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L’ Inconditionnelle Réciprocité 

Un « site », Réciprocité.org, en développement

Pourquoi ?

Un site doit permettre de faire se rencontrer des propositions pour construire la réciprocité en principe moteur d’une reconnaissance mutuelle et d’une perspective éthique et politique partagée.

Il se veut outil de création réflexive collective. Il vise à associer des contenus élaborés en lien avec des actions collectives, des mobilisations, des « projets de transformation », avec l’action réflexive générée par les expérimentations de transformation à l’œuvre dans la société.

Quoi ?

L’objectif est ici de commencer à fonder les argumentaires d’un agir en commun qui fait de la réciprocité sa valeur dominante qui supplante toutes les autres et s’efforce moins de les annuler que de les circonscrire, de les relativiser et de leur donner un sens.

L’objectif n’est pas de construire une doctrine commune par une élaboration conceptuelle sur la notion de réciprocité. Il n’est pas de définir des principes unificateurs. Il n’est pas non plus de compiler et de juxtaposer toutes les propositions et mises en œuvre qui font une référence explicite à la notion de réciprocité.

La perspective n’est pas celle de la synthèse théorique, ni de la spécification différentiée des acceptions de la notion dans les différents contextes sociopolitiques, anthropologiques.

Évidemment, les contenus proposés ici relèveront d’une certaine façon de tout cela. Mais c’est avant tout un espace de réflexion sur ce qui nous tient, ce qui nous relie, aujourd’hui, demain, qui est proposé ici.

Comment ?

Ce site se veut un espace ouvert aux propositions, formulations, réflexions issues de l’agir collectif,

Un espace d’expression et de publication modéré par une équipe éditoriale plurielle.

Réciprocité point d’interrogation

Réciprocité point org

Réciprocité point orgue

Réciprocité point d’ogre

Réciprocité point d’orgue

Réciprocité point à la ligne

Réciprocité point inchoatif

Réciprocité point de fuite

Réciprocité point final

Réciprocité, épiphanie de la relation

P. fig. étymol. Manifestation d’une réalité cachée. L’action est une épiphanie de l’être. Si la grâce nous prend et nous refait par le fond de l’être, c’est pour que notre action tout entière s’en ressente et en soit illuminée (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 313).

Epiphania, gr. τ α ̀ Ε π ι φ α ́ ν ι α , ε ̓ π ι φ α ́ ν ι ο ς « qui apparaît »

Souvent en philosophie, une épiphanie est décrite non seulement comme une réalisation de soi, mais comme un éclaircissement sur un enchevêtrement mental qui se rapporte aux gens en général. Les philosophes peuvent avoir de rares éclairs de perspicacité qui semblent leur donner des moments de compréhension plus profonde, pensent-ils, de problèmes très complexes. Un tel élan de compréhension peut provoquer une grande joie, mais peut ensuite être rejeté comme trop simple.

Argumenter l’agir commun en réciprocité

Notre champ d’expérimentations : l’établissement de Conventions de Réciprocité

Une recherche contributive en action réflexive

La réciprocité, pour :

Comprendre, argumenter, justifier, pour agir en commun

Comment se justifient les prises d’initiatives qui correspondent aux expérimentations, aux engagements en projets alternatifs et autres projets en commun ?

Comment un « agir alternatif » se met-il en œuvre dans un espace public qui tout à la fois le contredit, l’empêche et l’encourage ?

Comment cet agir alternatif, et les actions qu’il suppose, s’opère-t-il ?

Tout à la fois, il s’appuie souvent sur des dispositifs publics, d’action sociale, économique ou en faveur de la transition écologique par exemple. Paradoxalement, il les a aidés à s’initier et à se construire, mais il ne s’y conforme pas, ou pas complètement. Il s’efforçe de les « hacker », comme nous pourrions le dire s’agissant du développement des logiciels et des technologies numériques.

Cet agir alternatif se met en œuvre dans ces initiatives, solidaires, en communs, de transition écologique, en adaptation radicale, en facilitation de la métamorphose. Tout à la fois, Il se conforme à ces dispositifs publics et à leurs justifications, et il les détourne ce qui l’oblige à des justifications elles mêmes alternatives. La question de leur argumentation est alors essentielle.

Le déploiement de cet agir suppose qu’une argumentation, elle-même alternative, se construise. Elle n’est pas fournie, toute élaborée, en préalable à l’action. Elle se construit, souvent par bricolage sur base de compostage d’idées porteuses de transformation, dans la mise en œuvre collective de l’action dans l’espace public.

Cette question n’est pas nouvelle. On pourrait reprendre le jeu subtil des rapports entre idéologie et utopie, des arbitrages entre les possibles et les contraintes. Cet agir alternatif s’opère dans un contexte socio politique structuré d’institutions et balisé par elles, les collectivités locales territoriales, notamment.

Pour justifier un agir alternatif de la transformation qui fait de la mise en communs son objectif « trans formatif » majeur, nous avançons comme principe organisateur des relations partenariales, la notion de « convention de réciprocité ». La congruence des actions portées en alternatives a besoin d’une argumentation partagée et, surtout, d’un vocabulaire commun.

Nous faisons le choix ici de mettre en avant la notion de convention de réciprocité.

Convenir de la réciprocité : La convention de réciprocité, une définition problématique

Définir la notion de « convention » paraît simple.

On parlera d’un « accord volontaire » de deux ou plusieurs personnes physiques ou morales ; ce dont elles conviennent.
Par extension on considérera que la notion renvoie à ce sur quoi l’on s’accorde en général, ce qui est admis, entendu. Souvent elle est utilisée au pluriel, avec « Les conventions sociales », ce qu’on est convenu de respecter, les règles de bienséance, de savoir-vivre et de conduite en usage dans un milieu donné.On conviendra alors que « Toute société repose sur des conventions ». On pourra « n’‘avoir aucun souci des conventions ; Avoir horreur des conventions mondaines ».Plus précisément, convention pourra signifier un accord tacite par lequel on admet certaines règles, certains procédés et certains artifices indispensables pour produire l’effet voulu ou les illusions recherchées : «  Le théâtre ne peut se passer de certaines conventions. La règle des trois unités, de lieu, de temps et d’action, dans le théâtre classique, est une convention. L’auréole qui entoure la tête des saints est une convention de la peinture religieuse.Mais, ce peut être aussi cequi est « conventionnel », qui n’a de valeur, de sens, de réalité que par l’effet d’un accord : la valeur de convention d’une monnaie. Des signes de convention. Si l’on se place dans une perspective historique et sous l’angle des acceptions en politique et dans les processus démocratiques, convention renvoie à des principes d’ assemblée, d’un agir collectif en délibération, discussion : par exemple destinée à établir la constitution d’un pays, d’un État, ou à modifier une constitution existante.
https://www.cnrtl.fr/definition/academie9/convention

Définir la notion de réciprocité, en substance, pose d’autres problèmes. Ce serait aussi peu heuristique que de reprendre, sans les situer dans leurs champs politiques et sémantiques, les notions de « marché, de « bien commun », ou même de « pouvoir » et de « domination ».

Une définition ne peut alors intervenir que comme processus de construction en lien avec les usages qui en sont faits, voudraient être faits et pourraient être faits, en situations.

Globalement, l’établissement de ce que l’on s’accorde à désigner comme convention de réciprocité relève de la construction d’espaces relationnels que l’on qualifiera de « réciprocitaire ». Compte tenu de l’impact éthico politique de la notion de réciprocité et les acceptions par lesquelles elle intervient et résonne dans l’espace public, il convient d’établir les contextes de ce travail de définition. Nous avons les mêmes précautions à prendre avec les notions de solidarité, de responsabilité, ou de sécurité.

Philippe Chanial, dans son ouvrage « Nos généreuses réciprocités, tisser le monde commun » (Actes Sud, 2022), se livre à ce travail de définition et de qualification. Les réciprocités sont ici généreuses. Elles ne sont pas appréciées à l’aune du don et des réciprocités que l’acte de donner enclenche. Elles interviennent dans une sublimation de l’échange et de la relation qui donne sens à l’échange. Elles génèrent de la relation pour la relation, de la rencontre pour la rencontre. Elles tissent le monde commun et lui donne un sens qui se retrouve dans les conceptions que l’on se fait de nos rapports aux autres et au vivant, dans les perceptions subjectives, les rites et les mythes autant que dans les comportements qu’elles motivent et les engagements mis en œuvre.

Cela ne lui fait pas adopter un simple point de vue constructiviste pragmatique qui nierait les enjeux et contradictions de construction de ces réciprocités.

Il s’en explique : « Un tel projet peut sembler bien irénique. Sauf à rappeler que, contrairement aux idées reçues, cheminer à la lumière du don n’invite pas à faire, en toute naïveté et contre toute évidence, l’économie des relations de pouvoir ou d’intérêt. C’est au contraire pour mieux et autrement les saisir, et saisir avec elles à la fois ce qui y résiste et nous invite à nous en émanciper, qu’il nous faut chausser d’autres lunettes. En effet, les lunettes du pouvoir et de l’intérêt nous frappent moins de cécité qu’elles nous rendent en quelque sorte hypermétropes, incapables de voir nettement ce qui se trouve sous notre nez : nos relations les plus ordinaires, cette délicate essence du social, tout à la fois sensible et fragile, qui se dérobe à nos yeux ou devient floue si l’on n’y prête pas un regard attentif, attentif aux détails, et à ce travail minutieux, et autrement invisible, par lequel nous nouons les fils et tissons la trame de notre monde commun » (Chanial, p.8).

