Entrepreneuriat étudiant et tiers lieux : Lorsque la dynamique de création d’activités des étudiants rejoint celle des tiers lieux…
Relayant des politiques publiques nationales et européennes, l’université affirme donc comme l‘une de ses missions d’encourager les étudiants à devenir entrepreneurs et donc, pour cela, de les aider dans leur démarche de création d’entreprises.
Pour cela, des ressources sont mobilisées, financées dans le cadre de dispositifs publics, locaux, nationaux, voire européens. Des espaces ont ainsi été dédiés à l’accueil et à un début d’accompagnement de projet dans des locaux universitaires. A l’échelle de la Métropole de Lille, cela s’est traduit par la création d’espaces dédiés, appelés HubHouses, sur les différents campus de l’Université.
Aujourd’hui, ceux qui impulsent ces politiques et portent ces dispositifs de financement au sein des institutions et des collectivités territoriales (la MEL, par exemple) ainsi que les responsables des espaces universitaires d’appui à la création d’entreprises s’interrogent sur l’opportunité de faire converger ces dispositifs par la mise en place d’espaces communs et en réseau ainsi que la volonté d’instaurer une culture commune à ces espaces.
Pour cela, ce qui fait le succès actuel des Tiers Lieux est envisagé pour donner une nouvelle raison d’être à des espaces HubHouses qui visent à soutenir une dynamique de création d’activités.
Plusieurs raisons sont avancées par ceux qui tentent de les animer. Un atelier de réflexion les réunissant a ainsi débouché sur plusieurs constats.
Le créateur se retrouverait seul dans son projet de création. Cela ne devrait pas étonné ceux qui, dans l’animation de ces espaces, valorisent des positions et postures sociales, celle de l’entrepreneur notamment, qui privilégient l’acteur individuel dans des rapports de compétition.
De la même façon, ils se préoccupent des difficultés qu’éprouvent ces mêmes individus à avoir un accès rapide et à faibles coûts de transaction à des informations pertinentes.
En effet, on pourrait penser que leurs problèmes pourraient se réduire à de l’accès à des informations ou la recherche de complémentarités dans les connaissances et les compétences à mobiliser dans leurs projets. Et pour cela il faudrait du réseau et plus encore de la proximité pour assurer ces complémentarités. Les appuis publics et leurs dispositifs d’aide à ces dynamiques individuelles semblent ne plus être suffisamment opérants face à la transformation des conditions de création d’activités. Ces conditions ne supposent elles pas, dans nombre de cas, de rencontrer les attentes de « publics » clients qui se pensent de moins en moins comme des clients mais de plus en plus comme des usagers partenaires ?
De fait, les étudiants sont présents dans les tiers lieux existants. Les raisons en sont diverses.
Ils pratiquent les tiers lieux à l’occasion de stages, puis en situation de chercheurs coworkers, puis en tant que porteurs de projets hébergés dans des lieux, puis de porteurs / créateurs de lieux.
Que vont-ils y chercher ?
Certes, on pourrait montrer qu’ils y cherchent des espaces et des conditions de travail que, ni les locaux universitaires, ni leurs propres espaces de vie et de logement, ne leur offrent parfois. On aurait pu montrer, il y a encore quelques temps, qu’ils y cherchaient des moyens matériels de communication qui leur faisaient défaut : du haut débit, différents services d’aide à la création, etc.
Mais, en fait, on montrerait aisément que ces créateurs, acteurs économiques en devenir, dans leurs mise en relations, recherchent avant tout, certes des échanges de connaissances et compétences, mais surtout des interactions créatrices de capacités d’action partagées.
Ce sont alors des problèmes de coopération qui se posent et qu’il faut analyser en tant que tels, entre acteurs investis dans des activités qui ne peuvent se contenter de transactions et de relations économiques simplifiées et tarifées. Il s’agit ici d’échanges d’une autre nature, celle de la coopération.
Il ne s’agit de dire ici que la forme organisationnelle et économique ne pourrait être que la structure de type coopérative, et que l’on assimilerait de plus à la société coopérative de production. Mise exclusivement en avant celle-ci représenterait une espèce de nouvelle norme, alternative aux structures classiques de l’entreprise, et aux formes d’organisation de type associative. La priorité mise à des rapports de coopération ne prédétermine pas le type de trajectoire organisationnelle que les porteurs de projets, institués en acteurs économiques, se donnent. Les configurations peuvent être de ce point de vue très diversifiées.
Plutôt que de se polariser sur la question de la structure institutionnalisée de l’organisation économique résultat de l’action de création d’activités trouvant sa viabilité économique, il conviendrait de s’interroger sur d’autres questions préalables qui conditionnent les processus de création.
Il faudrait aller envisager, par-delà la question de la crise de l’emploi, celle de la crise du travail, du rapport au travail. Cette crise du rapport au travail est aussi celle de l’engagement et donc de ce qui se joue dans les processus de création. A cette crise du travail correspond celles de la capitalisation et du financement, la crise de l’utilité sociale de ce qui est créé. La question de la responsabilité est au cœur des processus de création. Comment concilier anonymat (dans les SA) et responsabilité limitée (dans les sociétés du même nom) au moment où se pose la question des « entreprises à mission » qui n’est que l’une des manifestations de la crise de l’affectio societatis. La question déborde le simple ralliement à l’une ou l’autre des alternatives proposées par l’économie sociale et solidaire (l’ESS).
On pourrait montrer que ce qui discrimine particulièrement les tiers lieux et les projets qu’ils hébergent est en tout premier lieu l’importance qu’ils accordent, pratiquement et pas seulement dans les discours, à des réponses par la coopération ; des démarches et processus qui se fondent sur le partage de ressources, la mise en commun, la gestion démocratique des processus de coopération pour la création d’activités.
Face à cela, les modèles de la création entrepreneuriale hébergée par les universités pourraient sembler réducteurs.
Faut-il créer des espaces « entrepreneuriat étudiant » mutualisé entre les institutions universitaires et dédiés aux étudiants entreprenants ?
Ou ne faut-il pas renforcer la capacité d’entreprendre des tiers lieux, existants ou en développement, qui sont déjà sur cette dynamique de création d’activité, en facilitant l’insertion d’étudiants dans les communautés entrepreneuriales que constituent ces tiers lieux ?
Une des difficultés à traiter est le phasage et la temporalité des projets de création par rapport à la temporalité des situations d’étudiants.
Une autre est celle de la validation des parcours de formation et de la valorisation professionnelle des étudiants en rapport avec les projets et activités créées, développés au sein de ces communautés entrepreneuriales. On voit que le débouché professionnel et socioéconomique pourrait être assez diversifié. Cela pourrait être celle de l’acteur économique autonome, en position indépendante, pas forcément en posture d’entrepreneur, mais dans une interdépendance de nature coopérative avec d’autres acteurs et d’autres arrangements/organisations économiques.
Dans tous les cas, Tiers Lieux et Université doivent envisager la nature de leurs partenariats.