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Metalu.net : artistes créateurs de technologies libres en économie solidaire

Metalu.net : artistes créateurs de technologies libres en économie solidaire

Résumé
Il s’agit de comprendre les logiques d’action et les positions d’acteurs au carrefour de la création artistique, de la recherche développement sur une technologie open source adaptée au contexte de la création artistique et de la médiation culturelle. Il s’agit aussi de comprendre à quelles conditions les activités basées sur cette technologie peuvent être viables en s’inscrivant dans une économie politique sociale et solidaire.
La recherche vise ainsi à éclairer les relations entre les dimensions artistiques, techniques et économiques. Ces relations peuvent être envisagées sous l’angle des caractéristiques esthétiques des productions et savoirs techniques. Elles peuvent aussi être envisagées sous l’angle des spécificités des développements technologiques que requièrent les productions artistiques. Mais, plus encore, il s’agit de comprendre comment des technologies spécifiques, développées dans le contexte de pratiques artistiques, peuvent être la base d’un développement économique pour les artistes qui en sont à l’origine. Nous développons cette réflexion dans l’action à partir d’un cas que nous constituerons en dispositif expérimental de recherche. Pour cela nous analysons les processus de création d’activités « Metalunet », en lien avec les pratiques artistiques d’un collectif d’artistes, Metalu A Chahuter, « fabricants de spectacles, inventeurs de machines à rêver et dispositifs interactifs ».

1. Contexte, enjeux et objectifs

1.1. Contexte

La recherche intervient en relation étroite avec les évolutions et mutations que connaissent aujourd’hui les collectifs d’artistes, en particulier ceux nés dans le domaine du spectacle vivant et de la conception d’installations interactives avec le public. Elle intervient aussi dans un contexte de forts questionnements sur l’évolution des métiers, des statuts et des organisations dans le secteur de la création artistique et, plus généralement des métiers de la culture. Ce contexte est aussi celui du ralentissement de la croissance de financement public pour la culture, voire de la réduction de ces financements. Dans le même temps, à l’instar de la région Nord Pas de Calais, beaucoup de Régions ont fait du secteur créatif et culturel l’un des piliers de leur futur développement économique. C’est le cas de l’ex Région Nord Pas de Calais qui avait fait du secteur « Images Numériques, Industries Créatives et Culturelles » l’un de ses six Domaines d’activité stratégique.
Une forte actualité politique et économique se fait jour pour envisager ce que pourraient être les chemins pour faire de ce secteur un moteur de développement économique en même temps qu’il est au cœur des politiques publiques. Plus que dans d’autres secteurs les activités caractéristiques de ce secteur sont confrontées à des enjeux politiques, sociaux, technologiques et économiques majeurs.
C’est tout d’abord l’enjeu du financement des politiques publiques dans le domaine culturel comme dans tous les domaines qui touchent aux politiques sociales, aux politiques éducatives, aux politiques de soutien à l’exercice de la citoyenneté. Tout autant que leur financement, c’est la conception même de ces politiques, leur construction en lien avec les publics dans l’exercice de leur citoyenneté qui est en cause. Les enjeux technologiques ne sont pas moindres. La réflexion sur les transformations que connaissent les domaines artistiques et culturels au travers des processus de création, production, diffusion, médiation, conservation, etc. sont indissociables de celle qui se fait jour sur les technologies qui les rendent possibles et qui sont même support et au cœur même des processus de création. Ce qui se passe avec les technologies numériques est là pour le montrer. Si le développement des techniques ne s’est jamais opéré dans une neutralité sociale et politique, c’est encore moins le cas aujourd’hui avec l’essor de la technologie open source après que la question de la gratuité et de la libération des logiciels soit désormais devenue incontournable.
Mais, ces questions trouvent un cadre d’expression plus global lorsqu’elles rejoignent celles de la transition écologique, économique et politique qui est au cœur des enjeux actuels de société.
Ces problématiques et les recherches qui se développent pour les explorer forment l’arrière fond de notre proposition de recherche.
S’agissant de la création d’activités dans les domaines artistiques et culturelles, il nous faut évoquer aussi les interrogations qui se sont faites jour sur les processus de création, sur les formes organisationnelles, collectives et localisées, que ces processus de création se sont donnés depuis plusieurs décennies et qui connaissent un nouvel essor aujourd’hui. Les années 1980-1990 ont été marquées par l’essor des friches et des lieux culturels. Des travaux d’études et de recherches s’en sont faits l’écho, notamment lorsque les politiques publiques ont cherché à les soutenir. Les réflexions sur les « nouveaux territoires de l’art » (Kahn, Lextrait, 2005) ont bien traduits l’émergence de ces nouvelles problématiques.
Aujourd’hui, les enjeux à l’origine de ces questions demeurent et se sont même renforcées, au fur et à mesure de l’aiguisement de ce qui est plus qu’une crise économique mais correspond à une tension totale entre des forces qui œuvrent pour la marchandisation accrue des activités créatives et culturelles et celles qui recherchent dans des alternatives politiques et économiques une solution pour le développement de ces activités.
Les processus de création d’activités et les trajectoires de positionnement économique et social de ceux qui en font métier, comme de ceux qui les pratiquent à titre amateur, sont au cœur de notre proposition de recherche.
Pour élaborer notre problématique de recherche et le dispositif de recherche qui nous permet d’explorer cette problématique, d’en dégager des enseignements et de tenter une première modélisation nous nous baserons sur le cas expérimental que représente la création d’une entité Metalu.net au sein du collectif d’artistes Métalu A Chahuter.

Voici comment les acteurs eux-mêmes présentent l’expérience Metalun.net :

« Depuis dix ans Métalu A Chahuter réunit des artistes qui explorent la création artistique dans des formats atypiques et évolutifs, selon des pratiques héritées des arts de la rue. Dans son fonctionnement, Métalu A Chahutera opté pour la mutualisation solidaire : ainsi, l’administration et les locaux sont mis au service de créations artistiques collectives.
L’expérimentation est au cœur de l’identité artistique du collectif : explorer le son et l’image comme langage poétique, faire de l’objet un passeur d’imaginaire, assumer la pluridisciplinarité comme moteur de création artistique. Ses spectacles ou installations mettent en jeu l’interactivité avec le public et l’environnement quotidien, l’expérimentation est un processus de création.
C’est dans cette démarche que, dès l’origine, plusieurs artistes se sont appropriés l’outil numérique, et rassemblent de nombreuses compétences dans des domaines d’activités multiples.
Métalu A Chahuter s’inscrit dans une nouvelle dynamique en mettant en avant les pratiques numériques développées par quelques artistes. Ce n’est pas une révolution en soi : les bases existent déjà. Il s’agit plutôt de révéler ce réseau d’artistes et leur multitude de compétences pour créer une extension à Métalu A Chahuter appelée Métalu.net selon une démarche libre et open source défendue par plusieurs artistes du collectif. La notion de bien commun y est démultipliée en s’intégrant dans un réseau de libre partage de pratiques, de projets, de techniques créés par quelques-uns et utilisés, dupliqués, modifiés, étudiés par d’autres. Le collectif rend visible un ensemble de compétences et d’expériences développées.
Métalu.net est un engagement artistique. Il s’agit de ré inventer des pratiques et des objets en créant de nouveaux assemblages, en élargissant le champ des possibles par l’open source, et en mettant en avant la sérendipité. C’est impliquer des publics et des artistes dans une volonté de partage.
La relocalisation de Métalu A Chahuter dans une nouvelle friche à Hellemmes-Lille, est l’occasion de développer Métalu.net comme une plateforme de ressources ancrée dans l’espace public réel et virtuel.
Ainsi Métalu.net se propose d’expérimenter les activités suivantes :
Un bureau d’étude alternatif pour partager avec le public à travers diverses formules (showrooms, geek parties, boums numériques, festilabs, créations participatives, etc.) ;
Un collectif d’artistes pluridisciplinaires qui participent à la production de spectacles et créent des technologies spécifiques dans une démarche libre et open source ;
Un lieu qui propose des accompagnements personnalisés pour des projets numériques développés par des étudiants, de jeunes artistes ;
Une mise à disposition d’outils pédagogiques qui répondent à des problèmes concrets (formations, interventions sur des thèmes spécifiques, création d’instrumentarium, etc.) ;
Des prestations de services sur mesure pour des demandes particulières ;
Une plateforme de ressources au service de d’artistes numériques mettant à disposition une base documentaire et des liens web vers des informations techniques ;
Un blog retraçant le processus créatif et technique de projets expérimentés. »

1.2. Position

Ainsi, notre recherche action se propose d’accompagner par une recherche action l’ensemble de la démarche de création des activités devant constituer l’entité Métalu.net.
Elle s’intéresse aux processus de création de ces activités, leur expérimentation, les études de faisabilité dont elles feront l’objet. Il s’intéresse particulièrement aux parcours de montée en capacités à prendre en charge ces activités de la part des artistes et des partenaires associés dans la création de l’entité. On cherche ainsi à mieux comprendre la construction des liens de cette nouvelle entité Métalu.net, non seulement avec l’entité Métalu A Chahuter, actuellement constituée en association, dotée d’un mode de gouvernance tout à fait spécifique, mais aussi avec les entités partenaires que sont déjà d’autres compagnies et collectifs d’artistes, des collectivités territoriales et des structures d’action publique, des centres de recherche, des écoles (des lycées, des écoles d’art ou d’ingénieurs, etc.), des entreprises (ordinaires ou relevant de l’Economie Sociale et Solidaire).
La compréhension de ces processus de création d’activités technologiques, pédagogiques, et autres, supports à la création artistique ne peut se faire sans un approfondissement de la connaissance du travail artistique, de la production artistique, de la diffusion de cette production, des activités de médiation et de co création avec les différents publics, etc. Elle aura aussi à envisager les conditions d’apprentissage des technologies de l’open source, et des technologies privilégiant l’auto construction (le Do It Yourself), la parcimonie et la robustesse des solutions techniques. Ces questions font l’objet de nombreuses recherches sur lesquelles nous nous appuierons.
Les processus de création d’activités et de valorisation économique de ces activités devront être analysées finement et passées au crible des modèles économiques et sociaux de l’ « entreprendre » et de l’  « entreprise » qui en est le résultat. Il nous faudra examiner en quoi les processus de création d’une entité porteuse d’activités ayant à assurer la viabilité des personnes relèvent de logiques dites entrepreneuriales, que ces logiques soient celles de l’entrepreneuriat ordinaire ou celui souvent qualifié de social. Il nous faudra voir en quoi ils relèvent de processus similaires ou différents. Plus spécifiquement il nous faudra examiner en quoi la référence à l’open source, mais plus encore à des choix de valorisation économique puisés dans les logiques de l’économie solidaire, ou les logiques plus émergentes, associées à la notion de « bien commun » ou de « commun », nous amènent à reconsidérer ces modèles de l’entreprendre au profit d’une nouvelle problématisation. Ces questions sont désormais abordées dans le champ de recherche ouvert sur la question des communs et des potentialités de l’économie numérique. Notre projet apportera une contribution à ce champ de recherche.
Mais ces questions sur l’entreprendre ne peuvent être dissociées de celles qui portent sur la construction des positions sociales et professionnelles des acteurs eux-mêmes, notamment ceux engagés dans la réalisation de ces activités. La question des statuts d’emploi et des formes de rémunération est alors essentielle à aborder. Elle le sera particulièrement au travers de la réflexion que nous fournira notre dispositif expérimental à ce sujet. Les acteurs sociaux engagés dans la création de cette nouvelle entité Métalu.net relèvent de différents statuts d’emploi (salariés partiels, intermittents du spectacle, autoentrepreneurs, essentiellement). La démarche de maquettage et d’expérimentation des nouvelles activités et situations de travail sera également pour eux un exercice de construction et d’expérimentation de formes d’emploi et de rémunération spécifiques. Sur ces questions également nous pourrons nous appuyer sur des recherches en cours.
Cette caractérisation des formes d’emploi, de rémunérations ne pourra s’exonérer d’une réflexion plus spécifique considérant qu’elles auront à composer des positions sociales et professionnelles associant des capacités d’artiste, de créateur, constructeur, voire vendeur, de solutions techniques, de développeur et codeur informatique, de pédagogue en technologies open source, de médiateur culturelle, d’organisateur et de coopérateur gestionnaire d’entités économiques, etc.
L’originalité de la problématique ainsi définie est d’articuler ces différents niveaux de réflexion et de problématisation en nous appuyant sur les travaux les plus récents en socio économie du travail et des organisations, notamment sur les nouvelles approches centrées sur les communs.