Comprendre le sens à donner à ces généreuses réciprocités requière l’attention mobilisée de nature à privilégier, dans l’explicitation des termes, la prise en compte fine des pratiques et de ce qui les motive ; à prendre du recul par rapport au vocabulaire dominant dans l’explicitation de ces pratiques et à déplacer les acceptions, voire à remplacer les termes.

Créer une terminologie et une argumentation de l’action est un moment essentiel du travail réflexif sur les initiatives, les alternatives, les imaginaires et les utopies concrètes dans lesquelles les généreuses réciprocités, sous leurs acceptions génératives, génératrices, prennent leur sens.

Généalogie des conventions de réciprocité :

Comprendre les espaces relationnels d’action en commun

Des relations socio-économiques inédites s’instaurent dans des partenariats

que des acteurs sociaux, individuels et collectifs, s’accordent à qualifier de « conventions de réciprocité ».

Le recours à cette notion de convention de réciprocité souligne de la part des acteurs impliqués le choix d’une désignation qui s’écarte les formes habituelles d’établissement des partenariats en termes d’institution et ou de marché.

L’utilisation du terme de convention signifie de la part des acteurs la préoccupation d’un accord par la délibération et l’ajustement négocié des positions. Le recours au terme de réciprocité signifie, quant à lui, que la relation ne sera pas induite par une logique de valorisation marchande mais par un système d’échange qui demeure à définir et à paramétrer eu égard aux acteurs impliqués.

Recourant à cette notion, les acteurs impliqués manifestent une volonté de s’accorder sur un contenu à construire qui ne se réduit pas à la mise en œuvre d’une norme dans l’établissement de l’accord.

Donner un sens aux conventions de réciprocité qui s’expérimentent et se construisent est en lui-même l’objet d’un agir politique émergeant. Le mettre en perspective suppose de reprendre systématiquement l’analyse compréhensive des fondements des ingénieries de construction qui chercheront à les réguler, à les instituer ou viseront à les mettre dans une perspective instituante.

La réciprocité, l’esprit de la « kula »

Les conventions de réciprocité se veulent plus que des partenariats multi acteurs, plus que des contrats, même ouverts à des clauses qui tiennent compte du déséquilibre social des partenaires. On est ici dans d’autres situations que le contrat ou que le marché, même modulé de clauses sociales, solidaires. Ce qui apparaît comme accord ou échange est d’abord une relation qualifiée qui prend son sens comme fait social, fait culturel, total, pour reprendre ce que pourraient en dire les anthropologues à la suite de Marcel Mauss.

Pourquoi relire Le livre de Bronislaw Malinowski, Les argonautes du pacifique occidental (Gallimard, 1963, 1989), aujourd’hui ?

Ceux qui en recommande la lecture ou en font l’introduction ou la préface insistent sur un point clé : ce qui pousse les Trobriandains à prendre la mer et aller sur leur pirogue apporter à des « partenaires » d’autres îles, des bracelets ou des colliers de coquillages va bien au-delà de l’échange. L’observation du phénomène « kula » conduit à cette interrogation : « Qu’est-ce qui fait tenir ensemble les éléments de l’univers socio-culturel des Trobriandais ? » (Michel Panoff, Introduction au livre de Malinowski).

Comment interpréter le grand système d’échanges inter-tribaux qu’est la Kula au moment où Malinowski en fait une analyse compréhensive détaillée ?

Il se présente comme des expéditions maritimes à longue distance, dans un espace formé d’une trentaine d’Îles réparties sur 150 000 km² au nord de la Nouvelle Guinée. La kula est activée régulièrement, ces expéditions structurent l’espace temps des activités. Elle intervient comme événements majeurs dans la vie des communautés qui ne sauraient s’y soustraire. Elle fait circuler des objets considérés comme précieux, des brassards/bracelets, des colliers, de coquillages. Ces coquillages ne sont pas les plus communs mais ne sont pas rares pour autant. Leur assemblage, leur montage en brassards et colliers, est soigné mais ne représente pas une prouesse technologique qui serait reconnue de tous. Ils sont là et matérialisent l’ardente préoccupation du lien à entretenir avec l’autre et à faire perdurer sans que cela soit perçu comme une contrainte et encore moins comme une obligation. L’expédition Kula n’est pas un échange fondant une relation entre deux communautés bien identifiées. L’expédition Kula est un voyage, une circulation d’îles en îles. Elle instaure un échange d’étapes en étapes, pour atteindre les participants les plus éloignés. Elle ne privilégie pas l’échange de proximité.

Elle n’est pas ressentie et exprimée au travers d’une fonction « utilitaire ». L’échange de correspond pas à une valeur déterminée, une tradition de transactions qui seraient réglées dans le respect de ce qui pourrait être désignée comme stricte réciprocité, d’un échange réciproque, d’un don faisant l’objet d’une contre partie, même plus tard et « inégal » du point de vue de sa valeur. Les brassards et colliers « échangés » ne peuvent pas être définitivement appropriés par des individus mais demeurent des « biens collectifs », et ce même si l’échange lui-même est individuel et concerne des personnes bien identifiées. Après un délai, dix ans environ, les objets reviennent à leur point de départ ; chacun récupérant ce qu’il avait mis en circulation, pas moins, pas plus. Lors des voyages générés par l’impérative Kula d’autres échanges s’opèrent, mais sous d’autres modalités, avec d’autres « fonctions » et avec d’autres finalités. L’« échange » principal lui-même, la Kula, bien perçue comme telle, « ne sert à rien », si ce n’est à faire tenir le cycle d’échanges qui, lui-même, fait tenir la société. Cet échange sublimé ne confère que du prestige et de la reconnaissance. Mais il est n’est pas laissé à l’initiative individuelle dans une stratégie de domination. Le cycle d’échanges qui s’instaure dans la Kula est durable, à vie. Il concerne pour chacune des personnes qui s’y inclut un nombre de partenaires pouvant aller de deux à plus d’une centaine. L’impératif visé est l’inclusion de tous dans les échanges.

L’ « institution » Kula se subordonne de nombreuses activités et leur confère une finalité globale. Il faut construire ou réparer les pirogues qui vont être utilisées dans le voyage. Il faut recruter et nourrir les équipages de ces bateaux. Il faut aussi maîtriser la magie qui opèrent dans les différentes situations auxquelles se confronte l’expédition. La finalité est globale. Elle donne sens à l’ensemble des activités. Au sein de la communauté concernée, l’engagement de chacun est indispensable mais demeure volontaire.

La Kula représente une totalité mais ne s’organise pas autour d’un équivalent unique qui relèverait de logique de marché ou de logique de contrat nominatif passé entre des entités bien identifiées. C’est aussi l’occasion de faire d’autres échanges, relevant du troc, ou de ce qui peut apparaître comme du commerce. Mais, si l’on profite de l’occasion fournie par la Kula, l’importance donnée à ces moments d’échange est minorée. Au regard de l’importance donnée à ce qui fait le cœur de l’échange Kula, les autres activités générées apparaissent dérisoires. Les anthropologues qui, à la suite de Malinowski, se sont penchés sur la signification globale de la Kula invalident toute approche fonctionnelle ou utilitariste.

Certes, à l’aune de nos propres pratiques d’échange, qu’ils soient marchands ou régulés par contrat d’équivalence, on pourrait s’interroger sur les valeurs et les utilités échangées. On pourrait s’interroger sur les usages et les besoins sous-jacents aux échanges secondaires qui ont lieu à l’occasion de la Kula. Dans les échanges entre les tribus, entre les îles, certains auraient-ils plus intérêt à l’échange que d’autres ? Les uns, plus « riches » auraient-ils moins besoin d’échanger ou seraient-ils en position de dépendance ou de domination vis-à-vis d’autres ? Ce que Malinowski et ses collègues anthropologues depuis, nous disent c’est que la kula sublime ces questions par la nécessité culturelle et « politique » qu’elle génère.

L’interprétation selon laquelle la Kula permettrait la circulation et l’échange de « biens spécifiques » que pourraient être les femmes pour les hommes, ne peut être évacuée de la compréhension fine que l’on peut avoir de ce qui résulte de la Kula. Mais cela apparaît comme un effet secondaire d’une détermination que dépasse ce type d’échanges pourtant essentiel.

Cet esprit de la Kula, parfois à des degrés moindres, se retrouvent dans les autres grands systèmes d’échanges cérémoniels, ailleurs, en Océanie notamment. Il sert de cadre interprétatif pour d’autres systèmes d’échanges « englobants » et finalisés, quels qu’en soient les objets supports, y compris lorsqu’ils se mêlent d’espèces numéraires (lors de la « Coutume » en Nouvelle Calédonie, par exemple).

Des travaux anthropologiques plus récents nous montrent que les positions sociales construites dans un cadre de Kula servent de points de repère pour des positions politiques plus actuelles, comme cela semble avoir été le cas lors d’élections en Papouasie Nouvelle Guinée.

Le « moment réciprocité » : au cœur de l’agir en commun

Cet esprit de la Kula, dans ce qu’il confère à l’échange comme horizon social, culturel, politique et même spirituel, nous conduit à ne pas envisager la réciprocité comme simple ensemble de caractéristiques socio-économiques.

C’est pourquoi une définition « en substance » de la notion serait vaine. En tout cas, elle serait très en deçà de ce qui se joue lorsqu’il s’agit de donner un sens global à l’action collective. Une définition de contenus spécifiques à argumentation socio-économique ne saurait suffire à caractériser des transformations dans les attentes, les représentations que l’on se fait des motivations qui guident les pratiques et les comportements qui se font jour au cœur de ces pratiques, ainsi que dans les agencements et les dispositifs collectifs qui les mettent en œuvre.

