Vivre des espaces intermédiaires Imaginer et vivre des espaces intermédiaires
Mais, je ne vis que des espaces intermédiaires.
”Aber, Ich libe nur von den Zwischenräumen”, Peter Handke
Cette citation de Peter Handke, c’est mon ami et collègue Jules qui l’a faite devant un public d’étudiants en Master ; un Master dans lequel nous intervenons en commun dans le cadre d’un module sur les lieux intermédiaires. J’étais intrigué qu’une référence aussi littéraire puisse représenter tant de choses. Tout d’un coup, elle exprimait et donnait un sens à ce qui furent et sont encore mes choix personnels ; « mais, bon sang, mais c’est bien sur… ». Elle aurait pu n’être qu’un bon mot, une référence marquant l’espace culturel dans lequel nous intervenions au titre de ce « Master ». Bien sûr, Peter Handke fait d’abord référence à sa pratique d’écriture et à sa place en tant qu’écrivain dans des espaces mondes et entre ces espaces mondes (zwischenräumen) ……
Mais, cette citation avait une résonance tout à fait concrète pour moi. Elle évoquait des contextes politiques d’action collective, des espaces physiques, des lieux, mais aussi des espaces virtuels, en plateformes, numériques et autres contextes d’action collective, en référence à des notions d’espaces et de sphères publics. Mais, elle évoquait aussi des situations et des positions sociales, celles que pratiquent les « habitants » des espaces et lieux que l’on appelle les lieux intermédiaires ou, désormais, depuis que ces espaces ont reçu l’appui des pouvoirs publics, les tiers lieux.
Cette notion d’espace intermédiaire, je l’avais déjà rencontré, avec celle d’intermédiation, voire d’intermédialité, m’intéressant aux contextes des friches culturelles et autres lieux intermédiaires tels qu’ils ont émergé dans les années 1980 avec les occupations de lieux laissés en friches permettant l’essor et le renouveau de pratiques artistiques et culturelles. Cet essor s’est accompagné d’un « mouvement »[1] qui a percuté les institutions et a ouvert une « conversation active » avec les pouvoirs publics, tout cela débouchant sur des propositions exprimées en termes de « Nouveaux Territoires de l’Art » qui ont eu un impact fort dans la redéfinition des politiques culturelles en France dans les 1990-2000.
Ce mouvement s’est fait rejoindre par d’autres dynamiques impulsées par ce qu’il est désormais (ou provisoirement, l’avenir le dira…) convenu d’appeler les « Tiers Lieux ». Dans la mesure où les initiatives d’actions collectives, alternatives, auxquelles mes pratiques de recherche action m’avaient associées s’inscrivaient pour nombre d’entre elles dans cette perspective de création de tiers lieux, j’ai été amené à chercher les points d’ancrage communs à ces dynamiques d’actions collectives, plus ou moins localisées, spatialisées, en interactions fortes avec des questions posées à l’institution, au foncier, à la propriété. Un lien s’imposait avec les problématiques marquantes d’un nouveau paradigme de l’action collective, exprimées en terme de commun et de biens communs avec le « mouvement « des communs.
Présent, à Marseille, à un événement participant de ce mouvement, présenté comme « Assemblée des Communs » (rendez-vous avec nos imaginaires, du 12 au 14 novembre 2021), j’ai eu l’avantage d’y croiser Fabrice Lextrait auteur (avec Frédéric Kahn) du « rapport » établi à la demande du secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, Michel Dufour, et ensuite de l’ouvrage « Les Nouveaux Territoires de l’Art ». Réunis pour cet événement à Marseille, à la Belle de Mai, lieu constitutif de ce mouvement des lieux intermédiaires, nous y avons entendus Fabrice Lextrait, occupant historique de la friche, nous donner quelques propos en guise d’accueil et d’introduction à nos échanges. Ses premiers mots ont été pour reprendre à son compte cette référence à Peter Handke nous parlant d’espaces intermédiaires.
Très vite a germé en moi cette idée que cette notion, mais plus encore les approches qu’elle sous-tend, pouvait me permettre de donner un sens à un réexamen critique de mes recherches actions, et activités qui ont balisé mon parcours et m’activent encore. N’y aurait-il pas toujours été question d’espaces intermédiaires ? Cet examen pose cette hypothèse qui donnerait un sens à ce parcours.
C’est ce que je tente ici.
[1] Avec notamment la création de la CNLII (coordination nationale des lieux intermédiaires indépendants) et la mise en avant de collectifs comme ArtFactories et Autre Part.