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A propos de la « gouvernance » d’un collectif d’artistes, Métalu A Chahuter : questions, posées, et pas posées, sur les pratiques de ménagement en communs

Pour un étudiant en Master « Direction de projets ou établissements culturels, culture, création artistique et développement des territoires », stagiaire dans une association/collectif comme Métalu A Chahuter, le sujet incontournable sur lequel il a été invité à réfléchir par ses enseignants est celui, dit, de la « gouvernance ».

Pour cela, il a pu se faire une idée, comme on dit, en observant les pratiques au quotidien. Il a pu aussi recueillir des points de vue sur la question par de courts entretiens, en situations, avec des membres du collectif (10 artistes) et de son équipe d’« appui » (3 salariées).

Dans le cadre de son stage, il a eu, à plusieurs reprises, à rédiger, comme le font chacun.e leur tour les salariées et les stagiaires du moment, l’infolettre hebdomadaire « Tu sais pas la dernière… ». Cet «e-mail» d’une page est rédigé et adressé à tout le collectif, le vendredi en fin de journée. Il reprend tous les rendez vous de la semaine à venir, et, suivant la semaine, les accueils, les rencontres, les réunions avec celles et ceux concernées, dans des configurations variables , individuelles, au nom du collectif, à deux ou trois, associant salariées et artistes, selon les interlocuteurs, les réunions de l’« équipe » (des salariées), du « collectif » (les artistes « associés », la « réunionade » (l’équipe et les artistes, ensemble), le « conseil d’administration ».

Rédiger cette lettre, c’est donner à voir les pratiques de concrètes par lesquels le collectif s’ajuste dans ses relations, au sein du collectif et avec ses milieux associés.

Le stagiaire sollicité pour cette rédaction ne peut le faire qu’en s’informant de ces pratiques.

Aussi à la question formelle de la gouvernance la réponse ne pouvait être que de décrire les pratiques que résume et met en ordre chronologique l’infolettre.

Mais il faut aussi donner une représentation plus complète et dynamique de ces pratiques de gouvernance qui actent un agir en commun.

Entretien entre l’étudiant stagiaire RC, et CM, membre du conseil d’administration de Métalu – (juillet 2025)

RC. : Je commence par la structuration du collectif. Je sais qu’il y a beaucoup d’informations qui existent déjà dans les bilans, mais je préfère quand même poser les questions, en espérant avoir plus d’infos. Je vais commencer par vous poser ces trois questions : Quels sont les statuts juridiques actuels de l’association et ont-ils évolué avec le temps ? Comment le conseil d’administration est-il composé ? Comment les membres sont-ils choisis ou renouvelés ? Et quelles sont selon vous les valeurs principales que vous souhaitez défendre aujourd’hui ?

CM : Les statuts juridiques de l’association sont des statuts très conformes et simples. La loi française, dite loi 1901, dans sa définition, laisse une grande liberté d’organisation. Mais elle peut être vécue de façon très spécifique, très différentiée. Les statuts donnent un cadre qui doit définir les modes d’adhésion, d’assemblées (générale, exceptionnelle, etc.) et d’administration (une présidence, un « bureau » (en fait au moins une autre personne), un conseil (comprenant des membres élus en assemblée). Ce cadre est à respecter selon une temporalité rythmée sur une base annuelle. Il est « structurant » mais peut faire l’objet de réinterprétations dans sa mise en pratiques.

C’est l’histoire de sa mise en œuvre qui apporte les éléments concrets de qualification politique de la gouvernance, dans les phases successives de leur vécu et de leur reconnaissance mutuelle par les personnes formant le collectif. On est alors obligé de prendre en compte cette évolution, les moments d’équilibre et de déséquilibre qui ont pu exister.

Dans le cas de Métalu, aujourd’hui, dans le contexte spécifique d’un écosystème local, métropolitain, en Hauts de France, de pratiques artistiques, une première façon de caractériser la gouvernabilité exercée me semble, ici, de prendre en compte deux réalités entremêlées mais qui doivent être observées et comprises en même temps sans que l’une dépende de l’autre. Le rapport entre les deux est celui de l’ajustement des capacités dans une sorte d’adhocratie, en tout cas pas dans un mode hiérarchique.

La réalité première est celle du « collectif  artiste », lui-même, formé par les 10 artistes « associé.es ». C’est le cœur du travail en ouvrage qui justifie le premier agencement de la gouvernance. La forme de cet agencement dépend de la composition et de la formation du collectif sur base des interactions qu’il génère en son sein et des intermédiations avec d’autres, adhérents et usagers de l’association, associées à la mise en œuvre des pratiques artistiques.

L’autre réalité est celle de l’espace d’intermédiations que représentent ces mêmes « adhérents » et usagers. Cet espace relationnel se donne des représentant.es formant un conseil, dit, d’administration. Chez Métalu, et c’est son choix, renouvelé chaque année depuis un moment déjà, ce conseil se compose de 9 personnes, 3 d’entre elles, devant être des artistes du collectif, et les 6 autres, des « bénévoles », tous contributeurs, sous différentes formes, aux activités générées dans le cadre de l’« association ». Notons que les artistes ne sont pas les salariés de l’association, mais des salariés en contrats de travail intermittent.

La gouvernance de l’association est faite de l’articulation de ces deux réalités. Il faudrait ajouter que l’articulation elle-même est assurée par ce que l’on appelle, le « bureau », composée des trois personnes, trois femmes, qui se répartissent des activités en appuis à la création.

Le cadre réglementaire de l’association sous loi 1901 est respecté dans les quelques aspects formels, les statuts, formant obligation. Mais la gouvernance est ici régi par le ménagement des ajustements entre ces deux compositions que sont le collectif et le conseil.

RC : Ces formes de gouvernance ont-elles évolué ?

CM : Oui, bien évidemment. Les statuts eux-mêmes sont toujours les mêmes, mais les articles ont connu des changements, peu, semble-t-il.

Quand on regarde les différents articles de la loi 1901 telle qu’elle est appliquée dans le cas de Métalu, Il y a bien sûr des changements, en premier lieu, ceux liés à la localisation de la dite association qui a changé à différentes époques. Encore que, si l’association se doit d’être légalement localisée, d’avoir un « siège », ses agents exercent leurs activités « en association » dans les différents espaces et lieux qu’ils « occupent ». Par exemple, le siège de l’association peut être localisé ailleurs que là où tout ou partie du collectif agit. Actuellement, quand on se réfère à l’adresse de Métalu, on peut désigner la localisation du bureau, quelques pièces d’un ancien commerce de détail (rue Roger Salengro, Hellemmes-Lille). On peut aussi désigner un ancien bâtiment industriel, une partie tout au moins de cette friche industrielle, comme ensemble d’espaces formant ce que l’on appelle les « ateliers » (rue Dordin, Hellemmes-Lille).