Comment définir les conventions de réciprocité sous l’angle des espaces relationnels qui font de la réciprocité leur polarisateur de sens ?

On sait que tout n’est pas réductible à une grammaire simplificatrice de l’intérêt, que tout n’est pas réductible à une polarisation des rapports exprimée en domination, sur base de positions établies dans des mises en relations antérieures, même si cela intervient pour conditionner les positions des un.es et des autres, et des un.es par rapport aux autres. On le sait, les expérimentations (que d’aucuns qualifient d’innovation sociale) de rapports alternatifs, de coopération ou d’entraide par exemple, ont besoin de leurs espaces d’intermédiation, de leur espaces tiers qui sont autant de dispositifs de transformation de ces positions, créant des espaces possibles, vivables, habités par des tensions et contradictions vivantes, toujours à l’œuvre, sans empêcher l’ouvrage utopique commun, mais en le contraignant.

La définition, caractérisation, ne peut porter que sur les éléments constitutifs d’un « espace culturel » de référencement d’un agir en commun qui s’exprime dans ce que nous pourrions qualifier de « moment réciprocité » dans une métamorphose qui concerne autant nos liens sociaux, nos rapports au vivant, les finalités que nous nous efforçons de nous donner collectivement et les obligations communément acceptées que nous tentons de faire prévaloir.

Un espace culturel alternatif, plus ou moins oppositionnel, ambiguë

De fait, on peut considérer que la question de la réciprocité est posée dans l’espace public dans la mesure où il s’agit de qualifier l’ampleur de l’alternative visée, sans toutefois avancer des qualificatifs précis.

Globalement, la réciprocité comme référent implicite est présente à travers différentes acceptions, plus ou moins revendiquées en tant que telles, comme argumentaires plus ou moins élaborés des interpellations, mobilisations, propositions, actions.

Sans qu’elle soit explicitée en tant que telle, la réciprocité, est mobilisée comme expression d’un autre mode d’échange, d’un autre mode de relations sociales, d’une alternative sociétale. Elle est sollicitée comme « grandeur » et justification globale. Elle est la justification implicite suffisamment flou pour convenir à ceux qui portent des alternatives socio bio politiques à ampleur sociétale. Elle permet de qualifier l’exigence et l’ampleur de la transformation à impulser.

Dans ce sens, au sein des différentes expressions de l’alternative et des différents « courants » qui se positionnent sur l’espace public, leurs porteurs ressentent la nécessité de qualifier davantage la perspective qui les anime par un affichage qui souligne la visée transformatrice.

L’économie sociale et solidaire se revendiquera alternative transformatrice, citoyenneté économique. La transition écologique se qualifiera de « juste ». Les communs seront mobilisés dans la perspective politique du commun démocratique. La coopération économique sur les territoires prendra le chemin de la mise en communs. L’adaptation aux changements bio climatiques se voudra radicale.

Convergence ou congruence des alternatives

Récemment, en mai 2023, se sont tenues des «rencontres » entre courants porteurs de ces alternatives, le mouvement de l’économie solidaire, les territoires en transition, le collectif des associations citoyennes, beaucoup d’autres https://convergence2024.le-mes.org/?Convergence2024.

Le thème retenu pour ces trois jours de rencontre était celui de la « convergence ».

Dans une perspective d’alternative politique on discerne bien l’objectif commun des participants qui est de peser, ensemble, de manière convergente. De représenter au sein de l’espace public une puissance alternative identifiée comme telle. L’élaboration collective privilégie alors un agir commun, avec sa structuration, ses dispositifs d’action, son agenda commun, etc.

Pour autant cette perspective a rencontré la question de la difficile congruence des alternatives transitoirement rassemblées.

La congruence désigne l’harmonie et l’alignement entre les valeurs, les paroles et les actions d’un individu ou d’une organisation.

  • Elle provient du latin « congruentia » et est utilisée dans divers domaines tels que les mathématiques, la psychologie et les relations interpersonnelles.
  • En coaching, la congruence est essentielle pour établir une authenticité et une cohérence entre les émotions, les idées et les comportements.

Réduire la question de la puissance collective à générer à la convergence des actions et à la fusion des agendas est vite apparu comme insuffisant. Au terme de ces rencontres, l’agenda élaboré en commun relève plus d’un programme de travail et d’action réflexive à mettre en œuvre. Une métaphore a été souvent employée par les participants pour justifier cette nécessaire congruence, celle du « tissage », de l’entrelacement des idées et des perspectives, de ce qui pourrait/devrait lier, relier, étoffer les argumentaires des acteurs porteurs d’alternatives.

La réciprocité pour tisser l’espace culturel et étoffer l’agir en commun de perspectives sociétales transcendantales

Pour autant l’espace culturel dont nous héritons et dans lequel nous situons notre agir en commun est fait de représentations de l’action, de ce qui fait engagement, de régimes de pratiques diversifiées, plus ou moins reconnues socialement, plus ou moins instituées.

Il est parcouru de projets/projections collectifs diversifiés, de mouvements et de cheminements différents, porteurs de justifications différentes, de « grandeurs » (au sens de ce qui compte…) plus ou moins hybridées, de possibilités plus ou moins construites en utopies concrètes, d’expérimentations de possibles transitions/transformations, de mutations perçues et de métamorphose assumée. Toutes ces trames de signification génèrent des prises d’initiative et des puissances collectives plus ou moins en rupture avec les positions dominantes, et plus ou moins en capacité d’instaurer de nouveaux rapports sociaux dans le cadre de nouveaux rapports au vivant.

Le contexte socio-économique qui est le nôtre, est dominé par les formes économiques principalement portées par la mise en œuvre impériale du Capital comme rapport social hégémonique. Les formes dominantes qu’a prise cette mise en œuvre ne peut se faire sans qu’interviennent les institutions publiques comme puissance publique mise au service de cette mise en œuvre.

Déjà là, cet appui public nécessaire introduit d’autres logiques de valorisation que la stricte mise en valeur du capital par le travail activé comme marchandise. L’appui public à la valorisation du capital ne peut s’exonérer d’une politique redistributive appuyée par des arguments de justesse économique dans la création des conditions générales de la production. Les entreprises sont alors désignées comme les « personnes morales » porteuses d’une légitimité et d’une reconnaissance publique justifiant cette action économique.

Mais cet appui public ne peut pas non plus s’exonérer d’une politique de justice, de la question des droits sociaux, etc. Dès les premières heures de la généralisation/systématisation de l’appui public à ce qu’il est convenu désormais d’appeler l’ « économie », cette orientation est contredite par des oppositions et mouvements contraires.

L’associationnisme, la coopération, la démocratisation économique par la contestation de la forme donnée à l’« entreprise » s’efforcent de faire prévaloir d’autres logiques qui mobilisent des argumentaires en réciprocité.

La réciprocité, principe clef de l’économie solidaire

(Avec Jean-Louis Servet)

La réciprocité renvoie d’abord à une approche très située de l’action économique qui s’est construite en économie dite sociale, puis en économie sociale et solidaire. La réciprocité, c’est d’abord l’affaire de l’ESS.

Tout d’abord, un premier constat, on ne peut s’engager dans un projet de définition de ce qu’est la réciprocité, de ce que les initiatives en matière de pratiques économiques laissent entrevoir, sans prendre en considération la diversité des logiques qui orientent les comportements économiques à l’œuvre dans les échanges.

Du point de vue de ces échanges à valeur économique, la réciprocité ne peut se définir que relativement aux deux autres principes que sont le « marché » et la « redistribution ».

Pour Jean-Michel Servet (« Le principe de réciprocité aujourd’hui, Un concept pour comprendre et construire l’économie solidaire », dans l’ouvrage collectif, sous la direction d’Isabelle Hillenkamp et de Jean-Louis Laville, Socioéconomie et démocratie, L’actualité de Karl Polanyi, Erès, 2013), les présupposés de l’analyse du concept de principe de réciprocité reposent sur la mise en relation de ces trois principes qui n’existent qu’en relations étroites entre eux.

« On ne peut plus se suffire d’une critique du marché ou de l’État et leur opposer simplement le mythe ou l’utopie du don (tant l’amplitude de l’usage de ce terme est grande. De plus, dans l’édification des structures de l’économie solidaire, le recours au concept de principe d’intégration économique, et en l’occurrence celui de réciprocité, est fructueux d’un point de vue intellectuel et pratique »(p. 189).

Ce principe de réciprocité n’est défini que dans une perspective d’économie dite « plurielle » susceptible d’hybrider les principes, c’est à dire d’initier des configurations d’action économique qui s’alimentent de ces trois principes de « réciprocité », de « marché » et de «redistribution ».

De ce point de vue, la réciprocité est associée à une perspective d’alternative à la domination, exclusive ou hybridée, des deux autres, qui s’inscrit dans une pluralité des logiques de valorisation économique.

Les acteurs se revendiquant de l’économie solidaire se reconnaissent au travers de cinq-idées clefs (Servet, 2013, p. 189) :

La recherche d’une égalité économique et politique entre les acteurs aux niveaux locaux, nationaux et globaux ;

La volonté d’une convergence d’intérêts entre production, consommation et financement ;

La promotion de pratiques autogestionnaires, coopératives ou mutualistes (celles-ci ne se réduisant pas aux formes institutionnelles juridiquement ainsi définies), opposées à l’individualisme compétitif dominant dans les mobiles de lucrativité ;

L’intégration de tous (l’économie solidaire ne devant pas être confondue avec une économie de la pauvreté) : elle s’adresse aussi bien à ceux qui apparaissent comme étant les plus défavorisés dans les activités de production, d’échange et de financement, tels que chômeurs, personnes subissant un temps de travail réduit, pauvres, exclus, le plus souvent des femmes, jeunes, migrants, castes infériorisées, minorités religieuses, linguistiques ou ethniques, etc., mais également à ceux ne pouvant pas être considérés comme déshérités, handicapés ou marginalisés ;

La prise en compte des effets des activités de production, de transport et de consommation sur les générations futures.