1.3. Objectifs

Tel qu’il est positionné, notre projet vise les objectifs suivants :

Construire un dispositif expérimental original de recherche action qui associera des chercheurs (s)
(sociologues, socio économistes, informaticiens, spécialistes des formes artistiques), des artistes-concepteurs-producteurs de technologies, des professionnels publics et privés de l’action publique, en matière de politique culturelle et de développement économique, ESS notamment ;
Dégager des éléments significatifs de compréhension des processus de création d’activités, viables économiquement, au carrefour du développement technologique en open source (par de la cession de technologies, de la prestation de compétences en réalisation et formation), de la production d’œuvres artistiques et de la recherche développement sur ces questions ;
En dégager des enseignements en termes de modèles économiques et de durabilité des parcours des organisations économiques créées ;
Dans l’hypothèse où la solution organisationnelle expérimentée pour la nouvelle entité serait une forme coopérative, cela apporterait des éléments intéressants à la discussion en cours sur l’entreprendre dans le secteur des industries créatives et culturelles ;
Spécifier les conditions et les particularités des appuis publics et privés aux processus de création d’activités dans ces contextes particuliers des industries créatives et culturelles ;
Positionner ces formes d’appuis par rapport aux formes existantes de l’entrepreneuriat ;
Contribuer en cela à une réflexion plus globale sur la création d’activité en économie solidaire ;
Contribuer aussi à la réflexion sur les formes d’emploi et de rémunération, notamment en explicitant les enjeux autour des formes alternatives, contributives et solidaires ;
Plus globalement, contribuer à la caractérisation de ces positions et postures socio professionnelles d’artistes-technologues-chercheurs-médiateurs culturels, correspondant aux entités créées pour répondre aux défis de ces activités émergentes ;
Développer des approches intégrant ces différents niveaux de résultats pour contribuer à une réflexion plus globale en termes de fabrique du social et des mondes sociaux économiques sur les territoires concernés ;
Le caractère innovant de la recherche proposée tiendra alors tout autant dans l’intégration des résultats portant sur les formes organisationnelles, les processus de coopération, les trajectoires d’emploi, etc. que dans chacun des domaines de réflexion eux-mêmes.

2. Programme de travail

2.1. Présentation du programme de travail

Notre programme de travail comporte la mise en place d’outils de travail collaboratif nécessaires à notre démarche de recherche action.
Nous avons établi des partenariats diversifiés en matière de recherche et de recherche développement. Concernant les partenariats de recherche, nous développons nos liens avec des chercheurs en sciences sociales, tant ceux qui s’intéressent au secteur créatif et culturel que ceux en socio économie de l’open source, des économies alternatives et des communs, et dans le domaine de l’ESS. Nous le faisons dans la continuité de relations déjà établies avec ces communautés scientifiques et de notre participation à plusieurs séminaires sur ces questions (par exemple le séminaire EnCommuns, autour de Benjamin Coriat, le RIUESS, réseau interuniversitaire en ESS, etc.). En nous appuyant sur des liens déjà établis par les représentants des collectivités territoriales associés au projet nous développons des coopérations avec plusieurs laboratoires de recherche spécialisés sur les technologies numériques et informatiques, ainsi qu’avec des organismes et entreprises labellisées « French Tech » (www.lille-is-frenchtech.com).
Pour mener notre démarche d’expérimentation, au cœur de notre programme de recherche action nous définissons les situations expérimentales dans chacun des domaines d’activités qui devraient constituer les axes de développement de l’entité Metalu.net et de ses opérateurs.

Au terme de notre pré enquête et à titre d’hypothèses on peut considérer que les domaines d’activités envisagés sont les suivants :

Domaines d’activités, axes de développement de Metalu.net : hypothèses

A. Technologies libres pour la création artistique
Autour de Fraise, et des logiciels Pure Data, etc…
Vente de cartes et de kits
Vente directe (ce qui suppose de les produire)
Cession indirecte via un partenariat avec un fabricant, diffuseur…

Production de solutions techniques à différents niveaux de coopération sur les projets
Conception réalisation de machines, d’installations…
Assistance à Direction artistique
Réalisation technique

Prestations techniques sans co production artistique
Sur base de cahier des charges
Réalisation, assistance technique

Centre de ressources (physique et numérique)
Catalogue des produits et systèmes
Documentations techniques
Tests

Lab technique
Un lieu physique,
un atelier pour développer les techniques
un lieu d’échange R&D

B. Communiquer Accompagner Partager les technologies libres pour la créativité
Concevoir et animer des ateliers et autres dispositifs de formation….
Les contextes
En réponse à des AAP, des commandes publiques, lors d’événements publics
Participation à des travaux en résidence
A l’initiative de Metalunet, Propositions

Les formats
Bidouille, DIY
FabLab Artistique
Coder Programmer Créer (initiation)
Coder Programmer Créer (avancé)

Les publics
Quartiers
Ecoles, Lycées
Universités- Ecoles d’Ingénieurs
Ecoles d’Art
Formateurs

Les partenariats
Makers
Formateurs
Ingénierie Pédagogique

C. Recherche & Développement au carrefour de la création artistique et de la technologie du libre
Domaines
Artistique / Technologies Numériques / Open Source
Les formes Artistiques au regard de leur production technique
Les processus CLRS (Cheap, Lean, Robust, Self)
Pensées de la machine, de l’image et du son, (à partir de l’esthétique propre à « Metalu ») (ex. Ecriture Multimédia de l’Image, Ecriture Musicale de l’Image,)
Médiation culturelle par la machine, l’installation, le son et l’image
Participation à la communauté Open Source / Libre

Les projets et leurs financements
Réponse à des AAP
Partenariats avec Labo de recherche, d’écoles,
Appels à financements solidaires, Cigales,
Mécénat
Financements Participatifs, plateformes de crowdfunding, par exemple des sites comme Gratipay, Patreon

D. Etendre les activités (conception et réalisation techniques) vers d’autres secteurs économiques et sociaux
Domotique, autres secteurs
Distribution, salons, showrooms,…
Démonstration expérimentation scientifique (installations, machines, image et son, interactivité)
Communication, exposition (installations, machines, image et son, interactivité)

Notre programme de recherche porte aussi sur l’analyse des dispositifs d’appui et d’accompagnement existant pour les porteurs de projets de création d’activités et d’entreprises, éventuellement plus spécifiquement dédiés aux secteurs créatifs et culturels et en ESS.
Il porte également sur l’examen des parcours et des trajectoires professionnels en explorant les potentialités que représentent différents statuts d’emploi. Nous développons cette dimension de la recherche par enquête auprès des structures et organismes publics et privés intervenant dans ces processus de socialisation professionnelle.

2.2. Description des tâches

Pour les chercheurs :
Conception des dispositifs de recherche action ;
Veille scientifique sur les différents domaines ;
Etablissement des partenariats et des bases comparatives en lien avec les chercheurs partenaires ;
Observations participantes au cours des expérimentations sur la conception et réalisation des opérations dans les différents domaines d’activités ;
Organisation et animation des ateliers et séminaires de travail avec les partenaires de la recherche ;
Maitrise d’œuvre dans l’analyse pour l’établissement des résultats, l’élaboration de des documents de synthèse, leur rédaction et leur communication.

Pour les acteurs (engagés professionnellement au sein de l’expérience Metalu.net et les autres partenaires de la recherche) :
Documenter, sur base de grille élaborées préalablement, les contextes d’expérimentation sur la préparation et la réalisation des activités, leur valorisation économique (modèles et bilans économiques), les compétences mises en œuvre, les parcours professionnels associés à leur réalisation ;
Participer aux ateliers et séminaires de travail organisés à partir des expérimentations sur chacun des domaines d’activités explorés ;
Participer à la synthèse, la rédaction et la communication des résultats.

.2.3. Calendrier d’exécution

Le projet de recherche s’étalera sur une période de dix-huit mois.
Trois mois seront consacrés à l’état de l’art, la mise au point détaillée de la problématique, la construction des dispositifs de travail (expérimentations et ateliers de recherche).
Les expérimentations se dérouleront pendant une année, parsemée de rédactions intermédiaires
La mise en forme des résultats et des supports de communication prendra les trois derniers mois.

3. Les partenaires du projet

3.1. Présentation de chaque partenaire

Christian Mahieu, sociologue, chargé de recherche au CNRS- LEM- Lille Economie & Management (UMR CNRS 9221), secrétaire général de la Chaire ESS Nord Pas de Calais, il assurera la coordination scientifique du projet. Au titre de la Chaire ESS il anime un programme de recherche sur « les initiatives solidaires en communs ». Il coordonne également un projet dans le cadre du programme Chercheurs-Citoyens initié par la Région Nord Pas de Calais, projet CREACIT (Créativité Citoyenne). Ce projet concerne l’étude des processus de prise d’initiative solidaire et d’engagement citoyen dans les processus collectifs. Il a publié récemment plusieurs travaux portant sur les formes alternatives de création d’activités et d’entreprises.
Olivier Perriquet, docteur en informatique, est enseignant, responsable de la recherche dans deux écoles d’art, Le Fresnoy à Tourcoing et l’école Media Art de Chalon sur Saône.
Sébastien Plihon, ingénieur, travailleur indépendant, est impliqué dans les collectifs locaux et nationaux qui œuvrent dans les champs de l’innovation sociale et numérique. Il représente Catalyst, collectif d’acteurs et de citoyens de la métropole lilloise qui s’engage pour dynamiser l’innovation sociale et les enjeux liés aux communs et au libre. Ce collectif est porté juridiquement par l’association ANIS , qui a pour objet la valorisation, la réflexion et l’animation autour du web solidaire, des usages citoyens et solidaires des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), de l’innovation sociale et numérique.
Perrine Rohart est administratrice de Métalu A Chahuter, association porteuse du projet de recherche.
Antoine Rousseau, ingénieur ISEN, artiste au sein du collectif Métalu A Chahuter, est le principal créateur des technologies développées en open source au cœur du projet de création de Metalu.net.
Jean-Marc Delannoy, diplômé en automatique industrielle, artiste, concepteur d’installations numériques et de dispositifs pour le spectacle vivant (http://metalu.net/; www.metaluachahuter.com ).
Quatre autres artistes, tous développeurs de dispositifs techniques et informatiques, participeront également aux expérimentations et aux travaux de recherche dans le cadre du projet : Alain Chautard, Alain Terlutte, David Lemaréchal, Adrien Fauquenberg.
Jérôme Copin, Ville de Lille et Malika Bohem-Monnier, Métropole Européenne de Lille, qui soutiennent le projet Metalu.net seront également partenaires du projet de recherche action.