Le nom lui-même de Métalu A chahuter témoigne des compositions et localisations successives : la fusion de deux collectifs, « Métalu » localisé antérieurement dans une petite usine portant ce nom, et « Haut » (A Chahuter) qui s’est trouvé cohabiter dans le même espace.

Il en est de même de la composition du conseil d’administration ; c’est une question récurrente, posée encore récemment, lors de l’Assemblée générale qui a eu lieu il y a 15 jours.

On a une règle très formelle de nombre de membres du conseil d’administration. Conditions pour être membre du conseil d’administration, être à jour de sa cotisation. C’est l’aspect statutaire, juridique, on le déclare à la préfecture quand il y a des modifications dans la composition du conseil d’administration. Et le conseil d’administration élit le bureau. Ça aussi, ça fait l’objet d’une déclaration en préfecture. Mais, ce n’est pas l’essentiel. Aujourd’hui, et je dis bien aujourd’hui parce que les choses ont pu être différentes à certaines époques précédentes, ces deux réalités, d’un côté un collectif d’artistes et d’autre part un conseil, s’emboîtent, si je puis dire, mais se différencient. Et d’ailleurs, cela se traduit toutes les semaines dans l’info lettre « Tu sais pas la dernière », qui informe des différentes réunions et activités partagées ? Et en tant que stagiaire, j’en suis même sûr, tu as été amené à rédiger à ton tour cette page hebdomadaire. On le voit bien, le collectif des artistes se donne une existence commune, c’est-à-dire se réunit, s’ajuste. Par exemple, Il y a quelque temps, M., artiste collaborant souvent aux spectacles de Métalu et adhérente de l’asso Métalu, est devenue, membre du collectif des artistes Métalu. Ça ne veut pas dire que ces artistes, membres permanents du collectif, sont les seuls artistes amenés à pratiquer des activités, des projets, des spectacles, à fréquenter les locaux ou les espaces. Mais il y a un collectif reconnu, auto-reconnu, d’un nombre précis d’artistes, avec des entrées, des sorties.

D’autre part, il y a un conseil d’administration, avec une règle désormais rappelée à maintes reprises : il faut un nombre d’artistes du collectif, 3 en l’occurrence, candidats au conseil d’administration de l’association. C’est un arrangement, ça n’est pas écrit quelque part ; c’est une règle implicite, dirimante de la vie démocratique de Métalu. On dit qu’il faut qu’il y ait au moins 3 ou 4, mais pas plus, artistes du collectif au conseil d’administration. Traditionnellement, dans les statuts associatifs, les administrateurs sont des bénévoles, à savoir des gens qui viennent selon leur « bonne volonté » et pas dans le cadre d’un contrat de travail qui les associerait à la structure. Ces administrateurs sont salariés d’autres structures, ou retraités. Là, on est dans un cas de figure un peu particulier, c’est une façon de faire converger des statuts d’association avec une pratique de la coopérative, avec des salariés « associés » et des administrateurs qui se comportent comme des associés. Mais les décisions d’orientation, concernant par exemple l’artistique ou qui ont trait aux usages du lieu, sont fortement dépendantes des ajustements qui s’opèrent au sein du collectif d’artistes. Et puis il y a des orientations sur l’évolution de l’association, notamment dans ses rapports aux financeurs et au bailleur (la ville d’Hellemmes) qui dépendent de discussions qui ont lieu dans le conseil d’administration, avec des artistes, mais avec des gens extérieurs au collectif, adhérents, quasi associés.

Voilà, des gens comme moi, adhérents de l’association, qui ont des raisons personnelles, non seulement d’apporter un soutien, mais aussi de participer à cette gouvernance collective, à des degrés différents, et sous des modalités différentes, pour les uns ou pour les autres. Je ne parle pas, ici, des fonctions formelles, président, trésorier, secrétaire, définies par les statuts. J-L. est le président. Il a un rôle particulier dans l’association. Il a un rôle important de représentation vis-à-vis des collectivités locales. Mais il n’a pas un pouvoir particulier au sein du conseil d’administration. Il n’est pas forcément le plus bavard d’ailleurs dans le conseil d’administration. On a M. qui est trésorière, mais elle n’est ni comptable ni en charge du montage financier des projets par exemple. Et puis, moi j’en suis le secrétaire ce qui me fait jouer un rôle parfois de prise de note et de rédaction, souvent en commun avec I. l’administratrice de l’association, des comptes rendus ou des relevés de décision, des discussions qui ont lieu dans l’association. En fait, ce ne sont pas des fonctions très formalisées. Et donc, par exemple, un principe de gouvernance au sein du conseil d’administration, sera de se préoccuper de la vie du collectif et des activités du collectif artistique. On ne prendra pas de décision sans s’être assuré au préalable que le collectif d’artistes ne se soit pas donné une opinion collective sur cette question-là. C’est-à-dire, le collectif n’est pas aux ordres du conseil d’administration et l’inverse n’est pas vrai non plus. Le conseil d’administration n’est pas aux ordres d’un collectif qui n’est pas présidé. Il faut préciser ce point parce que, dans la vie de Métalu, à d’autres époques, ces rapports entre le collectif et le CA ont pu être vécus différemment.

Ces différences tiennent à la façon de positionner cette autre réalité qui est le petit collectif, appelons le le « bureau », que forment les salariées en charge des activités de production, de gestion, d’administration, de communication, etc… C’est une troisième réalité qui intervient dans les pratiques de gouvernance. De la même façon, le conseil d’administration ne définit pas de grandes orientations en les imposant au collectif et au bureau, c’est plus complexe que ça.

Dans la vie de Métalu, cela a pu se passer différemment quant bien même les statuts étaient globalement les mêmes. On s’en parle souvent parce que tout ça s’est étalé sur 20 ans, sur 25 ans. Je n’en connais pas tous les épisodes, mais on y revient lorsque s’amorcent des discussions qui pourraient être tendues. Ce n’est pas facile. L’expression, forte, des singularités des artistes tient une place importante dans la conduite des réunions, celle des artistes, mais aussi celle des membres du CA. Ces dernier.es sont tous actifs ou anciens de structures artistiques ou culturelles, participant au même « monde ». On peut constater leur implication lors des fêtes qu’organise Métalu. Ces fêtes mobilisent un milieu local assez spécifique, amateur d’expressions artistiques et culturelles alternatives aux formes dominantes de l’« entertainement » majoritaire qui se mêle aux habitants du quartier, l’habitant souvent lui-même. Tous sont conscients, de fait on s’en parle souvent, que les accomplissements personnels trouvent leur sens dans la réussite du collectif ; une réussite collective faite de singularités assez différentes…

Tous ces éléments de pratiques participent de la gouvernance.