Ces idées clefs président aux initiatives prises par les acteurs au nom d’une économie solidaire. Cette économie, souvent qualifiée de transformatrice, est revendiquée face à ce qui est majoritairement perçu comme la normalité des évidences économiques. Ce sont ces évidences traduites en « modèles économiques » qui aboutissent à leur alignement avec la domination d’un néo libéralisme conquérant à laquelle se rallie tout aussi majoritairement et normalement l’action économique publique de redistribution. Mais, et c’est toute la spécificité du moment politique de crise dans lequel interviennent ces initiatives solidaires, qui tout à la fois les encouragent et les fragilisent par défaut de rapports économiques acceptables, rendant difficile leur viabilité économique.

Le principe de réciprocité est prioritairement mobilisé comme mode d’interdépendance des activités et comme valorisation de l’échange réciproque. Il s’affiche résolument « non-marchand » ce qui ne suffit pas à le caractériser. Une organisation en marchés, par delà la représentation dominante qui en fait un mode exclusif d’échange optimisé, est d’abord une construction sociopolitique, et donc dépendants d’accords politiques et de règles, quant bien même ces règles sont intériorisées comme seules possibles.

Le principe de réciprocité se met en œuvre par la prise d’initiatives collectives.

Laurent Gardin (Les initiatives solidaires, La réciprocité face au marché et à l’État, Erès, 2006) identifient trois grands types d’initiatives :

Celles de groupes hétéro-organisés qui associent un groupe distinct de celui à qui est destiné le service et ou se réalise la réciprocité inégalitaire ;

Celles de groupes homogènes et auto-organisés qui associent des pairs qu’ils soient futurs travailleurs ou usagers : la réciprocité entre pairs ;

Celles qui associent des acteurs hétérogènes variés, usagers, salariés ou bénévoles, tout en les plaçant dans une situation symétrique : la réciprocité multilatérale (Gardin, 2006, p.48).

Ces dernières sont celles qui paraissent relever d’un idéal-type des initiatives solidaires qui se manifeste dans des organisations ne recherchant pas la maximisation de l’intérêt individuel, composées d’acteurs hétérogènes (bénévoles, travailleurs, usagers, voire apporteurs de capitaux et pouvoirs publics) placés dans des relations symétriques et égalitaires (Gardin, 2006, p.62).

Cet idéal-type rencontre bien des difficultés pour se mettre en œuvre et obtenir la reconnaissance de son efficience sociale et de sa viabilité économique.

La réciprocité multilatérale mise en œuvre, l’« esprit SCIC »

(Avec Laurent Gardin)

La réciprocité multilatérale rencontre plus d’obstacles à son émergence, sa reconnaissance et sa diffusion. Elle se heurte au cloisonnement des statuts juridiques des entreprises et des institutions. Elle est limitée par le mode associatif qu’elle est incitée à adopter. Alors que la loi n’impose aucune disposition particulière concernant le fonctionnement associatif, au nom d’une liberté contractuelle, les associations déclarées ont tendance à adopter les statuts-types élaborés par les pouvoirs publics. Ces statuts-types organisent la prépondérance des bénévoles face aux éventuels salariés, et aux usagers dans la mesure de leur lien qui peut se réduire à une simple adhésion sans implication.

La réciprocité multilatérale trouve son meilleur champ d’expérimentation et de mise en œuvre dans l’essor des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), à partir de 2002 en France https://www.les-scic.coop/.

Le statut de SCIC se distingue nettement de celui que tendent à se donner les associations en mal de reconnaissance par les pouvoirs publics. Il se différencie aussi de celui des sociétés coopératives de production qui donne une place prépondérante à leurs propres travailleurs salariés.

La réciprocité multilatérale se heurte aux limites que lui donnent les statuts que les acteurs « associés » se considèrent dans l’obligation de choisir et de mettre en place.

Pour Laurent Gardin (Gardin, Les initiatives solidaires, La réciprocité face au marché et à l’Etat, érès, 2006, p.68), les limites de ces statuts associatifs et coopératifs sont de deux ordres. D’une part, ces statuts figent les positions par lesquelles se définissent les personnes engagées dans la « structure ». Elles seront usagers, ou salarié.es, ou bénévoles, chacune de ces catégories assignées à un « collège » spécifique. D’autre part les statuts créent une impossibilité de réunir, dans le même agencement d’action, bénévoles et apporteurs de ressources et/ou de capitaux.

Certes, des montages juridiques pouvaient être envisagés, entre une coopérative (de production) et une association, ou entre une association et une société commerciale, mais jusqu’à la formalisation juridique en SCIC rendu possible en 2002, dans leur pluralité, les engagements ne pouvaient se trouver associés dans la même structure les réunissant en autant de collèges dont les poids spécifiques sont alors à définir.

Dans la mise en œuvre des échanges et partenariats multi acteurs qui tentent de faire valoir le principe de réciprocité, le format SCIC est la plupart du temps en jeu. Il l’est, soit dans le processus de formalisation juridiques des partenariats, soit dans la logique de finalisation de la « convention » expérimentée, parfois par une référence à l’« esprit scic » plus que par la formalisation opérationnelle.

La solidarité, priorité à la réciprocité

(Avec Jean-Louis Laville)

Pour Karl Polanyi, dans la  Grande Transformation (édition française, 1972), l’échange (en marchés), la redistribution et la réciprocité interagissent entre eux et se complètent comme modes d’allocation des ressources dans toutes les sociétés. Ces principes sont pour lui « encastrés » selon des configurations variables. Pour lui, l’originalité de ce qu’il est convenu de désigner comme l’ « économie » actuelle est la situation désencastrée des dimensions réciprocitaires et redistributives dans la définition formelle de l’économie.

Pour Jean-Louis Laville (« Sociologie économique et théorie de la reconnaissance », dans La quête de reconnaissance, nouveau phénomène social total, Alain Caillé (ed.), La Découverte, 2007), dans ces configurations de rapports socio économiques encastrant / dé encastrant plus ou moins ces principes de valorisation, ce qui relève de la réciprocité caractérise « la relation établie entre des groupes ou des personnes grâce à des prestations qui ne prennent sens que dans la volonté de manifester et de renforcer un lien social entre les parties prenantes » (Laville, 2007, p.288). La réciprocité, c’est alors plus que la caractérisation d’une relation d’échange, c’est un « cycle » de relation : « Le cycle de la réciprocité s’oppose à l’échange marchand parce qu’il est indissociable des rapports humains qui mettent en jeu des désirs de reconnaissance et de pouvoir et il se distingue de l’échange redistributif parce qu’il n’est pas imposé par un pouvoir central » (Laville, idem).

Les configurations sociales et les agencements correspondant désignés comme « solidaires », ou relevant de la ou des solidarités se fondent sur ce « prima » donné à la réciprocité. La question des solidarités, de leur configurations et agencements comme agir collectif est indissociable des questions de la reconnaissance.

La première mise en œuvre de solidarité met l’accent sur les appartenances héritées. Leur sollicitation ne relève pas, comme dans les sociétés dites traditionnelles, d’une obligation sociale. Elles correspondent plutôt à un choix parce que le contexte de l’engagement social rend possibles des solidarités construites.

De telles solidarités peuvent être de deux ordres : une solidarité philanthropique, ou une solidarité démocratique.

« Avec la solidarité philanthropique, l’action pour autrui s’insère dans une version de la citoyenneté responsable qui intègre des devoirs remplis sur une base volontaire, les mieux pourvus intervenant pour soulager les plus démunis et améliorer leur situation…Elle contient la menace d’un « don sans réciprocité », créant une dette qui ne peut jamais être honorée par les bénéficiaires…Elle est porteuse d’un dispositif de hiérarchisation sociale et de maintien des inégalités adossé sur les réseaux sociaux de proximité »

« A cette version « bienveillante », on pourrait dire « charitable » s’oppose une version de la solidarité comme principe de démocratisation de la société…Elle est à l’œuvre dans des regroupements volontaires qui supposent une égalité de droit entre les personnes qui s’y engagent…Elle est associée aux nombreuses et diverses mobilisations et luttes pour l’élargissement des droits sociaux et des domaines de mise en œuvre effective des droits politiques »

(Laville, 2007, p. 289, 290).

La réciprocité, outil de la « fabrique » sociale »

(Avec Georg Simmel)

De premiers éléments de caractérisation ont pu se montrer utiles dans la mesure où ils permettaient de sortir de dispositifs normés dans la mise en œuvre de rapports partenariaux. Ces éléments montrent cependant vite leurs limites et ne font souvent que réaménager ces mêmes dispositifs sans leur substituer un nouveau cadre relationnel.

En effet, la notion de réciprocité est souvent avancée comme première définition d’un échange se voulant ouvert et inédit parce que réciproque. Dans de tels rapports partenariaux, elle est alors mise en avant par les acteurs impliqués pour signifier que l’on ne saurait réduire l’accord aux formes instituées du marché, que ce soit sous les formes des marchés publics ou des contrats relevant de financement au titre de l’action publique redistributive.