3.2. Rôle et implication

Organisme d’appartenance
Nom Prénom
Emploi actuel
Discipline
(si besoin)
Personne/ mois
Rôle / Responsabilité dans
la proposition de projet
CNRS – Chaire ESS
Mahieu Christian
Chercheur CNRS
Sociologie

coordination scientifique
Métalu
Rohart Perrine
Administratrice

coordination administrative du projet
Métalu
Rousseau Antoine
Artiste

Métalu
Delannoy Jean-Marc
Artiste

Le Fresnoy,
Ecole Média Art

Perriquet Olivier
Enseignant Chercheur
Artiste

Catalyst/ ANIS
Plihon Sébastien
Contributeur bénévole

Mise en lien partenaires innovation sociale et numérique

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Les réseaux et associations d’artistes plasticiens

Vivre des milieux de création
Contributeurs esthétiques à un espace public en recomposition…

L’invitation de Pascal Pesez, co président de la FRAAP, était celle-ci : « donne-nous un point de vue, ton point de vue, sur nos rencontres annuelles (les 19 et 20 mai 2016, à Limoges) ». Il ne s’agirait pas de rapporter sur les travaux, de les synthétiser mais d’en rendre compte par un regard sensible. Ce regard serait aussi le point de vue d’un chercheur, d’un sociologue, pas forcément un spécialiste du secteur, mais un chercheur qui s’intéresse par ailleurs aux initiatives citoyennes, à leur position par rapport à un espace public, politique, en recomposition, à la viabilité économique de ces initiatives…
Ayant en tête ces orientations, j’ai participé à ces rencontres ; à la visite du Centre d’Art de Vassivière le 19 mai et des sessions tenues le 20 mai à l’Ecole d’Art de Limoges. Ma participation, l’an dernier aux rencontres 2015 à Reims me donnait déjà les premiers points de repère. Des entretiens impromptus, courts et directs, lors des pauses, des repas, des « frottements » (comme le dirait Joël Lecussan) qui s’opèrent entre les sessions, m’ont mené de rencontres en rencontres…

Ces contacts et observations, je les ai mis en relation avec d’autres réflexions provenant des chantiers de recherche action auxquels je participe et qui constitue mon positionnement singulier.

Quel sens donner à ma contribution ?

Je me suis d’abord interrogé sur les spécificités du « monde » que je rencontrais. Je n’ai pas voulu reprendre le débat classique sur le, ou les, « mondes de l’art », mais envisager ce qu’il a de spécifique à l’âge de la création diffuse et de l’exercice des droits culturels. Ensuite, chercheur au CNRS, je me suis interrogé sur les convergences avec d’autres milieux, ceux de la recherche et d’autres professions intellectuelles.

J’ai été sensible à l’expression des modes d’organisation collective du milieu des créateurs parce qu’ils sont proches de ceux qui mobilisent les acteurs dans la mise en œuvre de leurs initiatives solidaires ; les questions des « collectifs » et des « lieux ».
Responsable d’une chaire universitaire en Economie Sociale et Solidaire, je ne pouvais échapper à la question de la viabilité économique des activités artistiques.

J’ai vécu les rencontres de la FRAAP comme un moment fort dans la vie politique des représentants du milieu artistique ; un moment important d’exercice du principe de « publicité » au sens de Kant et d’Habermas qui en font une médiation de la politique et de la morale. Cela m’est vite apparu dans la façon dont ont été abordés les thèmes de la « représentation » du milieu, des artistes et de leurs organisations. Cela m’est apparu aussi dans l’importance donnée aux dispositifs d’action collective comme ceux mis en œuvre dans le Nord Pas de Calais Picardie avec le CRAC.

Plus largement cela me permettait une réflexion sur l’éventuelle structuration d’un espace public, sous espace public oppositionnel, dans lequel prendraient place des initiatives comme celles du CRAC et d’autres.
Voilà les quelques points que je souhaite argumenter ici.

1. La découverte d’un « monde », à la façon d’un ethnographe ? pas vraiment
C’est un contexte que je connais un peu, pour l’avoir côtoyé et le faire encore.
Etudiant en sociologie, en première année, j’étais aussi l’invité permanent d’un atelier au sein de l’école des beaux-arts de Lille qui existait alors. J’y accompagnais des amis qui y étaient élèves et avec qui je partageais ce que l’on n’appelait pas encore un « lieu ». Il s’y faisait de la musique. Nous nous sommes initiés à la sérigraphie. Nous, nous disions un « atelier », l’Atelier 110 (numéro de la rue, à Lille). L’époque était marquée par des courants artistiques critiques qui n’étaient pas sans lien avec ce qui se passait sur la scène intellectuelle et politique d’alors. Mai 68 était encore dans l’air. Nous commencions la décennie « 70 ». Nous étions marqués par le structuralisme et le marxisme. Notre atelier aux Beaux-Arts s’intitulait « Structures & Morphologies ». Nous n’étions pas les inventeurs de ce titre. Nous n’en comprenions que ce qui ne nous permettait que de faibles et péremptoires arguments concernant la rupture avec les supports d’expression hérités de l’art moderne. Nous nous sentions proches de « Supports/Surfaces » et de Viallat, comme nous l’étions d’Althusser sur les questions de philosophie politique… Cela nous a fait nous intéresser à la sérigraphie, comme support de nos interventions artistico politiques…
Bref, rien de très original pour l’époque, mais une socialisation au sein d’un petit collectif, qui n’est pas sans conséquence pour la vie à venir, les choix de thématiques de recherche et les activités en tant qu’amateur…
Aujourd’hui, fréquentant des lieux culturels et leurs animateurs, participant aux Rencontres de la FRAAP, je m’interroge sur les spécificités des personnes concernées et des interactions que ces lieux et ces événements permettent. Ces interrogations sont nourries d’expériences de recherche action menées sur, et dans, d’autres milieux, dans des lieux d’où émergent des projets d’activités alternatives, sociales et économique, autour du Numérique, des initiatives associatives et solidaires, de plus en plus souvent exprimées en termes de « communs ».
Présenté tel que je l’ai été au cours de ces Rencontres de Limoges, comme quelqu’un d’extérieur susceptible d’avoir un regard décalé, une première réflexion semblait s’imposer : est-ce que, et en quoi, les représentants des réseaux et associations d’artistes plasticiens forment-ils un « monde artiste » ? Y-t-il matière à une approche et un récit de type ethnographique ?
Ma rencontre était-elle avec le « monde de l’art » ? Mais alors, sur quoi reposaient les impressions mélangées de distance et de proximité que je pouvais ressentir ?
S’agissait-il d’une distance ou, tout au moins d’un décalage, avec un monde artiste ? Et, même si les réflexions classiques d’Howard Becker sur les mondes de l’art (1982) montrent qu’ils n’existent qu’en liens forts avec d’autres mondes qui les rendent possibles, une approche par les mondes de l’art me faisait privilégier, dans mes propres expériences, celles qui m’avaient mis, ou me mettent, un peu ou davantage, en position d’artiste.
Mais aussi, comment expliquer les impressions de proximité que je pouvais ressentir alors que je ne suis porteur que d’une très faible expérience artistique ? Ces impressions de proximité ne venaient-elles pas d’une expérience partagée avec nombre de personnes rencontrées lors des Rencontres FRAAP, d’un agir commun ? L’impression de proximité ne venait-elle pas de pratiques communes d’intermédiations, non pas avec des « publics » qui nous seraient communs, mais des milieux, incubateurs de pratiques sociales, culturelles, artistiques, politiques auxquels nous participons et à l’éclosion desquels nous œuvrons communément ?
Ce faisant, je ne partagerais alors pas avec les artistes une expérience de l’œuvre mais une pratique commune de l’ouvrage ?
C’est avec cette préoccupation en tête que je me suis confronté aux enjeux et argumentations mis au débat lors des Rencontres à Limoges.
Certes, d’une certaine manière, oui ; la spécificité « artiste » est réelle. Elle l’est par rapport aux autres mondes sociaux, du fait de caractéristiques et positions sociologiques. Elle l’est dans la façon dont ceux qui s’en réclament perçoivent les particularités de leur existence. Elle l’est aussi, ne serait-ce que par rapport aux autres métiers de création. Et ce n’est pas ici seulement du fait des questions de statuts et de l’absence de filière reconnue pour les arts visuels. Mais l’argumentation de ces spécificités ne relève pas seulement des considérations sur les « mondes de l’art » avancées par Howard Becker (1982) ou de « champs artistiques », chères à Pierre Bourdieu (1979). Mon point de vue ne peut pas être celui de l’ethnologue dépaysé et distancié, découvrant un monde isolé. Il est plus une tentative de relier les enjeux mis en débat lors des Rencontres avec ceux sur lesquels je travaille par ailleurs.
Alors, faut-il parler d’un monde, ou de plusieurs mondes qui s’articulent et s’interpénètrent du fait de la transversalité des pratiques de création ? La complexité est certes le fait des rapports internes et des relations avec l’extérieur qu’impliquent ces activités. Mais elle l’est plus encore des relations qui se tissent avec des « publics » qui ne sont plus ceux auxquels il fallait –faudrait encore diraient encore certains- faciliter l’accès à l’art et la culture, mais des publics qui deviennent pour partie des contributeurs, à différents niveaux d’engagement, dans les activités de création. Et cela ne relève pas seulement d’une logique plus au moins assumée et assurée de médiation mais aussi de pratiques de collaboration.
Dire cela, c’est affirmer que les spécificités artistes ne coïncident plus totalement et exclusivement à la pratique de la création. Les positions artistes sont au croisement des milieux et au cœur des interactions sociales, souvent en relais de pratiques de création qui se diffusent dans la société. Ne peut-on considérer que les artistes sont tout autant des créateurs que des révélateurs et « activateurs » de droits culturels portés par des « publics » qui ne sont pas que des publics auxquels il faudrait permettre l’accès aux œuvres ? La façon dont a été présentée et reçu par les participants la question des droits culturels me semble valider ce point de vue.
Je veux insister sur ce point sans sous-estimer la complexité des relations entre artistes au sein des processus de création, des processus qui sont déterminants pour la socialisation et la rémunération de ceux qui en font profession.
Nous vivons une « époque de créativité diffuse », selon Pascal Nicolas-Lestrat (1998), ou d’ « interdépendance créative », selon Philippe Henry (2014). Mais, elle n’est pas que le résultat de l’exercice de droits culturels. C’est aussi le résultat des positions complexes et souvent ambigües des activités artistiques et culturelles au sein des processus de valorisation économique. Certains parlent de « culturalisation » de l’économie pour marquer le recours grandissant à des formes et contenus artistiques dans les produits et modes de production. Il est devenu courant de parler d’ « industries créatives », et la Région Nord Pas de Calais en faisait même un domaine d’activité stratégique prioritaire…