Pour résumer, si tu prends en considération les pratiques concrètes d’articulation de ces trois éléments, le collectif, le conseil d’administration et le bureau, tu peux observer des tensions, parfois même des oppositions marquées par des départs, à cause de situations difficiles, de financements, etc. Il ne faut pas perdre de vue que les situations dites de gouvernance sont souvent largement induites par le contexte de financement, le contexte politique local. En période de crise et de difficultés, évidemment, parfois, des personnalités émergent, un peu dans la posture du « repreneur ». Elles sont parfois sollicitées par les financeurs publics et peuvent s’appuyer sur des dispositifs publics (de type DLA, par exemple) pour assurer ce qui est vu comme un rétablissement. Ces dispositifs publics priorisent la formalisation du projet et son portage par une direction assumée. Ce n’est pas dit aussi directement, mais en fait c’est de cela dont il s’agit. Et donc parfois, au sein du collectif, il pourrait y avoir, et il y en a déjà eu la tentation, des situations où l’une ou l’autre des personnes prenne une espèce d’ascendant. Un ascendant, ce n’est pas « grave » du point de vue de la visée collective coopérative. Il faut constater que certains prennent plus ou moins la parole. De fait, certains font preuve d’un leadership plus fort. Mais ce leadership s’exerce sur des activités et des situations différentes, permettant à chacun d’être en position de leader sur un sujet ou un autre, ou selon les moments durant lesquels chacun est davantage engagé dans des projets internes au collectif ou plus en coopération avec d’autres artistes ou collectifs « alliés ». L’ascendant circonstanciel ne prend pas une forme, hégémonique, organisationnelle ou administrative, par exemple faisant fonction de directeur ou de directeur artistique. Mais parfois, dans certaines circonstances, ça a pu être dit, pour le bien du collectif, pour le bien de l’association, pour faire plaisir aux financeurs, on va leur faire croire / comprendre qu’il y a un directeur artistique, ça va les rassurer. Et des personnes peuvent parfois se conformer à cette espèce d’exigence de gouvernementalité recevable par la puissance publique. C’est arrivé. Dans une période précédente, quelqu’un, s’était instauré directeur administratif, directeur artistique, dans les faits, et avait commencé à le revendiquer en tant que tel. Y compris à le revendiquer, et là on touche des éléments sensibles, à le revendiquer sur le plan de la reconnaissance professionnelle, y compris salariale. Ça a été réglé. Au terme d’un moment de forte crise, la personne est partie. Dans une autre situation, à un autre moment, c’est du côté du bureau que l’émergence d’une direction de fait est venue. Là aussi, amenée par les mêmes contraintes, les mêmes pressions de l’extérieur se sont exercées pour qu’il y ait un directeur ou une directrice. Et donc, dans une époque un peu antérieure, la personne en charge d’un rôle de coordination du bureau l’a fait évoluer vers une position de directrice. Et en tant que directrice a voulu changer le fonctionnement du collectif des artistes, et en repositionnant le conseil d’administration dans un rôle de pilotage des orientations et des projets, pour n’en faire qu’un conseil un peu formel qui enregistre des projets définis ailleurs. On retrouvait alors une gouvernance conforme à beaucoup d’associations, dans laquelle le conseil d’administration ne sert qu’à entériner ce que le directeur ou la directrice a élaboré, y compris les projets plus artistiques. Et donc il y a eu un épisode où quelqu’un, une, du bureau s’est instituée de fait en tant que directrice. il en a résulté un malaise, une difficulté au sein du bureau d’une part et d’autre part au sein de l’association. Et elle a voulu aussi que ça se traduise dans les faits de gestion et qu’elle soit reconnue comme directrice. Elle est partie. Donc on est désormais, et depuis un moment déjà, dans une situation d’équilibre des relations. Les personnes sont différentes avec des positions plus fortes ou plus affirmées, mais cela n’empêche pas l’équilibre, des différents « collectifs », le collectif, le conseil d’administration et le bureau.

Et d’ailleurs quand on regarde ça du point de vue des rémunérations, ces équilibres ne peuvent exister que s’il y a une certaine harmonisation dans les rémunérations. Si l’un gagne nettement plus que les autres, il ne peut pas y avoir d’équilibre. Alors ça ne veut pas dire que les gens gagnent exactement pareil. En plus, par exemple, les salariées du bureau voient leur rémunération régulée, par des conventions collectives du secteur, ce qui n’est pas le cas pour les artistes. Ces questions sont débattues dans le conseil d’administration. A la fois, on se conforme à ces conventions collectives, mais on s’assure d’un équilibre. Par exemple, ce n’est pas une règle de gouvernance formelle, mais on tient compte de l’équilibre des rémunérations entre le collectif artiste et l’équipe salariée. Un collectif d’artistes qui aurait un grand déséquilibre de masse salariale par rapport au bureau, ça poserait problème, l’inverse aussi. Et donc l’équilibre des rémunérations et des masses salariales des artistes et du bureau fait partie des règles implicites, informelles. Ces règles sont plus fortes que des déclarations d’intention formelles sur les prétendues grandes valeurs. Ces « principes » d’équilibre dans les rémunérations, de reconnaissance mutuelle, etc., sont vécues comme plus importantes que des grandes déclarations qui sont vécues comme surtout utiles vis-à-vis de l’extérieur.

RC: Je pense qu’on a répondu à la plupart des questions. Mais, dans la deuxième partie, c’est sur la gouvernance participative et ses principes que je souhaite vous interroger.

Comment définissez-vous la notion de gouvernance partagée dans le contexte de Métalu ?

Comment s’organisent les prises de décisions collectives ?

CM:

Je pense avoir commencé à répondre à cette question en détaillant la dynamique des collectifs et de leurs interrelations.