Le recours à la notion de réciprocité sert de caractérisation à toute forme de relation sociale faite d’une complexité d’interactions dont on explicite que peu les processus de composition et de construction. Souligner le caractère interactionniste des relations permet de porter l’attention des partenaires à ces mêmes processus et à ne pas les déduire, par simple duplication et mimétisme, des relations instituées ou plus explicitement et exclusivement marchandes.

C’est bien cette perspective interactionniste, sous couvert de relations en réciprocité, que l’on retrouve dans nombre de problématisations en termes de « fabrique sociale » dans la perspective d’« écosystèmes locaux, solidaires », de « communauté porteuse de lieux partagés » dans la perspective de tiers-lieux comme lieux de sociabilité du quotidien.

On montrerait facilement combien ces problématiques de fabrique et de lieux se fondent sur des perspectives interactionnistes dans la lignée des sociologies axées sur la construction dynamique des communautés relationnelles.

Sans les expliciter toujours, les ingénieries de construction, dites de facilitation, de ces fabriques et autres lieux de sociabilité puisent dans les sociologies pragmatistes et interactionnistes.

Certaines de ces ingénieries, pour fonder leur approche théorique des processus de construction, s’efforcent d’établir un lien direct entre réciprocité et complexité des interactions.

Dans cette perspective la réciprocité se présente « comme un possible de la vie socio-culturelle, d’une idée qui dénote de la dynamique immanente à nos relations quotidiennes et dont certains aspects se concrétisent dans nos activités physiques » (Christian Papilloud, La réciprocité, Diagnostic et destins d’un possible dans l’œuvre de Georg Simmel, L’Harmattan, 2003).

Les nécessités de la fondation d’une action économique rationnelle gouvernée par une argumentation raisonnable pèsent sur le sens donné à l’échange social, à ses formes dominantes mais aussi à ses formes atténuées et hybridées, dans une conception globalisée et idéalisée de l’échange. On parlera alors de réciprocité entre guillemets, « à la manière dont nous parlons de l’individu et de la société » (Papilloud, 2003, 4ème de couverture).

C’est toute la conception que Georg Simmel développe. « La réciprocité devient alors une sorte de « génétique » de nos relations quotidiennes, elle en est également l’une des propriétés possibles. Diagnostiquer ce possible, sa concrétisation dans les échanges de la société moderne, permet à Simmel d’en esquisser le destin contemporain et paradoxal, où à la société omni relationnelle répond la dilution du schème réciprocitaire » (idem).

Cette tentative de fondation de l’échange par une dynamique réciprocitaire aura le soutien de Max Weber qui la mobilisera dans son approche compréhensive de l’instauration de l’économie comme puissance rationnelle.

Au fondement des conventions de réciprocité :

De la réciprocité de l’échange à la rencontre en commun

Un agir particulier s’est fait jour, celui d’un agir collectif critique, pragmatique. Il pratique la coopération et la mise en commun. Il impulse, génère de la contribution comme d’autres produisent des travaux. Sa raison d’être est Ce qui nous lie, ce qui nous tient. C’est son « modèle politique ». Sa comptabilité pointe ce qui compte, la réciprocité. Son résultat net de génération s’évalue à l’aune des conventions de réciprocité qui engagent les un.es avec les autres.

Fondements de conventions de réciprocité

Fondation de la réciprocité

L’élaboration des conventions de réciprocité ne suit pas un schéma tracé à l’avance, balisé par l’application méthodique d’une conception préétablie. Comprendre ce qui nous meut pour accompagner cette refondation d’une société par la réciprocité suppose d’enclencher une action réflexive sur la base des pratiques suscitées par cet agir en commun générateur de réciprocités.

La réciprocité, une inconditionnalité conditionnelle

(Avec Marcel Mauss, Alain Caillé, Maurice Godelier)

Comprendre la réciprocité, l’élan créatif qu’il procure à cet agir en commun, c’est d’abord prendre conscience que cet élan repose sur une inconditionnalité conditionnelle.

Acculturés profondément et, pensons nous, parfois définitivement, à l’échange marchand, il nous faut comprendre, vraiment, ce qui se joue dans la « kula ».

Nous avons commencé à comprendre qui derrière cet hégémonie, cette généralisation du rapport marchand, s’opérait l’impérialisme du capital comme rapport social. La critique pense prendre le contre pied en valorisant le « non-marchand », comme si le rapport de commerce était le problème.

Le cycle de la kula le montre, l’échange kula prime sur les rapports de commerce qu’il génère à cette occasion.Sa forme apparente est le don. Par delà ce qui apparaît comme don se manifeste l’échange. Dans sa généralité il s’agirait de « donner, recevoir, rendre ».

Mais, tous, implicitement nous savons que ce n’est pas si simple. Et lorsque nous opposons le « non-marchand » au « marchand », nous savons que notre position n’est pas très crédible, et pas seulement à cause de la prégnance du rapport marchand. Il y a une autre détermination que nous ne savons pas expliciter parce que nous ne la comprenons pas.

Dans son « anthropologie du don », Alain Caillé, s’appuyant sur les travaux de Marcel Mauss sur le don, nous confronte à cette idée d’« inconditionnalité conditionnelle » (Anthropologie du don, La découverte, 2007).

Le don pose question. « Peut-on donner sans condition ? Une chose telle qu’un don gratuit est-elle concevable ? Certainement pas, estime la pensée moderne » (Caillé, p.93). Mais en même temps, le don s’il n’est pas gratuit, n’en est pas un. Et c’est cette gratuité impossible qu’il nous faut pourtant atteindre. Caillé souligne que c’est aussi tout le problème du revenu minimum, inconditionnel ?, qu’il conviendrait d’allouer. Mais alors s’agirait-il de l’octroyer, de le donner, les mots ne sont pas indifférents ? Un « impératif de charité » peut intervenir chez certains sous la forme de l’exigence que les dons soient gratuits et sans condition, qu’il ne soit rien demandé en contrepartie. Mais Caillé, rappelant que le don gratuit est chose impossible, montre que l’on s’empresse d’ajouter conditions sur conditions à l’octroi de la survie, en exigeant que les bénéficiaires s’engagent contractuellement à fournir une contrepartie en travail ou une implication ; c’est le cadre français de mise en application du RSA. Dans le contexte américain ce sera la philosophie du « workfare » qui subordonne le versement du revenu à une obligation de travailler (Caillé, p.93).

C’est aussi ce que nous montre Maurice Godelier dans cet énigme du don (Maurice Godelier, L’énigme du don, Champs Flammarion, 1996).

« Nous en revenons donc une fois encore au contenu imaginaire et symbolique des choses données, des objets de don et de contre-don. Il faut pour que « ça marche » qu’il y ait dans la chose donnée plus qu’un don de soi à l’autre. Il faut qu’elle contienne quelque chose qui apparaisse au donateur comme au premier donataire, puis à tous ceux qui la recevront ensuite, il faut donc qu’elle apparaisse à tous les membres de la société -qui doivent donc par avance partager cette représentation- comme un moyen dont la possession, même temporaire, est nécessaire pour continuer à exister, à produire ou reproduire des rapports sociaux qui permettent aux individus comme aux groupes, clans, familles, confréries, sociétés secrètes, etc., de continuer à faire partie de leur société. Il faut donc -et ceci, Mauss l’avait pressenti, suggéré sans l’analyser de près- que la chose donnée contienne plus que la « permanence d’influence », la présence de celui qui l’a donnée. Il faut qu’elle contienne en plus quelque chose qui semble à tous les membres de la société indispensable à leur existence et qui doit circuler entre eux pour que tous et chacun puissent continuer d’exister » (Godelier, p.100).

Pour que « ça marche » comme le dit Godelier, pour que le cycle de la kula continue, il faut qu’une inconditionnalité, même conditionnée, s’impose dans l’esprit de ceux qui l’entreprennent.

Caillé nous montre que cette question de l’inconditionnalité fait s’affronter deux pensées du social. Pour la pensée « conditionnaliste » existe à l’origine un état de guerre ou d’indifférence générale qu’elle nomme « état de nature ». Il en résulte la nécessité d’instituer un ordre social fondé sur des contrats, un ordre conditionnel, et de renforcer cette nécessité par une instance pour garantir l’effectivité de ces contrats, une instance de conditionnalité inconditionnelle. La pensée de l’inconditionnalité conditionnelle, au contraire, pose que l’état de nature est toujours déjà peu ou prou social, socialisé au minimum par une virtualité d’alliance ; que l’alliance, ne peut être nouée que par ce que Caillé nomme « un basculement dans le registre de l’inconditionnalité », et « que ce n’est que dans le cadre de celle-ci que peut se déployer le champ de la contractualité et de la conditionnalité » (Caillé, p.108).

Approfondir ces conditions de l’inconditionnalité, comme fondement éthico politique et social sera une condition essentielle à l’argumentation de l’effectivité des conventions de réciprocité, comme elle le sera des agencements socioéconomiques qui résulteront de l’agir en commun comme de l’établissement des formes d’entraide.

Une réciprocité telle que mise en avant dans des conventions, dites, de réciprocité signifierait qu’elle est « sans condition », au-delà d’un contexte contractualiste hérité des formes instituées qui se sont imposées non seulement dans les lois et règlements mais dans leur « esprit ».

Mais alors, comment, par quelles voies bascule-t-on dans l’inconditionnalité ? Et dans quel type d’inconditionnalité ?

Il semble qu’il faille s’affranchir d’un cadre légal et réglementaire, de règles mais plus encore de traditions, voire de conceptions éthiques philosophiques, religieuses, inhérentes aux contextes sociopolitiques d’émergence de cet impératif d’inconditionnalité en réciprocité. Sans cet affranchissement on veut trouver des justifications raisonnables parce que le contractualisme résiste.