2. Un milieu social, mais aussi une « catégorie » qui se rapproche des chercheurs et autres professions intellectuelles, une façon de conforter invalider la notion de créatif culturel…
Si je n’ai pas été dépaysé par un monde qui n’est pas un monde artiste, fermé, c’est aussi peut-être parce qu’il participe d’un monde plus vaste qui est celui de la création, de l’innovation et de la recherche. La perméabilité des pratiques créatives, d’action culturelle, sociale et politique renvoie à celle des positions et des parcours des personnes et des collectifs. Au titre de mes propres pratiques de recherche-action, je coopère avec des représentants de collectifs et développeurs de lieux intermédiaires et alternatifs qui partagent des dispositifs d’action semblables à ceux qui mobilisent nombre de membres de la FRAAP rencontrés. Ils y développent un agir collectif comparable et se forgent les mêmes représentations de l’action en commun. Comme leur est commun le recours à des formes renouvelées d’intelligence collective et l’usage du Numérique.
On voit bien que l’on ne peut réduire la question à celle des statuts d’emploi et surtout à celle de leurs différences avec l’emploi salarié faisant norme. Les artistes ont souvent des statuts de professionnels indépendants. Ils voisinent et interagissent avec les salariés des associations et des réseaux qui les aident dans leurs activités, les organisent, parfois les représentent. D’une certaine façon, nous retrouvons ces mêmes complémentarités et structurations dans les mondes de la recherche, lorsque les chercheurs vivent la même expérience d’autonomie des artistes –La sécurité en plus, ce qui change cependant pas mal de choses- et un rapport comparable aux catégories qui les aident et organisent leurs activités ; les personnels administratifs et techniques de la recherche. La recherche connait aussi la croissance des statuts précaires pour ceux qui ne sont pas titulaires des grands organismes publics de recherche.
Dans le même temps, mes recherches sur les milieux porteurs d’initiatives solidaires me montrent des acteurs dans lesquels les jeunes artistes sortant des écoles d’art se retrouveraient certainement.
Voici comment je résumais cet aspect dans un document récent :
Les recherches montrent la manifestation d’un fait générationnel que certains qualifient d’émergence des Millenials, de Digital Natives, de génération Y. On pourrait évoquer aussi leur appartenance à ce cognitariat (Moulier-Boutang, 2007), mais aussi à la « Multitude » (Hardt, Negri, 2004) ou au Precariat (Standing, 2014).
Deux composantes principales forment ces communautés et collectifs de preneurs d’initiatives solidaires, voire en communs. La première composante est le fait d’individus, plutôt jeunes, autant hommes que femmes –La parité dans les modes d’action et de gouvernance n’a pas besoin d’être revendiquée, elle est souvent de fait-. La plus part du temps ils sont diplômés de l’enseignement supérieur, la norme est ici le Master, en particulier ceux produits récemment par l’université française. Peu d’entre eux (elles) sortent de filières caractéristiques de l’élite française, les grandes écoles (d’ingénieurs et de commerce).Leur engagement pour les communs ne s’opère pas tout à fait au sortir des parcours de formation initiale. Il intervient souvent après un temps et des expériences, souvent douloureuses, d’insertion professionnelle dans l’emploi ordinaire par les parcours de stages, de volontariat, d’emplois à durée déterminée, etc.
Mais cette première composante voisine avec une autre, plus âgée, faite de cadres en « transition d’emploi », pour ne pas dire en reconversion professionnelle, et plus globalement personnelle. Cadres intermédiaires, diplômés dans des filières courtes (Bac+3), bloqués dans leurs perspectives de promotion ou fragilisés dans les restructurations des entreprises, ils sont tentés par la création d’activités. Ils ont souvent commencé un parcours ordinaire de créateur d’entreprise dans les modes de l’ « entrepreneuriat ». Parfois, ils sont à cheval entre deux mondes : celui de l’entrepreneuriat et de ses dispositifs publics et privés d’accompagnement, et celui des collectifs et des lieux et dispositifs de l’action en communs. Ici la parité est moins nette, les hommes sont plus nombreux à prendre le risque d’un cheminement qui est souvent présenté comme une reconversion personnelle plus encore qu’une seconde carrière. Mais, les femmes constitutives de cette composante, ont des raisons spécifiques de se retrouver dans ces mêmes lieux et dispositifs en communs. Elles ont souvent exercé des métiers de cadres intermédiaires, mais ont connu les ruptures de carrière, les reconversions obligées des restructurations industrielles avant celles du tertiaire, de la grande distribution, les blocages de carrière dus au plafond de verre de la promotion. De fait, elles ont souvent gardé des contacts avec ces contextes économiques.
Ce sont majoritairement des personnes relevant de ces deux composantes que nous retrouvons dans l’action pour les communs. Ils sont alors, non seulement des acteurs porteurs de projets de communs, mais aussi gestionnaires d’organisations économiques tentant des modes de valorisation économique hybridée, les faisant se rapprocher, de fait, des organisations de l’ESS.
Si elles s’en rapprochent, ces deux composantes sociales se distinguent cependant nettement des catégories sociales principalement mobilisées dans le champ de l’ESS. Dans ces catégories, nous retrouvons plutôt des professionnels des secteurs de l’éducation et de la formation, associés à des métiers et professions travaillant, ou ayant travaillé dans différents secteurs de l’industrie ou des services. Le nombre de retraités de l’Education Nationale et du secteur public, de la fonction publique territoriale par exemple, est ici très important.
En fait, pour comprendre ce qui réunit ces différentes catégories, il faut examiner leurs trajectoires de socialisation professionnelle. Leur seul positionnement en tant que représentant d’une catégorie sociale, statistique, n’est pas suffisante pour en définir les potentialités d’un agir collectif. Ainsi, l’origine sociale et le niveau de formation initiale ne les discriminent pas de ce point de vue, ne serait-ce que du fait de la relative massification des diplômes –Je pense aux Masters de l’Université- ; et ce même s’il faut constater que l’accès aux formations supérieures demeure un indicateur fort de marquage social.

3. Les artistes au cœur des processus d’intermédiation
En tant que groupe social susceptible de développer un positionnement objectif proche des représentations communes de leur appartenance à un groupe et de leurs rapports aux autres, une autre dimension les réunirait davantage. Cette composante est le fruit de leurs expériences communes de l’intermédiation.
Je formule cette hypothèse au terme de trois années d’observation et d’action au sein de dispositifs d’action collective sur lesquels portent mes recherches. Ces dispositifs sont conçus et animés par des acteurs porteurs d’initiatives solidaires et de projets collectifs axés sur les potentialités du Numérique, le développement d’activités basées sur la création et la mise en commun d’usages en communs au sein de collectifs locaux. Deux de ces dispositifs posent directement la question de l’intermédiation. Leurs initiateurs sont connus pour former un collectif d’ « activistes », lillois au départ, et de la région Hauts de France de plus en plus, le collectif « Catalyst ». Ce collectif a la particularité d’être informel, de ne pas s’être constitué en association (du type loi 1901), tout en ayant été reconnu depuis quatre ans par les collectivités locales, la Métropole Européenne de Lille en tout premier lieu. Ce collectif est à l’origine de nombreuses actions qui sont autant d’expériences d’intermédiation.
L’un de ces dispositifs est un atelier tenu tous les deux mois, appelé « Meet-Up Tiers Lieux ». Il permet de rassembler des représentants de collectifs ayant un projet de tiers lieu (Burret, 2015), de leur faire exposer leur projet, de soumettre ce projet à la discussion de porteurs équivalents, puis de tenir plusieurs groupes de travail à la suite. Les mêmes activistes Catalyst se trouvent, pour certains d’entre eux, à l’origine d’un autre dispositif, plus spécifiquement axé sur la fédération et le partage d’expériences sur les communs1. Cette « Assemblée des Communs » se tient, quant à elle, tous les mois, depuis la fin 2015. Envisagé par le « Réseau francophone sur les biens communs », organisateur d’un événement national appelé « Le temps des communs », mais véritablement initié sur le terrain à Lille, ce dispositif commence désormais à faire école en France2. La participation à ces différentes mobilisations d’acteurs sociaux vient renforcer les observations que je mène en direct, dans le suivi de certains des projets présentés dans ces différents dispositifs. Ma participation à ces expérimentations et à leurs analyses intervient dans le cadre du projet CREACIT (Créativité Citoyenne) que je développe depuis 2015 avec l’association Interphaz ; projet de recherche action qui a reçu le soutien de la Région Nord Pas de Calais au travers de son programme de recherche « Chercheurs-Citoyens ».
Ce que tout cela permet, c’est bien une réflexion spécifique sur les contextes et les pratiques d’intermédiation. Philippe Henry, envisageant ce qui caractérise les espaces de création culturelle et artistique, reprend cette notion d’intermédiation qui avait été mise en avant au moment du colloque international sur les friches culturelles, en 2002, et des publications qui ont suivies (Lextrait, Kahn, 2005) : « Dans le sens précisé d’instance active qui met en relation deux situations ou acteurs distincts et qui, parce que justement située entre deux réalités, assure une transition et une communication entre deux phénomènes, la désignation d’intermédiaire me semble rester adéquate » (Henry, 2010).
Pour Philippe Henry, sept dimensions sont structurantes pour caractériser ce que sont ces friches du point de vue de leurs rôles en tant qu’intermédiaires : « En effet et au-delà d’une fonction de médiation entre deux mondes, les friches culturelles existent bien par elles-mêmes et en tant que telles, comme espaces de projets artistiques et culturels identifiés et par ailleurs situés au carrefour d’enjeux divers. Espaces de transactions multiples entre acteurs sociaux hétérogènes, ces « go between » réalisent plus profondément – ou pour le moins ont la volonté de réaliser – une véritable reconfiguration des termes de l’échange entre les acteurs concernés » (idem, p.8).
Je ne détaillerai pas ici ces sept dimensions. Mais, si elles sont une bonne approche pour comprendre ce que sont ces espaces et lieux intermédiaires, « culturels et artistiques », elles le sont aussi pour comprendre la dynamique de lieux, tiers lieux, d’où émergent les initiatives solidaires en communs évoquées précédemment. Ces dimensions sont celles qui permettent la « capacitation » (comme construction de capacités d’action collective, citoyenne, à potentialités de développement économique, etc.) des acteurs qui y sont impliqués, qu’ils soient artistes professionnels, amateurs ou citoyens acteurs de projets alternatifs valorisés dans une autre logique de développement économique. Comme le souligne Jules Desgoutte : « C’est leur capacité d’intermédiation qui les définit (ces lieux) comme « intermédiaires » : à l’intérieur du champ culturel, ils tracent des passages et des continuités entre disciplines –street art, marionnettes, design, peinture, musique amplifiée, danse, art numérique…-, entre acteurs –administrateurs, techniciens, artistes, porteurs de projet, amateurs, habitants…- En dehors, ils ouvrent des lignes de fuite du champ culturel vers d’autres : par leurs pratiques fortement territorialisées, ils croisent autour des enjeux de la ville sensible, les mondes de la recherche, de l’urbanisme et de l’architecture ; fabriques de commun(s), ils explorent des modalités nouvelles d’agir, dans les champs de l’économie, de la politique et de la culture » (Desgoutte, 2016).
Les débats lors d’un séminaire organisé récemment (le 29 juin 2016), à la Briqueterie, à Amiens, par ARTSFactories/Autre(s)pARTs, auquel ont, notamment, participé Ph. Henry et Jules Desgoutte, m’ont que confirmer l’importance de ces processus d’intermédiation dans la construction de ces « intermédialités » (Desgoutte citant Eric Méchoulan, à propos du « tiers inclus et de la médialité de la procédure », revue Intermédialités, 2013). Ces débats prenaient la suite de ceux portés par la Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires Indépendants (CNLII) dont la FRAAP est partenaire.
Ces processus d’intermédiation sont sous-jacents aux Tiers Lieux pour ceux qui donnent à voir autre chose que le partage d’espaces de travail entre des personnes isolées. Dans une rédaction récente, portant sur ces espaces, je développe ces processus de capacitation citoyenne, en soulignant les dynamiques d’  « incubation de communs » dont ces lieux sont porteurs (Mahieu, à paraître).