Mais, je souhaite continuer à répondre d’une façon qui va peut-être vous surprendre. Plutôt que de parler des dispositifs de gouvernance, dite, participative, ce que je crois avoir déjà abordé, je pense plus utile d’entrer plus avant dans les pratiques de gouvernabilité qui tiennent compte des positions, que je qualifierai de socio-économiques, des artistes permanents du collectif. Je souligne permanents puisque, comme je l’ai déjà souligné, d’autres, artistes, chercheurs, acteurs de structures culturelles locales, etc. peuvent intervenir, ponctuellement ou de façon plus régulière dans les activités et les projets artistiques du collectif. C’est le cas dans les moments de résidence associés à certains projets de création. C’est aussi le cas lors des fêtes organisées par Métalu, qui rassemblent chaque plus de 1000 personnes sur deux jours. Il faut assurer l’accueil, la restauration, le bar, les spectacles en scène ; tout cela occasionne des problèmes de gouvernabilité concrètes.

Mais, on ne peut pas parler de gouvernance et de pratiques de gouvernabilité, sans entrer dans les compositions et modes d’agir des collectifs, des capacités de leadership et d’intermédiation avec les « partenaires », les « publics » – Il faut détailler les pratiques concrètes -, sans faire référence aux seules positions des artistes du collectif.

Si je passe en revue rapidement les positions des 10 artistes permanents, en gros, voilà ce que cela donne. Je précise qu’il s’agit de leur position, aujourd’hui, pour l’année 2025. Cela a pu être différent précédemment, et cela pourrait évoluer pour certain.es d’entre eux/elles. Précisons que nous avons ici la parité, 5 hommes, 5 femmes. Ça correspond assez bien à la proportion que l’on retrouve dans pas mal de collectifs culturels. Le genre n’est, ici, pas discriminant pour caractériser les situations spécifiques des artistes. Dans d’autres cas, on montrerait que les femmes artistes peuvent être pénalisées dans l’accès aux dispositifs et financements des résidences.

Notons que ce n’est pas le cas de l’équipe de salariées du bureau, 3 femmes. Là aussi cela correspond assez bien à la situation de pas mal d’associations culturelles artistiques où les « emplois » salariés sont surtout assurés par des femmes, jeunes, souvent. D’ailleurs dans les cursus universitaires qui « préparent » à ces situations, les femmes sont très majoritaires.

Chez les artistes, 8 d’entre eux/elles sont « salarié.es » avec le « statut » intermittent du spectacle ;

1 était jusqu’il y a peu, enseignant à l’Université, à mi temps, consacrant le « reste » de son temps à ses activités de création sans « statut » ou rémunération complémentaire, aujourd’hui bénéficiant d’une « pension civile » en tant que « fonctionnaire », il est à temps plein « bénévole », agissant de son « bon vouloir», comme le signifie le mot bénévole ;

1 est en fait en « micro entreprise », ce qui ne l’empêche pas, pour certaines activités d’être salariés, en CDD d’usage, pour Métalu ou une autre structure.

Si on regarde de plus près, la situation des 8 « intermittents », des différences se remarquent entre eux/elles , et suivant les périodes.

L’une des modalités de gouvernance partagée, est la vigilance collective qui s’exerce pour que tous atteignent le nombre d’heures minimum (507 heures rémunérées en contrat de travail ) pour obtenir, chaque année, son « statut » d’intermittent. C’est une règle implicite mais très forte qui fait que l’on tient au collectif. Comme par hasard, la dernière création du collectif porte comme titre « Ce qui nous tient », tiens, tiens. La création ne parle pas de l’intermittence ni des conditions salariales mais de ce qui fait tenir les collectifs et de ce pour quoi les collectifs y tiennent. Si certain.es, certaines années, ont des difficultés à le faire, on s’organise en conséquence pour permettre à chacun d’y arriver, a minima.

Dans les faits, les intermittents ne sont pas dans la même situation vis-à-vis de Métalu de ce point de vue. C’est bien l’une des préoccupations du bureau de gérer cela, à l’année, et en anticipant les situations des uns et des autres artistes, tout en générant les projets artistiques, les implications des artistes, permanents, d’abord, des artistes supplémentaires, ensuite, ainsi que la diffusion des spectacles. Ainsi, cette année, si l’on regarde comment chaque artiste a « assuré » son statut en réalisant ce minimum de 507 heures cela donne le bilan suivant. 4 artistes ont plutôt fait leur statut par des contrats salariaux portés par Métalu. 4 ont eu des contrats avec Métalu mais aussi, et plus que les 4 autres, avec d’autres, souvent des compagnies ou collectifs alliés avec lesquelles ils travaillent régulièrement.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette différence. C’est d’une part, le fait pour certains de porter des activités moins centrées sur de la création et plus de la mise en ouvrage de la création (régie technique, régie son, montage démontage, mise en œuvre technique, etc.). C’est d’autre part, le fait pour d’autres d’avoir des activités plus dépendantes de l’occupation des espaces partagés pour de la construction, pour des intermédiations situées : accueil d’artistes ou de chercheurs, collaborations avec eux sur l’espace plateau, les « ateliers » de construction (mécanique, électronique, bois, costumes, décors…). Ces différences dans les modes de salarisation traduisent aussi des différences d’intermédiations internes et de « recours » aux salariées du bureau pour les activités d’aide à la création, à la production (recherche de partenariat, de financement, montage des projets de co production, gestion des résidences, etc.), à la diffusion des spectacles avec ce que cela suppose de mise au point des supports de présentation des « spectacles’, installations, etc., de prise de contact pour des présentations conjointes des spectacles auprès des programmateurs, des collectivités locales notamment. Selon les années, certains sont plus dépendants de ces intermédiations et de la mobilisation active des salariées du bureau dont le rapport à l’engagement et à la mesure du temps de travail ne peut pas être le même que celui des artistes, dans d’autres positions salariales.

Tout cela doit être apprécié finement pour comprendre ce que peuvent être les pratiques de gouvernance partagée.

Ainsi malgré ces différences dans les modes de collaboration/coopération internes et externes, un processus d’engagement commun se construit et se maintient (au sens où il faut en assurer la maintenance) qui fait que peut s’affirmer une appartenance revendiquée : Ici, c’est Métalu, c’est pas autre chose, n’importe quel « collectif », « asso », « lieu ». C’est dans ce sens que l’on peut dire que cela « fait milieu », à partir de singularités fortes qui résultent de parcours et de contextes d’intermédiations diversifiées et contrastées. En premier lieu, pour certains et selon les années, les relations contractuelles peuvent être plus ou moins nombreuses et denses avec des structures autres que Métalu. Elles peuvent alors être à différents niveaux d’« alliance politique » plus encore que de coopérations technico-économiques. Dans tous les cas, pour tous, elles jouent un rôle important dans la composition des activités à oeuvrer ensemble au sein du collectif.