L’imaginaire du contrat est fort et persiste, au moins autant que celui du marché. L’idée du contrat perdure y compris pour soi-même avec ses besoins sous formes de conditionnalisme dans les demandes d’aides, d’appuis publics. Rien ne s’obtiendrait sans condition, tout serait donnant/donnant. On n’aurait «  rien sans rien ». On aurait toujours des créances et des dettes, des droits et des devoirs. Les bases d’équivalences généralisées ne seraient-elles pas des conditions de justice ?

Mais, comme le pointe Alain Caillé, faisant référence aux travaux de l’un des fondateurs de la sociologie, Émile Durkheim, la sociologie ne repose-t-elle pas sur la mise en question des certitudes conditionnalistes ? Pour Durkheim, dans le contrat lui-même il y a toujours quelque chose de « non contractuel ». Marx avec le capital ne décrit-il pas une conditionnalité totale, avec la loi de la valeur et de l’équivalence généralisée, figée dans les eaux glacées du calcul égoïste ? Mais on sait que cette conditionnalité repose sur un processus dialectique inconditionnel de remise en cause de cette conditionnalité.

Max Weber ne s’interroge-t-il pas, face au défaut d’universalité et de naturalité de l’esprit utilitaire, de subordination de toutes les activités sociales à la loi du calcul rationnel, de la conditionnalité généralité, sur la fondation d’une inconditionnalité radicale, avec l’exemple de la Réforme religieuse comme « esprit du capitalisme », permettant de générer une autre conditionnalité relative. Il lui faut fonder en métaphysique et transcendance un principe d’inconditionnalité.

La réciprocité ne s’instaure-t-elle pas comme prima d’un agir en commun, pour elle-même, et n’est-elle pas soumise à des conditions spécifiques selon lesquelles si on se forge la conviction, la croyance, qu’il y a quelque chose de plus fort, cela relève d’un principe d’inconditionnalité ?

Avec Alain Caillé, on pourra considérer, et la sociologie est là pour le montrer, qu’il n’y a pas de pratiques qui se réduisent à la contractualité et à la conditionnalité qui ne peuvent pas tenir par elles-mêmes ; il faut des « réserves de sens, anti utilitaristes et inconditionnalistes » (Caillé, p.98₎.

La réciprocité serait donc cette conditionnalité qui fait échapper à une conditionnalité ordinaire, répétitive. La multiplicité et la nature transformationnelle des conventions de réciprocité ne peut que s’adosser à un principe stable comme alternative à la normalité du contrat ou du marché.

Cependant à quoi bon « passer une convention » si rien ne garantit que les partenaires s’engagent dans une perspective commune ; mais que cette perspective se désengage d’un ordre strict de conditionnalité normé, neutralisé ? Voilà pourquoi, compte tenu de la visée transformationnelle projetée on ne peut pas se contenter de solidarité, trop reliée à l’intérêt et au besoin.

Peut-on échapper à une fondation transcendantale ? Une argumentation plus philosophique prendrait la suite en la discutant, que ce soit celle que proposent des philosophes comme Locke, parlant d’une inconditionnalité relevant d’un ordre divin, fondateur d’une politique, ou comme Rousseau posant le principe d’une volonté générale irréductible à la somme des intérêts particuliers.

Donner un statut transcendantal à l’inconditionnalité de la réciprocité ne fait pas disparaître la force de l’intérêt, de l’utilitaire, de la conditionnalité. Elle confère cependant à la solidarité une force intermédiaire, déployée dans le registre du besoin et de l’utilité. L’inconditionnalité ne prétend pas se déduire de la logique de conditionnalité et s’en subordonner. A l’inverse, la conditionnalité (l’utilitaire, le fonctionnel, l’instrumental) se subordonne à l’inconditionnalité, s’« enveloppe en elle », mais ne se déduit pas d’elle. L’une et l’autre ont leur cohérence propre, irréductible à celle de l’autre. Cela relèvent de deux agir différents enchevêtrés.

Précisant cela, Alain Caillé nous aide à fonder les processus d ‘élaboration des conventions ainsi que des « modèles » politiques et économiques qu’ils mobilisent. Par là même Il ouvre l’argumentation de quatre type de rapports à l’inconditionnalité et à la conditionnalité (Caillé, p.111). Les conventions de réciprocité apparaissent comme autant d’ajustements entre différentes variantes de l’inconditionnalité, en rapport avec l’ordre de la conditionnalité.

La rencontre de ces variantes en inconditionnalité avec les formes prises par l’agir en commun permet d’envisager les processus par lesquels peuvent s’établir différents types de convention de réciprocité. Se croisent obligation et liberté, d’une part, intérêt et désintéressement, de l’autre.

La réciprocité, inconditionnalité conditionnelle, entreprise d’alliance et de confiance

Les fondements d’un agir en inconditionnalité se trouvent posés dans les conclusions de l’« Essai sur le don » de Marcel Mauss lorsqu’il affirme que dans toutes les sociétés, « il n’y a pas de milieu : se confier entièrement ou se défier entièrement, donner tout comme un absolu.. ». Une inconditionnalité qui ne serait pas inconditionnelle n’apparaît que sous la menace de pouvoir rebasculer dans le registre de la méfiance inconditionnelle, on n’aurait pas le choix. Paradoxalement, c’est à des étrangers, voire à des ennemis, dans tous les cas des personnes avec qui ont n’entretient pas de relations interpersonnelles étroites, familiales par exemple, qu’il faut manifester une confiance inconditionnelle dans le registre de la paix.

Qu’en est-il alors s’agissant des processus sociologiques de construction de l’« être ensemble », de l’entreprise collective et de l’alliance. L’une comme l’autre ne peuvent naître/n’être que d’un pari inconditionnel. L’entreprise ne peut faire l’économie de la confiance au risque de l’échec. L’alliance ne peut vivre que dans le registre de l’inconditionnalité. L’établissement des « personnes morales » par lesquelles se compose l’agir en commun repose sur une logique inconditionnaliste ; chacun étant pris simultanément dans une myriade de groupes, d’unions, d’alliances.

L’impératif de réciprocité s’affirme de façon inconditionnelle du fait qu’on est toujours et d’abord ensemble dans un rapport avec l’autre, les autres, et que ce principe préexiste à tout échange et à toute relation. Cet impératif détermine les termes de l’alliance. Avec cette inconditionnalité première, chacun peut s’approprier une partie des avantages qui naissent du fait même de l’alliance. Chacun peut être dans une confiante certitude. Mais, on a confiance ou on ne l’a pas ; toute réticence fait sortir du cercle de la confiance. Cela semble porté par une pensée conditionnaliste. Mais, pour que cet ordre tienne, il faut une instance qui le transcende tout en restant partie prenante ; un point fixe en mesure de réguler l’alliance ; un principe affiché d’abord, une convention primaire – Et l’on voit alors toute l’importance de ces conventions de réciprocité- qui finalise des accords secondaires. Il s’agit bien « d’asseoir inconditionnellement l’exigence et la possibilité de la coopération en tant que telles » (Caillé, p.107).

Dans cette perspective il est alors essentiel de se positionner, d’abord, dans une relation « politique » qu’institue transitoirement la convention de réciprocité, en dehors du registre de l’instrumentalité, du contrat notamment : l’accord est ici d’abord éthicopolitique.

Dans cette acception, faire réciprocité est inhérent au geste initial de donner. Cela résulte d’un « fait culturel total » pour reprendre une approche inspirée de M. Mauss. C’est autre chose qu’un contrat juridique, même à équivalence négociée préétablie. Ici la relation relève d’une obligation morale, ce que Marcel Hénaff appelle une « mutualité » (Marcel Hénaff, « Mauss et l’invention de la réciprocité », dans, Marcel Mauss vivant, Revue du Mauss, n°36, 2010, La Découverte), comme arbitrage entre contrainte et liberté, comme absolutisation de l’échange.

Sont ainsi créées les conditions d’un échange généralisé que l’on retrouvera à l’actif de la mise en œuvre du commun ; d’un échange temporellement distribué, différé, étalé, en cycle, en confiance ; d’un échange pour une part hérité, toujours généré ou régénéré.

Vue sous cet angle, la réciprocité sera porteuse de cette inconditionnalité ; différentes modalités de solidarité en seront les dérivées conditionnelles.

Dans la relation en réciprocité, il n’y a,

ni immédiateté, la relation est toujours médiate et médiatisée,

ni instantanéité, le retour est toujours différé et se déroule dans la durée de l’agir social et de la construction des relations entre les personnes physiques et morales,

ni symétrie, la relation tient compte des positions des personnes, dans une asymétrie de la générosité,

ni intéressement, ou tout au moins pas selon une valorisation explicite immédiate,

ni limite temporelle, la relation est toujours en construction, en évolution, en perspective,

ni délimitation spatiale et sociale a priori, la relation prend son sens dans un espace (vectoriel) de relations,

ni circonscription, la relation ne peut être isolée de son contexte éthico moral d’expression.

Ainsi définie la réciprocité implique une reconnaissance de l’altérité de tout groupe considéré comme partenaire d’alliance. L’échange suppose une relation qui devient une alliance dans la mesure ou s’opère ce que l’on peut définir comme une « rencontre ».

La réciprocité génération de la rencontre

La réciprocité permet de transformer la relation en « rencontre ».