4. Pratiques artistes : les paradoxes de l’intermédiation
Je mesure l’ampleur des travaux à mener pour être en compréhension de ces pratiques d’intermédiation que je viens de désigner comme l’enjeu majeur d’un développement de milieux créatifs ; que ces milieux soient axés sur des activités artistiques et culturelles ou qu’ils soient plus largement des fabriques sociales, citoyennes, porteuses d’une alternative éthico politique.
Ces travaux, je voudrais y contribuer en ayant le souci de mettre constamment en relation ce qui se conçoit au croisement des mondes de l’art et de la culture avec ceux qui se créent pour porter les initiatives solidaires et les projets alternatifs en communs.
Je ne voudrais pas ici en dresser le programme, ni même en détailler les problématiques. Mes impressions lors des Rencontres de Limoges confrontées à l’expérience de mes recherches action en cours me permettent de souligner quelques paradoxes, pistes pour de futures réflexions.

Artistes entre « collectifs » et « lieux »
Le lieu serait au « collectif artiste » ce que l’atelier lui était dans une représentation antérieure ?
Le lieu traduit-il un processus projet porté par un collectif ou n’était-il qu’une opportunité de mutualiser des ressources ?
Plusieurs personnes rencontrées lors des Rencontres m’indiquaient que, pour eux comme pour beaucoup de collectifs, ceux-ci s’étaient constitués au sortir de l’école d’art, au moment où « lâché(e)s » dans la nature, ils-elles avaient dû faire face aux difficultés d’être artistes, seul(e)s.
Le collectif, et donc la mise en commun est alors le recours. Au-delà représente-t-il autre chose, un projet commun, une orientation partagée, une vision du métier et du rapport aux autres, à l’institution, à la société ?
Un parallèle peut être fait avec les dynamiques qui se font jour lors de la création des espaces alternatifs et autres lieux de coworking, les tiers lieux, etc. Le bilan de ces dynamiques de création souligne l’importance des communautés dans la création de ces espaces (Burret, 2015 ; Mahieu, à paraître) ; sans communauté porteuse, et, j’ajoute, sans pratiques d’intermédiation, le tiers lieu n’est souvent qu’un espace de travail partagé, évoluant souvent davantage vers le centre d’affaire que vers un lieu intermédiaire.
Cela débouche sur une problématique bien connue des communautés porteuses de lieux artistiques comme des lieux alternatifs, fut-il privilégier le lieu lui-même en tant que réalité spatiale, matérielle ou le « projet » qu’un lieu (celui-là où un autre, si on y est obligé) permet de mettre en œuvre ? C’est notamment la question qui est posée aux collectifs lorsque la survie ou même la pérennité du lieu est posée.
Ainsi le lieu intermédiaire peut être, tout à la fois, lieu de travail de l’artiste, de résidence de l’artiste invité, lieu d’exposition, lieu de vie et d’interactions. Mais peut-il être aussi un lieu « projet », pour des créations nomades, cartographies sensibles, visuelles et sonores, participatives, interactives, qui pourrait privilégier l’ « itinérance » et le fait « d’aller au-devant des populations » ? Certains –Je ne rends pas compte ici d’une « enquête » qualitative qui aurait le souci de la représentativité des opinions exprimées- m’ont dit : « Pas de lieu, c’est un atout ; on investit des lieux qui ne sont pas dédiés à l’art… ».

Lieux et Identités
La question de la construction des positions et postures artistes, des trajectoires personnelles et des parcours identitaires est une question complexe. Je ne l’aborde ici qu’en relation avec cette problématique des lieux intermédiaires, lieux de pratiques d’intermédiation. Alors, il faut tenir compte de la diversité des façons dont se construisent ces parcours, souvent dans une succession de lieux portés par autant de collectifs et de groupes d’appartenance. Les expériences de coopération se mêlent alors aux controverses, voire aux ruptures.
Ce sont souvent autant d’interactions, de frottements, comme autant d’épreuves de construction de singularités. Ici aussi mes observations des tiers lieux me révèlent autant des processus collectifs d’intermédiation qui sont, pour beaucoup, construction d’une « justesse personnelle », selon Danilo Martuccelli (2010).
« Je ne suis plus restreint à un lieu, mais lié à un territoire ; avec un lieu je n’ai pas trouvé mon compte, parce qu’il faut s’identifier… »
« Je veux être l’artiste, mais pas l’artiste tout court, tout seul, on ne peut pas se contenter d’être artiste tout seul. On ne peut pas n’exister qu’en lien avec les expos, en vendant des œuvres ; on vit dans un espace complexe. On vit de la relation au sein d’une communauté (de pensée) qui forme un espace d’institution. On vit de nos expériences hybrides, d’expérimentations des formes d’art en public, de l’intermédiation… ».
« Le « nous » se construit souvent après l’école d’art, lorsqu’on est lâché tout seul après 5 ans d’études et de projets en collectifs… »
« Ce n’est pas seulement, ou tellement, que l’on veut réaliser des œuvres collectives, ce sont souvent des œuvres individuelles mais aidées par des compétences qui viennent des autres pour faire avancer des œuvres qui demeurent personnelles… ».
« J’aime travailler dans un atelier, mais dans un contexte « collectif ». Je préfère travailler seul (photos), dans un espace cloisonné. Mais, j’aime qu’à côté de moi, il y en ait d’autres avec qui je peux partager une même expérience de travail, des réseaux. Je privilégie le travail individuel mais dans un espace qui permet des contacts, des repas en commun par exemple, un atelier personnel mais avec des liens amicaux forts, et de la coopération sur certains travaux entre pairs… ».
« La dynamique de création collective, de co création, ou de mise en commun des démarches individuelles de création avec entre aide ou coopération, partage de compétences, etc. ; ce n’est pas un phénomène récent. Les processus de création ont souvent été plus collectifs qu’on ne le croit ; les collectifs jouant un rôle d’  « incubateurs de singularités ». Le rôle des collectifs structurés en assos se trouve bien là… ».

Les questions de professionnalisation aux détours des processus de coopération
Je me rends compte que parler de coopération entre structures peut soulever des interrogations.
La question de la coopération entre lieux, structures et réseaux peut présenter des pièges lorsque les parcours spécifiques des uns et des autres en leur sein ne sont pas identifiés, explicités et organisés : « Il ne suffit pas de créer des dispositifs de coopération pour que les artistes puissent y avoir accès.. ».
Ces dispositifs de coopération permettent-ils de développer des logiques de professionnalisation, mais lesquelles et privilégiant qui ? S’agit-il de professionnaliser des artistes dans la pluridisciplinarité de leurs activités et la diversité de leur parcours, ou s’agit-il de professionnaliser des métiers culturels éventuellement dans des perspectives de polyvalence fonctionnelle ? Certains soulignent que les dispositifs de coopération profitent d’abord aux « staffs des structures et des dispositifs de coopération qui sont souvent les mêmes ou ont les mêmes trajectoires en sont les développeurs et les animateurs. Mais les artistes sont souvent marginalisés dans les processus de coopération, lorsque ces processus sont appuyés par des dispositifs financés par l’action publique… ».

Lieux, Institutions, Patrimoine…
Les Rencontres sont l’occasion de présenter des lieux, des « structures », certaines faisant « réseaux ». Les présentations mêlent descriptions physiques de ressources, de moyens, de réalisations et récits historiques de la création et des développements qui s’en sont suivis.
Ainsi, quand il est question de la création de centres d’art, la présentation qui en est faite peut restituer des processus et des logiques bien différentes.
S’agit-il, au départ d’artistes créateurs, d’un collectif qui se crée et définit un lieu, puis le lieu devient centre d’art et éventuellement un bâtiment est créé, avec un architecte qui en symbolise la création, puis le directeur du centre qui l’organise et en devient l’incarnation…
Mais, le patrimoine auquel on identifie ensuite plus ou moins l’entité créée, c’est l’histoire de l’ensemble des interactions et des intermédiations qui ont rendu possible des processus de création ancrés sur un territoire, ou le patrimoine sera-t-il réduit au lieu lui-même dans son existence physique et institutionnelle ?

Du fait des recherches que je mène par ailleurs et du choix fait de les positionner au sein d’une Chaire interdisciplinaire en Economie Sociale et Solidaire, je n’ai pas manqué d’être interpelé, lors des Rencontres, par deux autres thématiques. La première de ces thématiques est celle de l’économie politique sous-jacente à un développement d’activités artistiques et culturelles marqué par cette créativité diffuse et cette interdépendance créative évoquée plus haut. La seconde est celle qui fait converger reconnaissance des activités créées, valorisation économique de ces activités, représentation de ceux qui activent ces processus de création et structuration d’un espace public, incubateur de mobilisations éthico politiques, d’activités valorisées économiquement ainsi que de politiques publiques et d’institutions en appui.

5. Quelle économie politique pour quelles intermédiations ?
La question de l’ « économie » est peu souvent abordée. Elle est plus souvent vue comme une contrainte au travers de la question du financement provenant de l’institution publique au titre de la redistribution par l’action publique. Elle est souvent associée à une alternative qui semble marquée d’évidence mais que démontent les pratiques innovantes de création d’activités portées dans des logiques émergentes d’un entreprendre en communs. Ce qui est parfois présenté comme le « nouveau paradigme » économique des activités artistiques et culturelles : « il ne faudrait plus trop compter sur le financement public et aller vers un entrepreneuriat culturel à même d’assurer désormais une partie importante de la valorisation de ces activités… ».
Lors des Rencontres, quelqu’un soulignait « l’ambiguïté de la gratuité pour nos activités…Ils nous voient comme des bénévoles dans l’espace public. Lorsque les représentants des collectivités territoriales nous font accéder à un espace, à un mur, etc. Ils estiment que cela va nous aider à nous faire connaitre. Ils n’envisagent pas que ce soit une « activité » qui mérite une rémunération. On se financerait donc ailleurs, par les expositions (mais qu’en est-il de l’exercice rémunéré du droit de représentation ?), par les ventes en galeries (mais quelle est l’économie des galeries d’art contemporain ?)… ».
Et un autre ajoutait à ce propos que « l’on ne peut pas compter à ce moment-là sur les représentants des institutions (type Frac) qui ne connaissent rien à la création, à ses processus concrets et à la façon de les financer et de les rémunérer… ».
Pour le représentant de la DGCA-Ministère de la Culture, à propos des réflexions en cours sur un futur schéma directeur de la filière, le SODAVI : « Il faudrait associer le secteur marchand pour y mettre de l’économie, y mettre les métiers d’art, la mode, le design… ». Ainsi, il ne saurait être question d’économie en dehors de l’évocation du secteur marchand ? Il est apparu à d’autres qui n’ont pas manqué de le dire que l’économie politique permettant de penser l’évolution de la filière ne pouvait se réduire « au fait d’y intégrer les galeries…des galeries, qui plus est, sont en difficulté, et s’en sortent en adoptant des statuts associatifs… ».
Quelqu’un faisait alors remarquer que « l’économie ce n’est pas seulement le marchand, c’est l’ESS, réflexion qui est bien présente dans les avancées de l’UFISC… ». De façon convergente à un texte qui donne une dimension artistique et poétique aux lieux intermédiaires sous le titre de Commun(s), il me semble important de souligner en quoi le mouvement de l’ESS enrichi de la dynamique des communs ouvre de nouveaux horizons pour une économie politique ouvertes à la création et au développement des activités artistiques et culturelles comme il l’est aux activités générées par le Numérique en Open Source.