Pour une approche plus fine et, peut-être déterminante pour certains, dans ce qui permet de « faire milieu » auto gouverné, il faut aussi et peut-être surtout prendre en considération ce qui permet de faire « milieu de vie » partagé. Interviennent alors les rapports instaurés avec les ressources matérielles (les outils, les stocks de matériaux, les costumes (plus de 8000 en stock..), les objets récupérés…) et immatérielles (les esthétiques, les formes, et formats multidisciplinaires notamment, celles relevant de pratiques permaculturelles artistiques, les connaissances, les compétences, les réseaux, les contacts, les outils numériques, les logiciels…), tout cela dans leurs processus concrets de mise en communs.

Faire milieu de vie auto gouverné signifie aussi prendre en considération, voire en compte, les activités liées au « ménagement » du « lieu », ici l’ensemble des espaces, dans leurs dimensions matérielles, les sites, bureaux, ateliers, espaces communs, dans leurs dimensions corporelles, physiques, sensibles…

La gouvernance partagée c’est alors, aussi, les « aménagements » des espaces partagés. On sait que ce qui fait lieu intermédiaire indépendant, ce sont des pratiques d’occupation commune dans des cycles d’emménagement, aménagement, ré aménagement, déménagement, ré emménagement…

C’est le cas pour l’aménagement plus ou moins provisoire et/ou plus durable, des divers espaces partagés, plateaux, scènes, ateliers, stockage, costumerie. C’est tout particulièrement le cas pour l’espace qui fait cuisine, salle de réunion et de convivialité, au sens étymologique du mot. Ces espaces sont tous potentiellement ouverts aux artistes, chercheurs, voisins parfois, avec lesquels le collectif coopère. Toutes les « contributions » participant aux activités partagées sont, de fait, « évaluées » collectivement en valeurs d’ouvrage mais pas en travail rémunéré. Elles font l’objet d’une valorisation et d’un équilibrage qui pour être implicite n’en est pas moins prégnant et structurant des modèles de représentation de l’agir en communs. Cet implicite, n’empêche pas les moments expressifs d’ajustement et de rééquilibrage qui peuvent intervenir à tout moment. Le « faudrait pas que ce soit toujours les mêmes ! » peut voisiner avec le « c’est pour nous que je fais cela !». L’idée d’introduire des budgets, dits, « contributifs » qui objectiveraient, même avec des évaluations co construites par les « usagers » des lieux a été plusieurs fois débattue. Mais cela a peut-être davantage contribué à un renforcement d’une valorisation subjective qu’à justifier un outillage spécifique. Recourir à une évaluation chiffrée pose la question de l’établissement de la mesure. Des expériences à ce niveau ont pu être présentées et discutées dans lesquelles les contributions cherchent à s’évaluer en niveaux de qualité, de prise en charge intellectuelle, sensible, de responsabilité, tentant de refouler la tentation de la mesure en qualité qui, de fait, en reviendrait vite, à une mesure en temps de travail. Cela ne veut pas dire que des évaluations en temps ne sont pas faites, mais alors ce sera du temps prévu en projection, du temps à passer par le collectif sans individualisation des activités et des tâches : « il nous faudra au moins une journée, si on s’y met tous ». En fait, il n’y a aucune obligation que l’on s’y mette tous sur tout parce que l’on sait que cela s’équilibre dans le temps et dans la diversité des capacités et des contributions. La condition implicite est ici que le collectif assure mutuellement les conditions acceptables de vie de tous. Un tableau style école, régulièrement mis à jour, permet une mise en visibilité et régulation de ces activités dans leurs différents espaces. C’est un outil important d’organisation des activités collectives et des contributions sollicitées. Ces aspects entrent dans les pratiques de gouvernance au moins autant que les réunions formelles des collectifs.

Ces pratiques de gouvernance partagée des activités et des contributions révèlent un fonctionnement de Métalu en « caisse de mutualisation », en tout premier lieu et principalement pour les artistes du collectif, mais aussi pour quelques collectifs, compagnies ou artistes isolés.

Il faudrait développer et problématiser davantage cette question, mais on peut dire, que la mise en œuvre des intermédiations de création, ici mises en ouvrage partagé, est dissocié d’une gestion de contrats d’emploi dans le cadre statutaire de l’association porteuse. Cette « caisse » sectorielle, culturelle, artistique, locale, territoriale, opère parmi d’autres caisses/dispositifs de socialisation/sécurisation des éléments de salaire et de protection sociale (unedic- assedic, conventions collectives, caisses de retraite, pensions civiles, etc.). De la même façon, on pourrait aussi dire que les apports en contributions bénévoles des adhérents et des usagers pourraient correspondre à cette dimension de la mise en ouvrage de la part qu’ils consacrent à Métalu en travail « démocratique ». Approfondir ce point permet d’aborder d’une façon plus complexe et complète les pratiques réelles de gouvernance.

Alors, tu m’interroges sur les dimensions plus formelles statutaires que prend la gouvernance partagée. C’est un aspect de mise en formes instituées auquel on ne peut échapper, ne serait-ce que pour fonctionner avec les institutions dans l’espace public et dans l’écosystème local.

