et ce dans une perspective trans locale, suppose aussi de politiser les dispositifs d’action. Et , comme le faisait remarquer un acteur de l’économie solidaire soucieux de la convergence évoquée ci dessus, en reprenant des propos de Patrick Viveret : « Le désaccord doit amener vers un « nous » politique plus fort ».

Le sens du travail en questions

En quoi la réflexion de Pierre-Yves Gomez, évoquant « le travail mis à distance par les comportements et les attentes des nouvelles générations se traduisant par un désengagement et une indifférence à l’égard du projet à long terme des entreprises… » interpelle-t-elle les acteurs des communs, à la lumière des expériences des organisations de l’ESS ? Y a-t-il de leurs côtés une « alternative » ou, du moins, un contexte permettant de mieux « les comprendre pour les attirer, les intéresser et, dans le meilleur des cas, les fidéliser » ?

S’agit-il uniquement d’une question mettant en cause l’attitude des jeunes générations ou, plus globalement, d’une perte de sens dans la relation même au travail, d’une moindre la mobilisation des salariés, d’engagement dans l’entreprise, voire dans les « corps intermédiaires » ?

Une première rencontre entre acteur.e.s et chercheur.e.s venant d’horizons proches mais différenciés (monde du travail, de la coopération, des communs, des associations,..) a permis de faire émerger des questions de nature à permettre de poser un diagnostic mieux partagé sur ce qui est en train d’advenir.

Au sujet du sens et du pouvoir d’agir 

Il semble que la question du pouvoir d’agir par « la belle ouvrage » soit au cœur des préoccupations exprimées. Certains évoquent des objectifs imposés d’en haut sans tenir compte du travail réel, le sentiment de la perte du métier, le manque d’envie de se mobiliser, voire les risques encourus si on ne remplit pas sa fonction comme il est demandé, la violence des obligations professionnelles. D’autres (souvent les mêmes) interrogent les utilités de l’action au travail, les modes de production extractivistes qui remettent en cause le sort des générations futures, les questions sur l’avenir du « faire société ». « A quoi ça sert tout ça » ? Quel est le lien entre le travail que je fais et la fin que je sers, que je veux servir ?

Que disent, que permettent de comprendre, qu’interrogent les organisations « en communs » de ces questions ?

Comment réduisent-elles la contradiction entre des organisations du travail majoritairement basées sur la productivité et le reporting inspirés de l’idéologie capitaliste et le fait que de plus en plus de salariés aspirent à trouver du sens dans ce qu’ils font, déployer leur pouvoir d’agir, renouer avec « le bel ouvrage », éviter le burn-out ?

Ces questions conduisent à celle de « qui décide du sens mais aussi de l’organisation concrète du travail, et de la cohérence entre les deux » : est-ce le collectif de travail avec mes pairs ? La personne morale « pour laquelle je travaille » ? Quel est le lien entre les deux ? Valide-t-on ensemble et, si oui, comment ?

Y a-t-il des exemples de responsabilisation des salariés (subsidiarité, réflexivité, démocratie et contre-pouvoirs) démontrant une efficacité plus grande que le management par les chiffres ? des exemples de recréation du commun au sein des organisations et des pistes qui permettent à l’individu de s’épanouir au sein du collectif en (re)trouvant du pouvoir d’agir, du sens et de la qualité à son travail, une reconnaissance de son métier.

Quelles conséquences politiques peut-on tirer de ces questions pour les « transitions » ?

Au sujet de l’organisation du travail 

L’organisation du travail semble constituer aujourd’hui encore un impensé au sein des organisations de l’économie sociale et solidaire. Il n’y a par exemple rien à ce sujet dans les principes de l’ACI. Dans les associations, en revanche, notamment du travail social et de l’éducation populaire, ces questions, qui conditionnent la relation à l’autre, le collègue (l’équipe à l’hôpital) ou l’usager sont essentielles mais souvent abandonnées aux financeurs publics qui imposent le « new public management » (précarisation des statuts, appels d’offres systématiques, reporting permanent, etc).

On entend deux types de critiques : celle du « new public management » appliqué à des structures qui ne s’y prêtent pas et celle du lien de subordination comme principe d’assujettissement juridique de l’individu, défendu par d’autres comme élément de protection au cœur du droit du travail. Quels sont les opinions sur ces enjeux, à l’heure de la déconstruction des dominations et de l’explosion de autoentrepreneuriat ?