6. Engagements et représentations des artistes dans un espace public en émergence ?
Les associations et collectifs d’artistes sont des « acteurs résilients » dans les territoires.
« Voir ces associations et ces collectifs comme des opérateurs de médiation culturelle, c’est une façon élégante et dépolitisée de parler du rôle de tampon et d’amortisseur de la violence sociétale que recouvrent les ségrégations créées dans les territoires par les rapports économiques dominants ».
Il faut identifier le rôle que l’on fait jouer à ces associations pour le construire en intervention politique et en professionnalisation maîtrisée par les artistes eux-mêmes.
La question est posée de la représentation des artistes : Qui parle pour eux ?
Les artistes sont marginalisés dans les processus de discussion et de négociation avec les institutions, mais aussi dans les processus de coopération, dans l’accès aux ressources.
La FRAAP est un outil commun, une plateforme pour donner de la visibilité aux assos d’artistes.
Mais comment représenter les salariés des structures et des réseaux et les artistes qui eux sont en micro BNC, ou sous statut Maison des Artistes ?
Cela rejoint la question de la professionnalisation, mais professionnalisation de qui : des artistes, ou de toutes les professions intermédiaires qui se développent à mesure que la profession se structure ?
« Qui nous représente ? » « Par-delà ce que disent ces structures il faut aller voir si les artistes et leur dynamique de création sont bien représentés. Il ne faut pas se sentir représenté par les structures type Drac, Frac, ou même les lieux, si ce n’est pas vraiment le cas… ».
« Il faut aller les voir (les Drac, les assos de diffuseurs, les lieux intermédiaires) pour parler de nos pratiques réelles qui ne sont pas celles du spectacle vivant ou des musiques actuelles… ».
La discussion lors des Rencontres me semble vouloir faire converger plusieurs modes de représentation, activant plusieurs types d’action et d’argumentation / délibération : le mode de représentation type CIPAC, une représentation des lieux officiels, leurs organisations, leurs salariés… ; le mode de représentation type FRAAP, dans la mesure où « elle représente vraiment les petits collectifs et les artistes, en direct… ».
Ces modes de représentation se mettent en œuvre à différents niveaux : le niveau national, les schémas, les conseils nationaux, les négociations professionnelles ; de plus en plus, les niveaux des collectivités territoriales.
Mais, un danger est évoqué, celui du tropisme régional, c’est celui où peut se construire la filière dans ses rapports avec les acteurs majeurs des collectivités territoriales, les Régions : « Le danger serait d’assimiler toute concertation locale à ce niveau sans tenir compte des concertations locales, infra régionales, celles où les projets se font, se financent…. ».
Une autre question est posée celle des articulations entre les fédérations nationales et les réseaux régionaux.
Mais, une des difficultés principales de la concertation et de la négociation (du partage de la valeur) est peut être ailleurs ; dans le fait d’être un secteur qui n’a pas une opposition frontale entre employeurs et salariés. « On ne peut pas évoquer le paritarisme comme dans le spectacle vivant. Les artistes ne sont pas des salariés ; ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des oppositions de cette nature au sein de la filière… ».
Ainsi, les limites de la concertation seraient dues au fait de ne pas être une branche et de ne pas avoir un paritarisme évident et une opposition employeurs / salariés. Mais les représentants qui pensent en représentation paritaire ont eux aussi des limites.
Des représentants comme l’UFISC et la FRAAP sont bien partenaires de ces concertations : « ils sont dedans, ils apportent sans être des émanations des exclusives de forces soit employeurs soit salariés… ».

Mais, on pourrait élargir la question de la représentation des milieux de la création artistique pour mieux comprendre leurs rôles comme acteurs politiques. Un participant aux Rencontres soulignait le rôle des associations et collectifs d’artistes comme acteurs résilients sur les territoires. Mais, au-delà de cela, c’est la question de leur rôle dans un espace public en recomposition qui me semble posée.
Je me la suis posée à propos des tiers lieux, des mobilisations et des processus d’intermédiation que j’observe dans mes autres terrains de recherche.
Ainsi, je développe l’idée selon laquelle : « L’institution d’un espace public 3c’est l’émergence d’un vocabulaire et de modes argumentatifs et décisionnels spécifiques. Le tournant communicationnel, avec Habermas notamment, a consisté à mettre l’accent sur la structure argumentative de la discussion publique. La sociologie à visée pragmatiste insiste, quant à elle, sur l’agir ensemble. Mais, un espace public c’est avant tout une collectivité, une configuration de couches ou classes sociales, dans lesquelles s’enracinent des acteurs mobilisés. Ces acteurs pourront être socialement diversifiés, mais relevant de positions sociales et de postures socio politiques suffisamment proches pour permettre une prise de conscience d’eux-mêmes et une volonté de se déterminer, de se produire (et reproduire) et de se transformer, lorsque le maintien ou l’instauration d’une posture hégémonique le rend nécessaire. Les rapports complexes entre espace public, action politique, notamment sous le thème de la liberté et des droits, et configurations sociales sont au cœur de l’analyse et des interprétations à propos des mobilisations à l’œuvre dans ces initiatives et des communautés et réseaux qui les fédèrent. Dans quelle mesure une communauté participe-t-elle à l’institution d’un espace public politique, en accédant à la visibilité sur une scène publique sur laquelle les acteurs s’appréhendent les uns les autres comme égaux, libres, autonomes et solidaires dans une intersubjectivité de niveau supérieur (Cottereau, Ladrière et al., 1992, p.13) ? Les réticences demeurent quant à la possibilité de ceux appartenant à certaines couches sociales marginalisées d’accéder à de tels processus d’action collective potentiellement émancipateurs. Tenir compte des limites de l’action collective suppose une approche plus stratégique, envisageant des sous espaces publics dominés, quitte à les considérer comme articulés dans un espace public oppositionnel au sein duquel des couches sociales, plus avantagées en capacités d’action collective, jouent un rôle hégémonique. Cette conception de l’action politique en termes d’ « espaces publics partiels » nous fait porter notre attention, plutôt que sur les contenus substantifs en valeurs des argumentations, sur les contenus collectivement et socialement construits au cours des pratiques collectives. Cela nous met en vigilance sur les principes, les procédures d’argumentation et de décision garantissant la fondation des normes et des institutions que se donnent les acteurs. Quels en sont les acteurs clés, en situation hégémonique au sein de cet espace ? » (Extrait d’un article en cours sur « L’Espace Public de l’Agir en Communs : Publicité des tiers lieux et accompagnement des projets vers l’Assemblée des Communs »).
C’est dans cet esprit que, selon moi, devrait s’analyser l’expérience du CRAC (Comité Régional Art et Culture) dans le Nord Pas de Calais Picardie.
C’est aussi au regard de cette notion d’espace public et en prenant en considération la dynamique instauré par la démarche CRAC que je m’interroge sur l’opportunité qu’il y aurait d’une dynamique similaire à impulser pour et par les chercheurs, et à faire converger ces dynamiques…Le jeu de l’action politique est ouvert….

Je ne voudrais pas terminer ces annotations et propositions personnelles sans redire tout mon intérêt pour poursuivre la réflexion et ma disponibilité pour de futurs partenariats de recherche action.

Références :
Desgoutte J. (2016), https://www.artfactories.net/Commun-S-Vers-une-poetique-des.html

Les acteurs sociaux des arts visuels à la croisée des mondes

Structuration et reconnaissance des acteurs et milieux créatifs des arts visuels en région Hauts-de-France : la dynamique de la filière impulsée par 50° nord