Oui, il y a aussi tout l’outillage statutaire légal. Mais est-ce que Métalu recourt à des outils formels censés instrumenter la prise de décision ? Les cycles et les occurrences des réunions des différents collectifs présentés précédemment sont articulés en dispositifs concomitants d’élaboration d’un concernement et consentement partagés. Mais dans l’outillage légal et statutaire Il n’y a que le fonctionnement du conseil d’administration qui transparaît. Cette question est abordée avec le « sérieux » et la ritualisation requise nécessaire. Ça veut dire que les réunions de conseil sont préparées, et planifiées. C’est le travail du « collectif bureau » et de son administratrice coordinatrice, en lien avec le bureau du conseil. Cette préparation se nourrit des avant-projets et de ce qui peut faire l’objet de décision, mis au point en amont, aussi bien lorsqu’il s’agit des projets artistiques, des projets d’aménagements, des partenariats, des événements, etc. Et aussi, par exemple, des décisions sont prises concernant l’usage et l’évolution des espaces, des locaux, des ateliers, par exemple. La question des aménagements des espaces tient une place très importante dans les discussions du conseil. Les compétences spécifiques des membres du conseil sont sollicitées, celles de J-L., qui en est le président, mais qui a été précédemment, avant sa « retraite », en responsabilité technique des équipements culturels de la ville de Lille, ou quelqu’un comme Ma., qui est aussi, membre du conseil d’administration, qui a eu des fonctions dans des organisations culturelles comme Lille 3000, etc., ou G. qui est architecte. Ce qui est en discussion, ce ne sont pas vraiment des décisions à prendre, mais des tactiques et des stratégies à mettre en œuvre pour faire évoluer les usages de l’espace en lien avec le bailleur propriétaire, la ville d’Hellemmes. Le fait que G. soit architecte et qu’il puisse aussi préparer à l’avance des dossiers techniques, permet de les discuter en conseil d’administration après qu’ils aient été discutés au sein du collectif artiste. Après la vérification que cette question a déjà été discutée entre les artistes, les trois artistes, membres permanents du collectif, mais aussi membres du conseil d’administration, donnent d’abord leur point de vue. On écoute d’abord le point de vue des artistes, membres du conseil d’administration, qui parlent au nom du collectif dans son ensemble. Et les membres du conseil d’administration qui ne sont pas membres du collectif artiste, les « bénévoles », apportent aussi des arguments qui tiennent compte des systèmes de relation dans lesquels ils fonctionnent à l’extérieur de Métalu. Moi, par exemple, de par ma pratique de recherche action au sein des organisations publiques pour soutenir les activités artistiques, j’ai la possibilité d’être non seulement un ambassadeur, mais aussi d’avoir un rôle dans des éléments d’évolution des espaces. Par exemple, j’ai siégé au comité d’attribution des aides pour les tiers-lieux au sein de la MEL, en tant qu’expert et membre de ce comité, j’ai beaucoup facilité le fait que Métalu puisse être aidé au titre des lieux culturels, au titre des tiers-lieux. Donc, on entre en discussion au conseil d’administration avec ces éléments de préparation. Dans ces moments, sans qu’on ait besoin d’un outil, c’est un débat, une discussion, la parole circule. On n’imagine pas que ça ne puisse pas être un consensus, et on prend le temps qu’il faut pour que cela le soit. Ce sont des règles, des outils un peu informels/formalisés, mais très surveillés.

RC : Je pense que tu as répondu aussi à la question de la présence d’un comité, dans quelle situation le conseil d’administration intervient-il directement, et quelles décisions sont laissées en place ? Dans quelle situation le conseil d’administration intervient-il directement ? Et quelles décisions sont laissées aux membres en assemblée ?

(reprise des questions sur base de la grille d’entretien )

Pouvez me donner un exemple récent de prise de décision collective ? Et quel rôle jouent les facilitateurs ou les pilotes de projets dans l’Équilibre des Pouvoirs ? Avez-vous constaté l’émergence de leaders informels ou de figures dominantes, malgré le principe d’horizontalité ?

CM: Tu as raison de poser des questions précises sur ces aspects-là. Tu veux savoir si le collectif a mis en place des chartes ou des outils de régulation interne ? En fait, oui, malgré tout. A certains moments, on n’y échappe pas. La décision construite par consensus devient une espèce d’obligation vécue, en tant que telle, par les personnes, tout en demeurant informelle. Des formes de chartes ou autres outils de régulation interne sont mis en place. Ces « règles de fonctionnement » sont affichées dans les espaces, souvent même sous une forme graphique ou sur des supports en rapport avec les pratiques artistiques ou de « communication » habituelles au collectif. C’est d’autant plus important de les « mettre en place » qu’une partie des activités supposent des échanges avec des personnes en dehors du collectif artiste, de Métalu dans son ensemble, et bien sûr en dehors de son conseil d’administration. N’oublions pas que ces espaces (plateau, ateliers, espace « coworking », cuisine, ce qu’on appelle aussi l’« appartement » qui est un espace de travail en résidence, l’espace son, les espaces de stockage..) sont partagés avec des artistes, plus ou moins, « extérieurs », avec des collectifs, petites compagnies ou associations, alliées, vis-à-vis desquelles Métalu, dans ses différents collectifs (bureau, collectif artiste, conseil d’administration) joue un rôle d’intermédiation et de facilitation. Le bureau, par exemple, assure un rôle de facilitation pour des artistes qui ne sont pas membres du collectif, ou de petites compagnies artistiques qui ne sont pas dans Métalu, mais que le collectif aide. De même que Métalu prête, loue, s’arrange avec d’autres pour partager des espaces. Les « facilitations» – Leur appellation n’est en fait pas stabilisée – sont plus ou moins tarifées. Elles ne sont pas vraiment formalisées. Parfois c’est de la réciprocité, je te rends service, tu me rends service, je t’héberge. Par exemple, une compagnie vient utiliser les locaux, puis, lors des fêtes que Métalu organise dans ses espaces, ou sur le domaine public, la « fête » de la plaine (des métallurgistes), elle vient faire une présentation de son spectacle sans facturer, parce qu’il y a eu un arrangement avant, parce qu’ils ont bénéficié des ressources de Métalu pour monter leur spectacle.

Tout n’est pas tarifé. Et donc ça a besoin de chartes, d’outils, de régulations parfois. C’est important d’observer ces pratiques d’échanges et de réciprocité au regard des obligations légales. Comme tout lieu de pratiques culturelles, ici « lieu intermédiaire indépendant », l’accueil du public est une question importante et complexe. Métalu connaît des restrictions importantes dans ses droits d’occupation des locaux. Un «accord d’occupation précaire » est donné et régulièrement confirmé, mais sans formalisation d’un bail. Cela entraîne de fortes contraintes pour accueillir ses publics. N’étant pas ERP (établissement recevant du public), quant bien même, Métalu, dans ses espaces metalu.net, est reconnu et a été aidé en tant que « tiers lieu » et espace de coworking, Métalu ne peut accueillir du public que sous certaines conditions. Par exemple, pour les fêtes, les participants doivent être adhérent. S’ils le le sont pas encore, pour pouvoir accéder à la fête, ils doivent adhérer à l’association, remplir un « bulletin d’adhésion », verser une « cotisation », certes un peu symbolique (2 €). Tout cela fait l’objet d’une espèce de rituel d’accueil que les participants observent bien volontiers et c’est souvent l’occasion d’expliciter aux personnes accueillies, les conditions d’occupation du lieu.

De la même façon, des éléments de régulation des relations à l’œuvre au sein de Métalu ont besoin d’être explicités et formalisés. Comme dans toute « organisation » collective les relations font l’objet de règles, mais aussi de surveillance de, vigilance à, la bonne tenue de certaines relations que l’on pourrait qualifier de sensibles.

