A propos de la structuration et représentation des Arts Visuels en Hauts de France

Avant la rencontre d’une « délégation » des Arts Visuels avec la DRAC, je souhaite vous faire part d’éléments d’analyse du contexte « politique », de coordination organisation et représentation dans lequel cette rencontre se place.

Je le fais au titre de ma contribution à la « mobilisation » Arts Visuels en Hauts de France à laquelle j’ai participée de l’intérieur, mais aussi au titre de ma position de chercheur, distancié et donc critique.

Il me semble utile de rappeler que la rencontre précédente des Arts Visuels avec la Drac s’est déroulée en décembre 2018 dans un contexte très particulier. C’était le moment de pleine mobilisation des « gilets jaunes ».  La délégation était alors composée d’une enseignante chercheuse en école supérieure d’art, étant l’une des principales animatrices de la démarche dite « filière » et présidente du principal réseau régional de structures et institutions d’art contemporain en Hauts de France, d’un représentant de Lille Design et d’un chercheur du cnrs.

Il était tout à fait manifeste que l’écoute de cette délégation par le Drac de l’époque était à relier au contexte politique du moment. Il est certain que l’expression directe des acteurs en arts visuels, par-delà leurs représentations politiques ou professionnelles instituées, a trouvé à ce moment une audience à laquelle les deux conseiller.es du Drac ne semblaient pas acquis.es.

Aujourd’hui, nous sommes à un moment particulièrement critique pour cette mobilisation collective des « actif.ive.s » en arts visuels. Je dis actif pour ne pas réduire le périmètre, la « communauté » des personnes concernées, dans la diversité de leur situation sociale, économique ou professionnelle.

L’action collective a d’abord pris l’orientation « filière économique ».

C’était une façon pertinente de trouver un écho immédiat auprès des élus politiques en région. Cette approche en filière représente autant d’opportunités que de risques. La première opportunité est bien sûr d’obtenir l’écoute, dans l’espace publique, politique, des pouvoirs économiques dominants auxquels se rallient les pouvoirs politiques. La deuxième opportunité, et ce n’est pas négligeable, c’est de décentrer la mobilisation par rapport aux institutions publiques dont on sait qu’elles sont dominantes dans la viabilisation économique de la grande majorité des actifs en arts visuels. Nombre d’entre eux relèvent, directement ou indirectement, du financement public. Parler et parier « filière », c’est mettre en avant des capacités d’autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics et de garantir ainsi une dynamique d’initiatives collectives des créateurs et autres actifs.

Mais, le risque est alors que la filière se structure à partir des opérateurs principaux de production, diffusion, jouant un rôle de prescription et/ ou organisation des activités en « offres », des gestionnaires des dispositifs publics et privés de validation des activités en notoriété, des organisateurs des marchés, des organismes accompagnant la « professionnalisation » reconnue des actif.iv.es., des artistes et autres professionnels indépendants ou salariés.

Le risque ici est, pour la filière arts visuels – Il faudrait dire les « filières arts visuels » ; cela serait différent dans le cas de la filière « design », ou celle des « métiers d’art » – comme dans d’autres filières économiques, que la structuration de la filière privilégie les grands opérateurs, type « entreprises », au détriment des « petits » et des autonomes (pour ne pas dire « indépendants » qui renvoient à d’autres logiques de valorisation économique), et surtout des acteurs au travail prescrit, les « artistes en travailleurs » dont parlent les sociologues des activités artistiques, et les salariés des structures.

L’action collective a ensuite plus souvent fait référence à un « secteur » des arts visuels incarné par la mobilisation régulière d’un Comité, dit Technique, puis comité arts visuels.

Cette référence présente, elle aussi, des opportunités et des limites, voire des risques.

Elle présente l’avantage de mettre au centre de la mobilisation la question des rapports aux acteurs publics, aux institutions et collectivités territoriales dont on sait le rôle déterminant dans l’économie du secteur. Cela donne une garantie que les actions envisagées au titre du secteur trouvent un éventuel débouché auprès des pouvoirs publics dont dépend principalement la viabilité économique des acteurs du secteur. Cela représente cependant des écueils pour cette mobilisation.  Certain.es, des artistes, des intermédiaires, des galeristes, d’autres, qui s’étaient senti.es concerné.es par les premières rencontres du comité technique arts visuels HdF ne sont plus venu.es, laissant entendre que cela ne concernait que les acteurs publics ou subventionnés.