Les arts et la culture sont désormais au cœur des enjeux du développement régional territorial. De fait la Région Nord-Pas-de-Calais, devenue « Hauts-de-France » après sa fusion avec la Picardie, est connue pour la densité de ses activités artistiques et culturelles. Ce territoire est riche d’organisations, d’associations, de réseaux qui fédèrent les acteurs majeurs de ces secteurs.
Dans leurs différentes spécialités, ces acteurs ont su s’organiser. Ils le font, secteur par secteur, dans des modalités originales comme le montre la densité du tissu d’associations et de réseaux. Ils le font aussi au travers d’un regroupement au sein du CRAC (Collectif régional arts et culture).
Les arts visuels présentent une particularité, par rapport aux autres secteurs. Les acteurs de ce « secteur » sont peu reconnus dans leurs spécificités professionnelles et leur contribution économique, par les pouvoirs publics. Ils le sont moins que d’autres activités artistiques et culturelles, le spectacle vivant, les musiques actuelles, la musique classique, d’autres encore, qui savent davantage exister collectivement dans l’espace public. Le « secteur » des arts visuels voudrait davantage exister en tant que « filière » reconnue. Des acteurs de ce secteur ont pris une initiative en ce sens sous l’impulsion de l’association 50° nord1. Rejoints par des représentants des métiers et organisations du secteur, ils ont enclenché une dynamique de constitution d’un secteur socio-économique à part entière. Cette réflexion s’inscrit à la confluence de trois controverses majeures qui impactent fortement les mondes des arts et de la culture.
Cette dynamique s’inscrit tout d’abord dans les perspectives ouvertes par la problématique et les mobilisations autour des « Nouveaux Territoires de l’Art »2. Cet horizon des « Nouveaux Territoires de l’Art » est au cœur des propositions promues par l’action collective pour une politique des arts et de la culture engagée par le CRAC Hauts-de-France. Le CRAC, par la réunion des professionnels des arts et de la culture mobilisés dans un processus de co-construction, a donné lieu à la rédaction du « livre blanc » puis du « livre vert, pour une nouvelle ambition culturelle de la Région Hauts-de-France | Nord-Pas-de-Calais-Picardie » publiés respectivement en 2015 et 20163.
Cette réflexion se nourrit également des expérimentions et des propositions provenant de l’élan donné, dans la dernière période, à une économie politique alternative qui trouve dans le renouveau de l’économie sociale et solidaire (ESS) et la perspective ouverte par les « communs », les conditions d’une viabilité économique et sociale pour les activités de création. Cette économie solidaire de l’art et de la culture4 se pose désormais en alternative crédible à l’envahissement de la problématique culturelle par un « paradigme », souvent présenté comme indépassable, affirmant la récession du financement des politiques culturelles de redistribution exercé par l’action publique associée à une issue exclusivement marchande appuyée par l’essor des industries créatives dans une économie financiarisée. De nouvelles dispositions (loi de juillet 2014 et les PTCE – pôles territoriaux de coopération économique) renforcent la visibilité des organisations émergeant de cette démultiplication des activités artistiques et culturelles dans les conditions nouvelles de cette « créativité diffuse »5 et nourrissant les expérimentations artistiques lorsqu’elles rejoignent des pratiques sociales de prise d’initiatives solidaires.
Enfin, et surtout, cette réflexion entre en résonance avec la démarche de structuration engagée par les acteurs du secteur eux-mêmes, dans la diversité de leurs métiers et positions au sein du secteur, et sur une base territoriale qui est celle de la Région Hauts-de-France.
Cette action collective a pris la forme de la tenue régulière de réunions, constituées d’acteurs des champs privés et publics. Un travail conséquent a d’ores et déjà été engagé depuis 2015 : douze réunions de travail ont été tenues, rassemblant plus de 170 participants.
Les contributeurs se proposaient une action en deux temps et deux types d’argumentation vis-à-vis des pouvoirs en place et, plus globalement, vis-à-vis de l’espace public. Le premier mouvement est celui de l’association des acteurs et de la délimitation de l’écosystème concerné. Et l’on sait que cette question est plus complexe que la seule recension, pourtant déjà difficile, des acteurs professionnalisés des mondes des arts visuels et de leurs formes d’association traditionnelles. Déjà, s’agissant de ces acteurs, les relations qui les associent et les positions qu’ils occupent ne les renvoient pas à des relations d’autorité entre employeurs/employés ; ce qui questionne le recours à la notion de « filière ». Le second mouvement de cette action collective est celui de l’élaboration d’une stratégie différenciée pour la reconnaissance de ces activités de création et de leurs acteurs, dans la diversité de leurs positionnements.
Les objectifs de cette action sont précis et clairement exprimés. Le premier grand objectif est bien la consolidation des réseaux territoriaux de façon à en faire des « interlocuteurs privilégiés pour les décideurs publics susceptibles de porter une parole collective et transversale des professionnels du secteur face aux décideurs »6. L’objectif est ici de créer un « effet levier » sur les territoires.
Le second grand objectif s’appuie sur les potentialités qu’offre l’organisation en réseaux territoriaux. Il est de « structurer en filière le champ des arts visuels »7. Ce recours à la notion de filière apparaît alors comme le préalable à la mise en perspective des formes et dispositifs que pourraient prendre cette structuration.
Si la notion de filière est avancée de façon concertée par l’ensemble des professionnels des arts visuels représentés au sein du CIPAC8, à la recherche de la forme qui pourra permettre la reconnaissance d’un secteur des arts visuels, il est souligné qu’elle a besoin d’être clarifiée. De fait, elle est fortement mise en avant même si elle est perçue aussi dans ce qu’elle pourrait avoir de limitatif, dans la mesure de son acception traditionnelle dans la conception des politiques industrielles.
De fait, une volonté commune est nettement affirmée par les participants aux réunions « filière » ; et une volonté qui se perçoit de réunion en réunion alors que sa composition évolue en permanence.
Les travaux engagés au sein de 50° nord et d’autres réseaux territoriaux en arts visuels ouvrent la voie. Leur poursuite devrait permettre de clarifier ces trois points.

La filière comme potentialité de structuration et exigence de reconnaissance dans des mondes des arts visuels en mutation

Pour envisager la spécificité et la représentation des arts visuels, les participants aux réunions animées par 50° nord font ainsi le choix de la notion de filière. Ils le font dans la mesure où la notion de filière semble la plus appropriée pour rendre possible une capacité collective de concertation et négociation avec les pouvoirs publics et les forces économiques. Deux questions sont principalement débattues : quelle serait la composition de cette filière, et quels seraient les besoins collectifs et axes stratégiques qui pourraient être promus dans ces processus de concertation ? La première question renvoie à la seconde quant à l’attente des acteurs de cette filière. Et de ce point de vue, les propos avancés lors des réunions montrent des attentes différentes. Elles correspondent aux situations plus ou moins atomisées, voire marginalisées, que connaissent certains acteurs isolées qui cherchent dans la constitution de cette filière une reconnaissance institutionnelle, « professionnelle » qui soit aussi, et avant tout pour certains, l’obtention de conditions favorables à la poursuite et au développement de leurs activités de création. Il faut alors souligner que les processus de concertation avec ces pouvoirs ont une histoire dans laquelle s’inscrit leur élargissement à ces nouveaux espaces publics de négociation que sont ceux ouverts au niveau des collectivités territoriales. Il faut alors envisager que la notion de filière renvoie à, au moins, deux contextes de régulation institutionnelle.
Le premier de ces contextes est celui de la régulation opérée au titre des politiques économiques et plus précisément des politiques industrielles. Ici, la filière9 correspond à la volonté de se voir reconnaître la contribution au développement social et économique que représentent leurs activités. Mais se référer à une notion connotée de pratiques de politiques industrielles telles qu’elles se sont développées aux heures de gloire du recours à la notion peut introduire des limitations dans la composition et surtout la structuration des activités reconnues. Dans cette acception, la notion de filière renvoie alors aux activités constitutives de « produits », et donc de biens « œuvres » valorisés par des transactions marchandes correspondant à l’action d’opérateurs publics ou privés. Elle induit une problématique d’intégration agrégative et hiérarchisée par l’importance des contributions en termes de chaînes de produit et de valeur. Elle introduit donc un principe de domination que supposent des interdépendances orientées par des relations d’échanges marchands ou des liens de subordination (des relations salariales). Le critère de taille associé à la recherche d’économie d’échelle est alors fortement mis en avant ; ce qui pose problème s’agissant des activités artistiques. Ce principe de domination est aussi un principe d’influence dans un système d’échanges économiques inégaux régulé par des valeurs marchandes et de contrôle potentiel sur les activités10.
Mais la notion de filière correspond aussi à des contextes spécifiques où celle-ci est vue comme un outil pour penser le développement des activités renvoyées à leurs contenus « métiers » dans une perspective de professionnalisation et d’insertion professionnelle. Dans cette perspective, la composition de la filière et les « sous filières » seront envisagées à l’aune des activités professionnelles des personnes. Et l’on voit alors que, selon les urgences de reconnaissance que provoquent certaines de ces positions, celles des artistes-auteurs en tout premier lieu, cette composition sera envisagée sous l’angle des statuts professionnels, ou de l’absence ou de fragilisation de ces statuts. Ici, l’effet positif de la focalisation sur les enjeux et les dispositifs de professionnalisation pourra entraîner un possible effet de limitation de la part de catégories qui n’ont pas, encore ou totalement, cette perspective de professionnalisation, ou pour qui la viabilisation économique et sociale de leurs activités, parfois non portées à titre exclusif ou même principal, tout en cadrant plus avec la catégorie traditionnelle d’amateur, peut prendre d’autres voies que celles de statuts professionnels.
Aussi, si le recours à la notion de filière manifeste une intention forte de contribuer non seulement aux politiques culturelles mais aussi aux politiques de développement économique, il importe de clarifier ce recours par ceux qui y confèrent des objectifs de structuration et de reconnaissance. De la même façon il faut clarifier l’interprétation qui en est faite par les acteurs institutionnels, organisateurs des processus de concertation/régulation. On voit qu’il ne peut y avoir de vision simple de la filière, au sens où le mot se veut une représentation simplificatrice et reconnue des rapports entre participants au développement d’une famille d’activités, dans la mesure où les acteurs, dans leurs parcours et la maîtrise de leurs activités s’investissent dans des processus plus complexes de création collaborative, de coopération sur les ressources et d’hybridation des formes de valorisation économique.

Comprendre l’écosystème localisé des acteurs, des espaces de la création diffuse et des intermédiations : les trajectoires des engagements créatifs et des professionnalisations et leurs modes de viabilisation économique