C’est le cas des relations entre les artistes qui ont, par exemple, un rapport spécifique aux horaires de travail et à l’accès aux locaux. Un artiste, évidemment, va travailler/œuvrer, à tout moment, en journée, le soir, le samedi, le dimanche, etc. Les salariées, elles, ne sont pas dans les mêmes pratiques de ce point de vue. Il faut prendre en considération ces pratiques pour palier des effets qui pourraient être préjudiciables pour les personnes et pour la vie aussi du collectif. Les membres du conseil d’administration sont très sensibles à la justesse des rapports, surtout hommes-femmes, dans la vie des organisations. A ce sujet, des règles précises ont été définies. On a expressément désigné quelqu’un.e pour avoir un œil exercé sur ces questions et éventuellement jouer un rôle de médiateur.rice pour réguler des questions qui, si elles n’avaient pas été abordées, auraient pu devenir préjudiciables à la vie du collectif. Dans les formes de gouvernabilité que l’on pratique ici on n’échappe pas à ce type de question. Il a donc été convenu, de façon préventive, de se mettre en vigilance et d’attribuer momentanément des rôles particuliers sur ces questions-là, pour s’en assurer. C’est une forme d’équilibre des pouvoirs aussi, que de regarder l’équilibre dans les relations entre les personnes pour que ces pouvoirs – au sens de capacités collectives et individuelles d’action – ne soient pas pratiqués en dominations.

Mais, les principes et pratiques d’horizontalité doivent être compatibles avec l’inévitable émergence de leaders informels ou de figures charismatiques. Les personnes ont leur singularité et leur forte personnalité, et cela est connu et reconnu. Mais les formes de leadership s’exercent de différentes façons, qu’il faut bien prendre en considération. Ces questions ne sont pas du tout évacuées. Cela se constate et se ressent. Il suffit de participer à un conseil d’administration. C’est le rôle des membres du conseil d’administration, extérieurs au collectif, que d’être dans une position d’équilibrage des positions de leaders. De la même façon qu’on peut être leader de différentes façons, on peut l’être sur différents points. C’est alors plutôt envisagé en termes de compétence qui potentiellement s’équilibrent à condition qu’on ait un œil là-dessus. Mais c’est formes différenciées de leadership sont acceptées, considérant que sans cela il n’y aurait pas de vie sociale possible. On ne peut pas échapper à cela, à condition de trouver les formes pour, à un moment donné, ne pas frustrer les personnes dans leurs besoins d’expression, ne pas empêcher leur forte singularité exprimée sur un point, mais en même temps faire en sorte que ça soit mis au service du collectif et pas contre le collectif. C’est toute la subtilité des formes d’organisation qu’on s’efforce d’animer. Mais parfois, ça « se chamaille » et ça « gueule ».

D’abord, certains ont, plus que d’autres, de fortes capacités d’expression. Comédiens, comédiennes, et autres métiers exerçant des arts de rue, ils, elles sont des « personnages » dans leurs pratiques expressives artistiques et plus globalement leurs pratiques de vie. Les stagiaires de passage à Métalu en font immédiatement l’apprentissage. Il y a, ce que l’on pourrait appeler, des « fortes capacités d’expression ». Mais « le personnage », sait qu’iel a besoin des autres sur de nombreux points, Ça se régule de la façon suivante, telle qu’elle s’exprime directement, lors des échanges en collectif, « Tu gueules, mais alors t’es tout seul ».

En fait, cela montre les formes subtiles de « ménagement des relations » qui s’instaure dans les pratiques quotidiennes. C’est une complexité relationnelle qui suppose des formes très fines, et souvent paradoxale, indirectes, de « gouvernance ».

Le fait, par exemple, d’avoir aménagé, ensemble, les espaces, la cuisine notamment, cela permet des usages en commun, mais surtout une convivialité tout à fait particulière. Avoir construit ensemble, ça « soude » et apaise beaucoup les éventuelles tensions d’occupation. Personne ne peut se sentir utilisateur titulaire exclusif de quoi que ce soit. Tout le monde a construit sa part. Alors, certains sont plus dans un moment de construction collective que dans un autre, cela dépend de questions de compétences et ou de disponibilité. La priorité ne peut pas être donnée aux engagements pris en matière de spectacles ou d’interventions artistiques, mais, dans les faits, sur le moyen terme, les apports s’équilibrent. C’est ce qui permet au collectif de faire communauté, de faire converger les pratiques, dans une communauté d’ouvrage. Et d’ailleurs, c’est autour de la table, souvent en mangeant et en buvant un coup, que la régulation s’opère.

La table joue un rôle important. D’ailleurs, c’est significatif, on vient de décider que pendant les réunions du conseil d’administration, on ne boirait un coup qu’après la tenue du conseil. On avait tendance à faire un mélange des genres. On commençait à boire un coup dès le début de la réunion. Ce qui fait que les membres du collectif artiste, mais non membres du conseil d’administration, passant dans la cuisine, et voyant les membres du conseil boire un verre, assis autour de la table, se sentaient tout à fait en droit d’intervenir. Personne ne leur aurait interdit d’être présent dans la cuisine, où tout le monde est, parce qu’on y mange et on y « boit » ensemble. Cela correspond aussi à des moments de gouvernance, ceux où les membres du conseil d’administration échangent avec l’ensemble (ou presque, il y a toujours des absents puisque ce n’est pas une moment formel), et donc il ne s’agirait de l’interdire. Mais ça dégradait le formalisme du conseil d’administration. Si tout le monde est là, tout le monde boit un coup, et tout le monde prend la parole, sans formalisation du « moment » spécifiquement « conseil », dans ce cas, il y aurait manquement à une règle qui pourrait être préjudiciable à la gouvernabilité partagée. Donc, on a décidé de revenir à ce qu’on faisait avant. Très formellement, on entre en réunion, on traite les questions de la réunion, et après, on boit un verre, et s’il y a d’autres membres du collectif qui sont là, ils peuvent passer, mais ils ne sont pas dans la réunion. Pas dans celle-là, en tout cas. Ils sont présents aux réunions du collectif. Mais, ils sont aussi présents et actifs dans une « communauté ouverte » qui se forme lors des nombreuses rencontres entre artistes du collectif, autres artistes de passage et membres du conseil, eux-mêmes très souvent présents. Ces rencontres se font à la cuisine/salle de vie, au bar qui occupe une place dans l’espace principal au sein des ateliers. Mais, désormais, on respecte le moment entre membres du conseil, dans lequel les artistes sont « représentés ». Et après, ce moment, on boit un coup avec tous ceux qui sont présents, artistes et même salariées du bureau. On a ressenti la nécessité de bien préciser ça. Mais, certains n’aiment pas trop ce formalisme de la discussion « assise »autour d’une table. Certains préfèrent une présence gesticulée, ambulatoire. C’est comme ça que ça se passe, comme dans la vie, dans les espaces publics.