Comprendre ce changement de niveau dans la relation suppose de qualifier le rapport entre partenaires dans une perspective du tiers, de la triade. Cette notion de triade qu’Hénaff reprend de C.S. Peirce (Hénaff, p.78). Cette relation de troisième type, avec la triade, souligne plus qu’un changement de niveau, un changement d’ordre, une intentionnalité. La triade supplante la monade, simple énoncé qui attribue une qualité ou définit un statut à la relation. Elle supplante aussi la dyade qui implique deux sujets logiques dans une relation faite de transitivité. Le changement d’ordre qu’implique la triade ne peut pas se constituer par ajout d’un terme à la dyade. La triade d’emblée indique un rapport final entre les termes. Il ne s’agit pas ici de dire qu’il y a intervention d’un tiers dans la relation, mais plus que l’intentionnalité préexiste à la relation, qu’il y a un élément englobant qui est le rapport final entre les termes de la triade, une action des personnes aux objets qui impactent sur les relations des personnes entre elles, une action qui suppose une « loi » préalable qui porte l’intention et dirige l’attention des acteurs (Hénaff, p.79).

Ce qu’institue alors la convention de réciprocité c’est la rencontre comme intention de la relation. La convention définit et « institue » transitoirement le « moment » de la rencontre comme un espace-temps dans un « univers de relation ». Il s’agit alors d’une intentionnalité qui suppose un cycle d’actions en réciprocité et qui doit d’emblée être comprise comme intégrant les moments et les éléments qui la composent. C’est dans ce sens qu’elle est une « structure » ou une loi au sens que lui donne C.S Peirce et Hénaff.

Si ce qui est au fondement de l’échange ce sont les processus qui ordonnent les actions de donner, recevoir, rendre pour être et demeurer dans le jeu du commun, la réciprocité institue la rencontre consistant à s’accepter les uns les autres, à se reconnaître publiquement, à nouer des alliances durables autour de biens symboliques.

Elle se différencie de la relation unilatérale, sans retour, relevant de la remise gracieuse (gratia, en latin), ou de la charité (charis, en grecque) (Hénaff, p.81). Elle se différencie aussi des différentes formes de solidarité, dons d’utilités, de générosité, de soutien unilatéral.

Ces éléments seront au fondement de la compréhension de ce que la réciprocité permet d’instituer comme personnes morales, communs et autres agencements réciprocitaires.

La réciprocité comme (re)fondation des relations socio-économiques

(Avec David Graeber , Alain Caillé et les convivialistes, s’inspirant de Mauss, de K. Marx et d’Hannah Arendt, notamment)

Et si l’inconditionnalité de la relation en rencontre était au fondement moral des rapports économiques?

De fait, toute relation sociale, et même nos rapports à ce que nous renvoyons dans l’ordre de la nature, nos rapports au vivant, semble relever de ce qu’il est convenu désormais d’appeler l’« économie », elle-même faiblement tempérée par une économie qui serait transformatrice, alternative ou plus modestement sociale ou, même, solidaire ; toutes ces économies paraissant relever de l’échange exclusivement marchand. Mais, ce qui est globalement qualifié de « non-marchand » peut représenter des échanges et transactions relevant d’affaires bien différenciées, de la générosité, de l’absence de calcul a priori, de création ou entretien de liens sociaux, d’expression du refus de distinguer entre générosité et intérêt personnel.

Les transactions économiques sont faites de diversité. Dans chacune d’entre elles, toutes les formes significatives possibles de relations morales et économiques seraient présentes, selon Mauss. David Graeber souligne ce point qu’il reprend de Mauss dans son « Essai sur le don » (David Graeber, « Les fondements moraux des relations économiques, Une approche maussienne », dans, Marcel Mauss vivant, Revue du Mauss, n°36, 2010, La Découverte).

« Le mot même d’intérêt est récent, d’origine technique comptable : « interest », latin qu’on écrivait sur les livres de compte, en face des rentes à percevoir(…) . Il a fallu la victoire du rationalisme et du mercantilisme pour que soient mises en vigueur, et élevées à la hauteur de principes, les notions de profit et d’individu (…). ce sont nos sociétés d’Occident qui ont, très récemment, fait de l’homme un « animal économique » (Mauss, cité par Graeber, p.51). Certes, il y a toujours une apparence de transaction, avec calcul et dépense. Mais même la dépense peut relever de logiques différentes, diversifiées, pure ou « noble », portée par le « sentiment ». Pour ceux que Graeber appelle les acteurs bourgeois, supposés régis par l’intérêt, même s’ils projettent ce qui leur tient lieu de théorie de la nature humaine et de la société , à savoir réduisant la vie à la généralisation de la forme marché, même eux, supposés liés aux autres par des relations exclusivement contractuelles, sont sans cesse démentie par l’expérience quotidienne de relations relevant d’un rapport inconditionnel aux autres.

Pour Graeber, « Nous avons tous fait l’expérience du communisme ». Et, pour des anthropologues comme Mauss, il en a toujours été ainsi : « Dans tous les systèmes suffisamment complexes de relation humaine, bref à peu près partout, toutes les possibilités sociales sont déjà présentes, simultanément » (Graeber, p.53). Cela ne veut pas dire que certains rapports ne puissent pas être plus prégnants que d’autres et puissent être mis en avant au titre de leur supposée universalité. Bourdieu (Pierre Bourdieu, Anthropologie économique, cours au collège de France 1992-1993, Seuil, Raisons d’agir, 2017), lui-même, dans ses éléments de sociologie économique, pointe qu’une forme d’échange transitif entre deux agents économiques dans une relation intervenant en lien avec une évaluation immédiate, relevant d’un a priori de valeur, serait finalement ce qui se rapprocherait le plus de la structure fondatrice du capitalisme. Il n’empêche qu’il ne réduira pas toute relation à cette forme finalement pas aussi déterminante et universelle que cela dans sa version apparemment légitime. D’ailleurs, il montre que la notion pourtant présentée comme cardinale, le marché, n’est que très faiblement définie (Bourdieu, p.163-169). C’est ce qui lui fera dire conséquemment que tout ne se réduit pas à cette notion d’intérêt et que la sociologie de l’intérêt n’est pas intéressante.

Les trois logiques morales de Graeber : le communisme, l’échange et la hiérarchie.

Les contextes dans lesquels émerge la possibilité d’un accord en réciprocité sont ceux dans lesquels cette inconditionnalité de la relation forge une logique morale de l’échange. Pour Graeber trois logiques morales coexistent, comme trois inconditionnalités qui permettent d’être dans un jeu sociopolitique et économique, et qui conditionnent des systèmes de rapports qui glissent les unes sur les autres.

Il qualifie une première logique de « communisme ». Pour lui, il s’agit de toute forme de relation humaine qui repose sur le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » (Graeber, p.54). Pour lui, il ne s’agit pas de l’idée qu’il qualifie de vieillotte selon laquelle le « communisme » serait essentiellement une affaire de propriété, d’un retour à la communauté de propriété, ce qu’il qualifie de « communisme mythique ». Pour lui, le communisme doit être envisager comme un principe immanent à la vie quotidienne : « chacun, ou presque, se comporte ainsi lorsqu’il coopère avec autrui sur un projet commun(…), la raison en est tout simplement l’efficacité, ce qui est amusant au regard du préjugé courant selon lequel « le communisme ça ne marche pas » » (Graeber, p.55). Lors de catastrophes, de bouleversements soudains, on pourrait ajouter dans les contextes de très fortes instabilités -On pense aux crises écologiques- les gens tendent à se comporter tous de la même façon et à renouer avec une sorte de « communisme prêt à l’emploi ». « Les hiérarchies, les marchés et consorts apparaissent alors comme des articles de luxe que personne ne peut s’offrir »(idem, p.56). Dans ce type de relations communistes, faire les comptes est considéré comme choquant d’un point de vue moral, ou au moins étrange et déplacé. De telles relations sont en effet perçues comme éternelles, et traitées comme telles. Graeber alimente ici son raisonnement en se basant à la fois sur ses travaux en anthropologie économique mais aussi sur ses expériences en contextes de crise aiguë.

Dans nos contextes socioéconomiques ordinaires, nous connaissons davantage ce qui pour Graeber relève de la logique de l’« échange ». Pour lui, s’opère une tout autre logique morale : « ici, tout est affaire d’équivalence ». Il ne s’agit pas d’une équivalence exacte -Et quelle serait la mesure ? Mais d’un processus qui, par aller et retour, tend à l’équivalence. L’échange prend la forme « marché », qu’il qualifie d’échange commercial, lorsqu’il est de nature « impersonnel », au sens où la personne de l’acheteur et du vendeur ne sont pas pertinentes, elles pourraient être autres. Pour autant, aucune transaction ne saurait s’effectuer sans une confiance minimale et, à moins d’avoir affaire à une machine – Que faut-il penser de l’introduction de dispositifs numériques dans l’échange ?- , de tels échanges supposent en général des signes extérieurs de sociabilité, par exemple celle que Graeber observe dans les bazars du Moyen-Orient…

Pour lui aussi, l’échange permet également de « solder nos dettes » ; « Alors que le communisme peut être conçu comme un régime d’endettement mutuel permanent, l’échange autorise à décréter que les prestations mutuelles sont comparables et ainsi à mettre fin à la relation » Graeber, p.61).

Si dans l’échange les objets sont donc dans une certaine mesure équivalent, les personnes le sont potentiellement aussi, même si les travaux des anthropologues sur le don nous montrent une grande diversité de contextes de don, incorporant des relations de pouvoir, mais intrinsèquement liées au don, et pas établies quant à la position des personnes. Cela implique une certaine autonomie des personnes, en dehors des situations de don.