L’approche en secteur met en avant les acteurs qui misent sur le rapport à l’institution. Le mode d’organisation et de représentation se centre sur les représentants de structures dans la mesure de leurs rapports aux institutions. Le mode de coordination adopté, de type « réseau », plus « club » fermé, sélectionnant ses membres sur critères, et peu ouvert à la cooptation des personnes physiques ou morales, risque alors de jouer le rôle d’organe de contrôle de ces rapports. Leurs salariés n’y accèdent pas en tant qu’acteurs professionnels en arts visuels mais comme représentants de personnes morales que sont ces structures. Certain.es sont même découragées par leur structure d’y participer en tant que personnes physiques, autonomes. La mobilisation et la représentation des acteurs autonomes ou des petits collectifs et organisations basées sur la coopération y sont également difficiles dans la mesure où les collectifs et les personnes qui les composent, plus ou moins durablement ou par projets, relèvent de différentes logiques et formes de rémunération, traversant les logiques de professionnalisation.

Tout cela tend à focaliser la mobilisation sur la question de la structuration et de la représentation des acteurs auprès de ces mêmes acteurs publics et institutionnels. Et, l’on voit bien que c’est ce qui se passe aujourd’hui, où les tensions se manifestent sur l’organisation et le contrôle de cette représentation au nom d’un secteur dont les acteurs, autant les personnes que les petits collectifs permanents ou liés aux opportunités de coopération, ne s’émancipent que peu des structures qui jouent un rôle de prescription, de production ou de diffusion. Même les salarié.es de ces structures et institutions ont des difficultés à être représentées en tant que tel.les. Il faudrait y ajouter les difficultés des rapports de genre inhérentes à l’écosystème des arts visuels. On pourrait citer les conditions spécifiques des rapports à l’emploi pour les salarié.es et des opportunités des financements des activités par le recours aux dispositifs de résidences qui est souvent plus difficile pour les femmes ; ce qui se retrouve dans les opportunités de parcours d’activités.

Une mobilisation plus complète, ouverte, ne devrait-elle pas correspondre à ce que suppose comme mode de relations entre les actif.ves en arts visuels ce que les initiateurs de la démarche Arts Visuels en HdF ont défini dans une Charte Arts Visuels Hauts de France ?  Cette mobilisation de ce que l’on pourrait appeler plus justement, selon la Charte, un « écosystème ouvert » ne devrait-elle pas alors prendre la forme d’une « assemblée », d’un forum permanent, tenant conventions et commissions ?

Ce serait alors à l’image d’une dynamique politique, démocratique, de participation et expression directe. Cette forme collective irait au-delà des rapports institués, des liens de subordination ou de dépendance économique. Elle n’empêcherait pas des modes de représentation, mais sous la contrainte d’un contrôle démocratique de mandats limités.

La complexité et la diversité des positions sociales et économiques des acteurs en Arts Visuels font que les rapports de coopération et de représentation de ces rapports ne peuvent peut-être pas s’envisager sous la forme, pourtant souvent habituelle, d’un arrangement  politique de représentants d’institutions et de groupes professionnels. A défaut d’envisager cet écosystème de rapports dans sa diversité et sa pluralité, une expression immédiate et directe des acteurs les plus marginalisés par les approches en filières ou en secteurs, les artistes et les salarié.es les précarisé.es en tout premier lieu, pourrait être une voie prise par certain.es. Au moment où la question des droits sociaux rencontre celle de l’exercice des droits culturels, cette hypothèse émancipatrice traverse la mobilisation des acteurs en arts visuels.

La première rencontre au titre des Arts Visuels HdF avec la DRAC a eu lieu en plein moment des « gilets jaunes » qui a beaucoup surpris les institutions et les organisations politiques et professionnelles. Certes, la période est aujourd’hui différente du point de vue des conditions d’une mobilisation politique « sectorielle », mais les conditions concrètes en arts visuels demeurent difficiles et jugées injustes par nombre de précaires et de marginalisés qui ont pourtant un rôle social crucial dans ce monde en transition politique, économique, écologique, et donc esthétique.

La rencontre avec la Drac, comme avec la Région, doit, me semble-t-il, permettre d’aborder ces questions. Les réponses à trouver supposent une construction écosystémique, démocratique, qui ne fait que s’amorcer.

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