Les organisations « en communs » apportent, elles, de nombreux exemples de nouvelles formes d’organizing, notamment dans les territoires. Pour autant, ces dynamiques alternatives semblent avoir du mal à converger pour pouvoir se renforcer les unes les autres. Leur organisation horizontale repose sur des modes de coordination parfois épuisants car plus ou moins bien reconnus. Le « prendre soin de la communauté » est souvent un impensé, d’autant qu’il incombe souvent aux femmes.

Enfin, la question de la place respective du producteur (du bien, du service,..), du consommateur, du distributeur est interrogée dans ces systèmes. Peut-on ressortir de plusieurs « statuts » à la fois ?

Que disent, que permettent de comprendre, qu’interrogent les organisations « en communs » et de l’ESS de ces questions ?

Au sujet du rôle et de la place du numérique

Le numérique d’une part libère. Pour les nouvelles générations, l’usage d’Internet et de son accès direct à l’information comme à la mise en relation, a profondément bouleversé les modalités d’apprentissage (notamment par les pairs), les perspectives de prise en compte du mérite, la perception hiérarchique des organisations, le temps et les modalités des engagements militants, la chronologie des priorités.

Quels enseignements peut-on tirer de ces générations pour qui le monde des jeux vidéos est parfois plus formateur que l’école, le travail considéré comme une fin et pas seulement comme un moyen et la participation ponctuelle dans des collectifs informels tenant lieu d’engagement politique (entrepreneurs de l’Internet, aux militants des collectifs informels (Nuit debout, Gilets jaunes, Soulèvements de la Terre…), aux personnes qui se sont formées en dehors de l’école…

Le numérique d’autre part contraint. Comment négocier le rôle et la place des métiers, des savoirs expérientiels, des minorités de clientèles face aux « schémas directeurs informatiques » ? que penser de l’influence des systèmes d’information choix organisationnels et politiques du management) sur les métiers ? la capacité d’expression des travailleurs sur le leur travail réel, de création, d’innovation et du « pouvoir d’agir » cité ci-dessus ?

Enfin, quelle est l’influence du travail à distance qui éclate les collectifs, laisse les contributeurs à la production commune sans « co-présence », sans lieu de partage des préoccupations, laissant à des tableaux de tâches les soins de l’ajustement des sensibilités, fragilités, forces et potentialités ?

Au sujet du rôle des corps intermédiaires, les personnes morales entre les individus et la violence de l’État ou du marché

Quelle est leur place, dans ce paysage, des personnes morales situées entre les individus et la violence de l’État ou du marché ?

Comment les syndicats questionnent-ils la subordination et le management libéral ? quelles sont les initiatives pour contrer leur disqualification grandissante, notamment auprès des jeunes générations.

Comment les grandes organisations coopératives, mutualistes et associatives s’interrogent-elles sur ces questions du sens à donner à l’engagement et au travail, à la créativité démocratique des collectifs militants informels tout comme au réflexe coopératif qui se développe bien au-delà de la coopération ? Quelles passerelles entre les corps intermédiaires traditionnels, les initiatives collectives plus informelles et les territoires ? Quelle reconnaissance du caractère éventuellement conflictuel des relations de travail dans l’économie sociale et solidaire, du rôle des syndicats et des instances de représentation collective ?

Faut-il œuvrer à définir collectivement une nouvelle ontologie et interroger ainsi le rôle de la personne morale au service du collectif ?

Un groupe de travail de La Coop des communs ?

Cette réflexion pourrait être menée au sein d’un groupe de travail de La Coop des Communs. Ce format permet de croiser des regards entre acteurs et chercheurs, à partir d’études de cas concrets et d’une grille de questions co-construite et qui se peaufine au fil du travail.

PY Gomès, « Le travail est mis à distance », Le Monde 8 février 2024

Avec Nicole Alix (à l’initiative de cette interpellation…), Christelle Baron, Bernard Brunet, Thomas Coutrot, Nicolas Loubet, Christian Mahieu, Stéphane Veyer et Vera Vidal.

Thèse de Justine Loizeau https://theses.fr/2023UPSLD041, par ex ; mais aussi les travaux de Anis/Catalyst, https://anis-catalyst.org/

Publications similaires