C’est ce qui fait la différence avec ce que Graeber qualifie de troisième logique morale, celle de la « hiérarchie » : « Les relations explicitement hiérarchiques, celles qui se nouent entre des partenaires dont l’un est socialement supérieur à l’autre, ne reposent absolument pas sur la réciprocité » (Graeber, p. 64).

« Il fut un temps où, dans certaines sociétés, la conquête et le déchaînement de la force furent progressivement redéfinies et systématisés non plus comme des relations de prédation mais comme des relations morales. Les seigneurs prétendaient assurer la protection des villageois qui, eux, assuraient leurs moyens de subsistance. De part et d’autre, chacun considérait agir selon un code moral commun qui, à ce titre, imposait certaines limites aux seigneurs et aux rois. Néanmoins si ce code permettait aux paysans de discuter de la part de récolte que les agents des seigneurs étaient en droit de prélever, ils ne calculaient pas pour autant la qualité et la quantité de protection qui leur avait été récemment accordé. Il est plus vraisemblable qu’ils s’appuyaient alors sur la coutume et les précédents : combien avons nous payé l’année dernière ? Combien nos ancêtres devaient-ils acquitter ? » (idem, p.64 bas).

Avec ce développement et cet exemple de logique hiérarchique, Graeber nous confronte à ce qui aurait pu être les éléments de discussion formalisation d’un « modèle politique» de la viabilité économique des agencements sociaux découlant de la force organisatrice de la hiérarchie.

La réciprocité les éthiques de la rencontre

Mais, qu’est-ce qui fait prévaloir l’une des logiques sur les autres, même si elles cohabitent plus ou moins ? Comment l’une d’entre elles, sous différentes variantes, en lien avec des contextes spécifiques, prévaut sur les autres ? Comment cette prévalence ordonne-t-elle les relations entre les personnes physiques et morales dans l’espace public ? Puisqu’elle intervient en lien avec la prévalence d’une logique morale, quel statut éthicopolitique ce prima donné à l’une de ces logiques donne-t-il aux types de relations entre les personnes et aux agencements de leurs activités ?

Selon les choix dominants, cela formate la « rencontre » des personnes, tant physiques que morales, en rencontres « normales », eu égard à la logique dominante, en rencontres « improbables », celles qui marquent un dilemme de logiques. On parlera alors d’expérimentations ou d’innovations sociales, mais on pourrait parler aussi de conflit voire de luttes sociales. Dans tous les cas, l’agir en commun est fait de la diversité de ces rencontres.

Pour comprendre ce qui se joue « en rencontre », « à la rencontre », et dans les différents contextes et écosystèmes où la rencontre intervient, on peut s’appuyer sur différents registres de l’agir en commun. Ces différents registres seront les bases d’autant d’argumentations dans les processus de construction, de « fabrique » de l’accord qui préside à la rencontre, lorsqu’on s’accorde. Ce sont ces différents registres d’argumentation qui viendront nourrir les conventions de réciprocité.

L’art de la rencontre est d ‘abord une pratique de l’action qui convient, qui produit des « engagements convenables ».

Ce qui est déjà vrai pour la forme « marché » comme pour la forme « contrat », l’est plus encore lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre commune des engagements qui relèvent d’un principe de réciprocité.

Du soin collectif apporté à cette mise en œuvre dépendra la possibilité de la relation en rencontre en réciprocité. De nombreux travaux anthropologiques , sur la « kula » notamment, mais aussi les travaux des sociologues sur les conditions de l’action collective en réciprocité nous montrent les conditions à réunir et les dispositifs à animer pour s’assurer d’une réciprocité enracinée et durable, composant et consistant en un moment de délibération morale plus que l’application d’une norme instituée.

De fait, on n’échappe pas à ce moment d’éthicité (Sittlichkeit, selon Hegel, La Sittlichkeit, ou « vie éthique », est un concept développé par Hegel, désignant un ordre éthique fondé sur les coutumes et les traditions au sein d’une communauté.) qui conditionne la justification et la légitimation de la convention entre les acteurs impliqués. Ne pas se mettre dans cette disposition là, reviendrait à ne pas expliciter des positions empêchant la rencontre.

Porter tout son attention aux conditions concrètes de ce moment signifie prendre le temps et concevoir un dispositif convenable à tous. De la qualité de la composition du dispositif et de la délibération dépend l’atteinte de l’objectif affiché au début du processus, celui de se donner une certitude que l’on va déboucher sur un compromis respectable, parce que respectueux des positions et repositionnements des uns et des autres, que l’on tient compte du fait que les personnes changent dans le processus de rencontre, sans que cela apparaisse comme un ralliement subi, mais un moment d’émancipation collectif et réciproque.

Tout dépend du soin apporté aux processus délibératifs et aux suites données, par une « dette » commune contractée qui lie les personnes physiques et morales. Tout dépend de ce moment d’explicitation des rapports entre idéologies et utopies, de ce moment de potentialisation des possibles.

Ce qui est en jeu relève de la composition des engagements des uns et des autres. Laurent Thévenot propose une typologie des régimes d’engagement différenciés à articuler avec les conventions collectives publiques, opposables à tous, à égalité apparente, régies par la loi. L’engagement s’exprime par le langage, en argumentation et en résolution, par lequel sera mis en mots la convention de réciprocité qui convient. Mais, si la rencontre est question de langage, langage commun pour une argumentation discutée et partagée, il convient de savoir le mettre en cause « en explorant un en-deça de l’agir communicationnel selon Jürgen Habermas » (Laurent Thévenot, « Reconnaissances : avec Paul Ricoeur et Axel Honneth », dans « La Quête de reconnaissance, nouveau phénomène social total », Alain Caillé (ed.) , La découverte, 2007).

Laurent Thévenot s’appuie sur P. Ricoeur et A. Honneth pour comprendre ce qui peut faire la grandeur de l’engagement justifiable et l’estime sociale ainsi produite. Cet engagement doit trouver sa place dans « une grammaire commune aux ordres de grandeur ». C’est tout l’objet de ses propositions, en commun avec Luc Boltanski, à propos « de la justification, les économies de la grandeur » (Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification, les économies de la grandeur, Gallimard, Essais, 1991). Il présente les conditions « du dépassement de l’épreuve dans le compromis », (p. 337 et suivantes). Dans cette approche, « les grandeurs ne présentent pas seulement une typologie culturelle des valeurs », elles sont mobilisées dans des processus délibératifs qui « doivent apaiser la tension entre deux exigences premières, celle d’une commune humanité et donc d’une égale dignité des êtres humains, et celle d’un ordre d’évaluation qui établit nécessairement des états hiérarchisés »(Thévenot, p.274).

Deux conditions sont alors requises pour cet apaisement. La première est que les grandeurs ne soient pas durablement fixées à des personnes, à la différence des statuts collectifs stables que supposent les états sociaux institués. Le dispositif délibératif relance l’épreuve de qualification des personnes. La seconde condition réclame que la valeur de ce qui est grand « s’adosse à un bien commun, au sens où la grandeur des états de « grands » bénéficie aux « états plus « petits » » (idem). Les états de grandeur ne sont donc pas associés à des collectifs particuliers, mais à une façon de valoir pour une commune humanité : « Le sujet humain n’est pas qualifié parce qu’il est membre d’un cercle, mais parce qu’il est plus collectif que d’autres sous le rapport d’un ordre de grandeur. Les grandeurs n’épousent pas non plus les spécificités de différences culturelles, mais en proposent des dépassements valides pour l’humanité » (idem, p. 275).

Comprendre la mise en œuvre de ces épreuves de justification et leur effectivité suppose d’aborder les questions soulevées par leur mise en œuvre dans un agir en commun. Ces questions sont d’abord celles des conditions de participation des acteurs à ces processus et à leurs dispositifs constructifs délibératifs. Pour Nancy Fraser, il est question de « parité de participation ».

On ne pourrait faire l ‘économie d’une prise en considération d’une « éthique de la discussion » telle qu’envisagée par Jürgen Habermas avec son agir communicationnel, selon nous, enrichi par les conditions mises à l’effectivité de cet agir par l’instauration de ce que K.O. Apel désigne par le fondement transcendantal de « la communauté de délibération ».

Ces considérations problématiques sont peu souvent mobilisées lorsqu’il s’agit d’envisager des partenariats inédits faisant l’objet de convention de réciprocité. Elles pourraient également être enrichies de questionnements relevant de l’activation des processus sociocognitifs de l’attention, de la dissonance, de la résonance, en plus de ceux souvent mobilisés sous l’angle des approches pragmatistes à la Dewey ou celles en « sense making » à la Karl Weick.

Dans tous les cas, l’établissement de la convention de réciprocité, du fait des enjeux de composition/recomposition des inconditionnalités, ne peut se dispenser d’apporter tout le soin nécessaire à la conception et mise en œuvre des processus participatifs /délibératifs. Il en est de même pour les dispositifs de coopération comme composition de communautés mobilisées dans des espaces de réciprocité pour la construction d’engagements partagés.

Par delà les fausses évidences instantanéistes de la coopération, il faut laisser le temps de la composition et de la construction de l’accord. Sinon, l’inertie et les pesanteurs, après le bref moment d’émerveillement d’une rencontre improbable, produirait un aplatissement de celle-ci par la négociation d’un marché ou d’un contrat impersonnel.

Deux questions viennent cependant complexifier encore ce qui se joue dans la rencontre. Il s’agit d’une part du renversement et du saut qualitatif dans les rapports entre les acteurs engagés dans la rencontre. Il s’agit d’autre part du fait que les processus n’engagent pas comme acteurs l’humanité mais aussi le vivant en personnes.

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