Mais moi qui suis aussi dans d’autres collectifs d’artistes, dans d’autres associations, je perçois des différences notables dans les pratiques de gouvernance avec d’autres collectifs qui se pratiquent et ou s’expriment plus en « structures » et « procédures » formelles.

Si on envisage les pratiques au regard d’une mise en place « efficace » des projets, avec en arrière pensée un jugement en rentabilité induit par les financeurs publics qui tendent à évaluer les « aides » attribuées aux associations en termes de nombre d’ETP produites, on pourrait considérer que Métalu n’est pas la plus efficace dans la mise en œuvre de ses activités et de ses projets. Les jugements induits par les dispositifs d’aide publique aux associations pèsent sur les pratiques de gouvernance des collectifs. Il faudrait développer plus ce point. On montrerait que ces jugements induits et les résultats attendus par les financeurs contraignent les collectifs et les font argumenter avec des justifications différentes selon les interlocuteurs : une justification qui s’adresse aux financeurs et autorités publiques et une argumentation qui s’adresse à la communauté et aux milieux impliqués par les activités.

Cette espèce de schizophrénie dans l’expression des justifications dans la conduite des activités, en travail marchandise, en œuvre ou en ouvrage pèse sur les modalités concrètes des agencements collectifs. Les collectifs d’artistes s’en arrangent de différentes façons. Certains fonctionnent avec un autre schéma. Par exemple, dans un autre contexte dans lequel je collabore en étant également membre du conseil d’administration, un directeur artistique très performant va chercher les financements, « produit » les activités et les projets avec les artistes qu’il sollicite. Certes, dans ce cas, un conseil d’administration se réunit de temps à autre, un conseil qui sert surtout à valider des projets montés façon « bureau de production ». Ce mode de gouvernance centré sur une direction et un « producteur central » a le mérite de mettre en cohérence les justifications données en interne et vis-à-vis des financeurs. Et, cela produit bien un « effet d’efficacité » auquel sont sensibles les financeurs mais aussi les artistes impliqués. Et même aux yeux des artistes sollicités qui disent « bon, c’est vrai qu’ il (le « directeur artistique ») fait le boulot, c’est lui qui fait, bon, tant mieux ». Le non dit qui affleure cependant dans l’expression spontanée des artistes qui se pensent davantage en « complice » qu’en « associé » dans le rapport aux financements publics ou, même, privés (parfois, ça arrive, pas souvent) ressemble plutôt à ce type de réflexion faite à l’improviste : « Ce qu’il faut, c’est qu’il ne m’oublie pas dans la répartition des activités ». Ça crée, de fait, un déséquilibre, un effet de relative domination entre celui qui dirige la « manœuvre », la mise en œuvre, et donne la direction artistique et de projet et celui qui doit, à la limite, ne pas se faire oublier pour bénéficier des plans de celui qui conçoit les activités. Cette relation déséquilibrée est souvent le produit de circonstances qui ont présidé à des relations antérieures, et à laquelle s’accommodent certains. Certains n’aiment pas, mais préfèrent tenir un rôle un peu subordonné, momentanément ou plus durablement. Parfois ils n’osent pas, ou n’osent plus, ou n’osent pas encore. Parfois ils sont dans l’attente d’un changement qu’ils expriment, ou pas. Parfois, ils sont dans l’attente du bon moment, du bon projet qui les sollicite. Parfois, un jour, « ça pète ». C’est pour ça que je parle en termes d’équilibre. Il y a plusieurs façons de jouer l’équilibre.

Les questions qui touchent à ces pratiques de gouvernabilité sont posées dans le contexte d’un module de formation au sein du master « métiers de la culture » que j’anime tous les ans avec un collègue, Jules Dégoutte. Nous tenons nos séances, nos cours, alternativement, dans les locaux habituels de l’Université, sur le campus, et dans les espaces occupés par les collectifs artistiques ; autre façon de « faire université ».

Et, lors de ces cours, surtout dans les locaux partagés par les collectifs, les étudiants posent les questions que tu poses. Nous sommes déjà allés à Métalu les années précédentes. C’est alors deux ou trois personnes de Métalu, I., coordinatrice du bureau, mais aussi A., J-M., C., qui répondent aux questions des étudiants, puis ça discute, ça débat. Et on compare avec d’autres réalités ou d’autres collectifs. Les étudiants, perçoivent tout de suite les différences. A ces questions, les personnes de Métalu répondent en décrivant leurs pratiques de ménagement collectif (emménagement-aménagement-déménagement). Ce sont ces mêmes pratiques que je t’ai décrit sur la base de ma présence active depuis maintenant plus de dix ans dans la vie de Métalu. Et d’ailleurs, ils en parlent en précisant, – C’est comme ça que je l’ai appris -, que ça n’a pas toujours été ainsi. « Parfois, avant, ça a été la crise. On a dû virer machin parce qu’il prenait tout le pouvoir », etc.

RC: Du coup, vu que tu travailles sur ces sujets, je me permets de te demander si tu as des références ou des références académiques et scientifiques à m’envoyer. Ça m’aidera bien dans ma recherche.

CM: Oui, tu vas trouver, me concernant, toute une série de textes, y compris des textes sur Métalu. Un ou deux, ou sur des organisations dans le domaine culturel ou autre, dans mon blog Le Blog de Christian Mahieu. Ça ne traite pas toujours directement de ces questions, mais, d’une certaine façon, assez souvent.

Moi, j’appelle ça « vivante utopie ». Il y a 70 textes. Beaucoup alimentent une rubrique qui s’appelle « chroniques de l’agir en commun ».

Tu vois, tes questions au sujet de la « gouvernance », dans une approche institutionnelle des organisations, méritaient d’être posées. Mais, la discussion que nous avons eue à partir de cela nous a fait aborder des réalités de pratiques qui auraient pu être reprises plus systématiquement en termes de relation, d’intermédiation, en espaces / espèces d’intermédiations / intermédialités.

Mais plus encore, bien que les ayons un peu évoquées dans les conditions juridiques d’exercice des activités, les questions de droits auraient pu être davantage mises en avant et explicitées. Elles auraient pu l’être à travers d’autres logiques d’argumentation, en termes de maîtrises d’ouvrage et d’œuvre, à partir d’une maîtrise collective pratiquée des usages. C’est alors plus qu’un autre registre d’argumentation, un autre cheminement de la pensée réflexive. Nous les aurions alors abordées sous l’angle des communs, comme autant de pratiques et de chroniques de l’agir en communs.

Nous pourrions alors reprendre notre entretien sous cet angle. Qu’en penses-tu ?

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