On voit alors que la réflexion ne doit pas seulement porter sur la composition d’une filière en activités dont les soubassements en termes de logiques de valorisation ne seraient pas abordés. Mais, plus encore, c’est la diversité des modes d’une créativité ouverte dans ses processus de production, diffusion qui doit présider à l’exploration d’un écosystème des arts visuels. Il importe de ne pas aborder la notion de filière avec une représentation obsolète des acteurs en jeu et de leurs relations. La complexité que suppose l’exploration de cet écosystème n’est pas celle de la multiplication des acteurs et de leurs positionnements pour des contenus ou des produits inchangés. Cette complexité provient de la multiplication/diversification des processus d’interactions et d’intermédiations ainsi que des contenus artistiques que ces intermédiations produisent. Le paradoxe est qu’ici, au moment où la fragilisation des positions artistes apparaît avec plus de netteté, nous pourrions vivre une « époque de créativité diffuse »11, une époque de co-création élargie à une diversité d’acteurs, un contexte qui, plus globalement s’agissant des processus de valorisation générés notamment avec les potentialités du recours aux technologies cognitives et créatives, correspondrait à « un nouveau régime d’interactions »12. Vue sous cet angle, l’activité artistique englobe une diversité de processus politiques, sociaux, économiques, culturels. Les processus de création, en arts visuels, tout autant que dans d’autres domaines de création, montrent une diversité de positions de co-création, mais aussi d’intermédiations qui sont autant de « milieux sociaux » dans lesquels les positions des acteurs sociaux ne peuvent être envisagées à l’aune de la mesure des compétences et des caractéristiques de métiers traditionnelles. Mais ce qui complique la compréhension d’un écosystème de la création artistique est le fait que cette époque de créativité diffuse est aussi celle de la diffusion massive de produits culturels, de la possible spéculation sur les œuvres du fait d’une économie financiarisée de la rente, du saisissement par les entrepreneurs du capitalisme de la « figure même du créateur »13. De nouvelles figures de créatifs émergent dans des processus artistiques ouverts à de nouvelles interactions sociales, solidaires14, et on ne peut que constater l’intégration du « créatif » dans le cœur des processus de valorisation de l’économie dominante15.
À cela, il faut ajouter l’analyse qui doit être faite de l’extension du « travail créatif-intellectuel »16 et de ses conséquences sur les transformations des métiers et positions intellectuels – métiers et positions que l’on trouve souvent associés aux expérimentations menées dans ces processus de créativité diffuse. En plus des divers métiers artistiques, les projets de création associent ainsi de plus en plus une diversité de ces métiers ; des architectes, des sociologues, des développeurs en informatique, etc.
La question de la place des intermédiations dans ces processus de création doit être regardée avec plus d’attention encore. On peut constater la multiplication des intermédiations que l’on pourrait qualifier de traditionnelles et qui sont bien repérées dans leurs rôles de diffusion et de valorisation des arts en région. Des études17 qui leur ont été consacrées, il en ressort des topographies des « mondes de l’art » spécifiques aux régions et aux grandes agglomérations. Ces topographies distinguent le monde institutionnel, « constitué du fonds régional d’art contemporain (FRAC), de l’école des beaux-arts et de lieux labellisés dédiés à l’art contemporain (musées, centres d’art, etc.) », du monde marchand, « constitué de galeries proposant des œuvres d’art »18. Un autre monde est envisagé, désigné « mondes intermédiaires », mais peu repéré dans la spécificité des intermédiations qui en résultent. Ces intermédiations sont créatrices de milieux territorialisés de co-création artistique. Les prendre en compte suppose de percevoir l’irruption des processus d’action sociale et solidaire à l’intérieur des processus de création. Et l’on comprend que ceux qui œuvrent dans de tels processus puissent s’adresser à d’autres institutions que celles de l’art et de la culture (la DRAC et les services culture des collectivités territoriales, notamment) et se tourner vers d’autres politiques comme celles en charge de la ville, au soutien à la participation citoyenne ou à l’ESS. Comprendre ces intermédiations nouvelles suppose de prendre en considération le forme réseau du travail artistique dans ces contextes de créativité diffuse ; formes faites d’appariements singuliers d’acteurs et de métiers divers, de fonctionnements « rhizomiques » qui peuvent déboucher sur des modalités, elles-mêmes renouvelées, d’engagements artistiques, parfois loin des formes idéalisées des positions « artiste ». Cela suppose aussi de s’intéresser aux formes de valorisation économique dans lesquels opèrent ces processus d’intermédiation et aux conditions concrètes de construction de leur viabilité économique. Cette recherche de viabilité peut prendre le chemin de l’action pour la constitution et la reconnaissance de nouvelles formes d’action publique et de nouveaux appuis publics dans le cadre de nouvelles politiques culturelles co-construites avec les acteurs des secteurs des arts et de la culture comme cela s’est engagé avec l’action du CRAC Hauts-de-France. Elle peut aussi prendre le chemin d’un entrepreneuriat alternatif de l’activité artistique et culturelle, éventuellement appuyé par les dispositifs de l’ESS. Le processus de la reconnaissance sociale des réseaux est alors indissociable de la reconnaissance des milieux sociaux qui les portent. On voit alors que ces milieux ne sont pas de simples lieux de coordination fonctionnelle, mais des lieux de coopération et de contributions, certes dans des modes d’organisation plus ou moins hiérarchisés et dominés, ou potentiellement égalitaires ; ce qui n’est pas sans poser de problème compte tenu des approches qui pourraient en être faites en termes de différences d’intérêts ou de différentiels de notoriété. Sous cet angle, ils renforcent la nécessité d’un repérage des espaces, des lieux, des situations dans lesquels s’opèrent ces processus de création spécifiques aux arts visuels. Mais c’est aussi continuer et approfondir un travail d’observation et d’analyse déjà initié au moment où ont été développées les expérimentations et les réflexions ayant donné naissance au mouvement des « Nouveaux Territoires de l’Art ». Cela revient à s’intéresser aux espaces et friches artistiques et à faire converger le travail d’observation de ces phénomènes en région avec celui engagée par certains collectifs pluridisciplinaires de chercheurs/acteurs artistiques tels ceux rassemblés au sein de la Coordination nationale des lieux intermédiaires (CNIL) ou de l’Institut de coopération pour la culture19. Il faudrait également articuler plus étroitement ces problématiques avec celles qui se développent aux points de convergence des potentialités offertes par la dimension alternative de l’économie numérique collaborative – avec les développements actuels de l’ESS – qui se nourrit de nouvelles initiatives en « communs »20. Parmi les travaux de recherche et de propositions pour l’action sur ces convergences, il faut citer les travaux de l’UFISC et ceux impulsés par le Labo de l’ESS, notamment sur l’impact des PTCE « Culture »21.

Quelle organisation de la représentation pour quelle stratégie de reconnaissance des arts visuels dans l’espace public ?

Partant de ces considérations sur la composition de cet écosystème, ce troisième point aborde plus directement la question de sa structuration et de la stratégie de reconnaissance que peuvent élaborer les acteurs concernés.
La composition ne peut en être établie une fois pour toute. Elle dépend de l’évolution des processus de production (y compris leurs dimensions nouvelles de co-création, en réseaux, etc.) qui eux-mêmes supposent de réexaminer les processus de diffusion et de médiation vis-à-vis d’usagers à différents niveaux d’implication concrète et d’engagement solidaire dans la création. Cette composition peut alors s’opérer en arbitrant entre deux types de critères : ceux associés à la maîtrise des activités, des métiers et des statuts, ainsi que des modes de valorisation économique, dans les domaines des arts visuels ; et ceux associés aux formes d’implication et d’engagement dans la création artistique sur l’espace public.
La structuration de cet écosystème doit vraisemblablement reposer à la fois sur le partage de principes permettant d’envisager l’écosystème dans la dynamique de transformation de cette composition et à la fois sur des modalités concrètes d’organisation permettant aux acteurs de faire face aux enjeux politiques et économiques au niveau territorial. C’est particulièrement le cas avec les opportunités de concertations/négociations que représentent les futures CTAP (conférences territoriales de l’action publique)22 tenues au niveau régional, mais c’est plus encore le cas avec les SODAVI23. De ce point de vue, la question de la structuration est une question ouverte dans la mesure où la position des acteurs de l’écosystème se déplace mais que l’espace de jeu des acteurs se déplace également. En réunion « filière », il sera fait mention que « ceux qui doivent faire partie de la filière sont ceux qui interviennent et participent au débat, la question de fond de la composition n’est pas dans le périmètre mais dans le mode d’animation ». Face à cela, l’action des pouvoirs publics ne se réduit pas à une négociation à périmètre stabilisé mais elle participe aussi à la transformation de cet espace dans sa composition, en sous-secteurs, en sous filières, etc. ; pouvant renforcer l’un ou l’autre, créant des priorités, des rééquilibrages, une solidarité plus ou moins forte au sein de l’écosystème24.

Une dynamique est en cours. Les acteurs mobilisés des secteurs des arts visuels tentent de trouver des formes nouvelles d’organisation et d’action stratégique en vue de leurs reconnaissances en un écosystème spécifique, font plus que rattraper un éventuel retard de structuration professionnelle. Ils innovent dans la façon d’envisager un « monde des arts visuels » ouvert sur des enjeux socio-économiques et politiques majeurs. La réflexion engagée par la filière arts visuels Hauts-de-France devrait s’enrichir de celles qui ne manquent pas de s’organiser dans d’autres secteurs et régions.

Derelict spaces, an opportunity for urban commons

Derelict spaces, an opportunity for urban commons

(Collaboration with Stephanie Bost)

Derelict spaces, within Lille and around, are at stake as in many European cities.
These sites (“friches”, in French) represent opportunities for collective actions held by social groups; for actors taking roots within segregated people from poor areas and finding there matters for collective action in that new uses and activities, held in commons, are designed.
These issues are part of an action research program (called CREA’CIT for Creative Citizenship), involving researchers and social activists, and partly financed by Regional authorities.
For two main reasons a new context for social and political experiment is emerging.
The first reason is the failure of including people in usual urban development processes and institutional consultation processes developed by local authorities. Many researches have been carried out on that special subject we could resume here as ”the participatory democracy limits and failures”
Certainly, when derelict spaces are designated by local authorities as to be the subject of an urban development, citizens may contribute a little; or at least, a strictly controlled framework is given to them so that their voices should not disturb the initial plan.  Finally those top-down methods are giving citizens few opportunities to develop new uses even if they are held by local groups. So, these procedures remain formal and empty.
The second reason is the real difficulty for these local authorities to plan and finance as before these derelict spaces as whole and global urban development programs. Very often, these programs share spaces between private and public investors, regarded as sole partners.
So, as plots remain vacant, they could be the basis for new types of mobilization and action. The actors, holders of projects rooted in the surrounding neighborhoods, can be involved in the development of these urban “friches”, being present in the official procedures for consultation, but also, and particularly, by experimenting new deliberative practices held by new forms of collective action.
These issues are now well-known and we could find successful stories or on going wining processes in many cases of mobilizations leading on urban commons in Europe. Some of them will even be presented during the colloquium in Bologna.
In our urban and regional context we are at the very beginning of a federative process in order to facilitate some local mobilizations and, at the same time, to make them converging. What we try to sum up here is a strategic view on the social fabric of urban commons through these local mobilizations, and the political process needed to progress toward an Assembly of commons.

1. Friches as opportunities and issues

We focus our action research and strategic point of view on several “friches” within Lille and North of France: Baraka, Roubaix; Ajoncs Association, Lille and around; Fives Cail Babcock, Lille.

Table 1. Three samples of friche and local mobilizations

Friches
Description

Baraka, common amenities, Garden,
Roubaix

This project aims to transform a derelict space in a multipurpose outdoor equipment handled by neighbors and local civil society.
There are two starting points for that project. The first one is a derelict space located in front of the Baraka restaurant and the second is the willingness of the 70 people that own the Baraka cooperative.
They decided the derelict land the other side of the street has to be transformed. Since investors have left the plot because of the economical crises, nothing but hypothetical projects, wild grasses and a few garbages were growing there.
The project is still at its very first steps. One of the main achievements is a contract with the municipality for an agreement which allow the Baraka members to use the land.
Some community brainstorms have been conducted in an inclusive way so that neighbors and people from associations acting in the neighborhood entered the design process thinking how to be part of the global project that will be here tomorrow.

Ajoncs

Shared Urban
Gardens

Lille and around
The AJONCs is an NGO, whom name is a play on words: the Association for Friends  of Opened but Closed Gardens. They have begun their experiment more than 20 years ago and was thus one of the very first experience in France for such shared lands. Based on the Community Garden US concept, this movement is clearly a key-action in the process development of community gardens in France. They quickly made a difference between the Community Gardens (or Allotments in UK) and the Private ones and with other types of Gardens, as the Family or the Inclusion Gardens.

AJONCs’ philosophy is not only based on people’s empowerment, but also on a great gardens’ accessibility. We can describe this movement as a militant one, linked to the landscapist Gilles Clément. 32 gardens are in activity in our region. Some of them have opened their doors in 1997.

The starting point is to offer a re-appropriation of abandoned public spaces to citizen. The ultimate goal is to give a second life to those derelict spaces, those industrial wastelands, that are seen as a value and not as a waste. More than a landscaping project, the stakeholders have the will to keep or re-create a social link in the neighbourhood. They are playing a key action between the inhabitants, their territories and the city. Technically speaking, the citizens’ group firstly has to find a land and then get in touch with the association. Follows a research with or without the support of local authorities. Moreover, if the local authorities are not open-minded, a temporary occupation can occur.

Fives Cail Babcock

Lille
As the firm’s website itself explains, “the historical origins of Fives date back to 1812 and coincide with major industrial and economic world events. Fives is responsible for some of the most impressive achievements of the industrial age, from the first steam locomotives to the Alexandre III Bridge in Paris, the metal framework of the Orsay train station in Paris and the elevators for the Eiffel Tower.
When Cail and Fives-Lille (two companies dating from the 19th century) merged in 1958, the group became the « Compagnie de Fives-Lille » and later changed its name to « Fives-Lille-Cail » and « Fives-Cail-Babcock ».

From industrialization to des-industrialization, the wonderful success story collapsed finally in 2001. Nevertheless, from those times, have remained 25 ha in the heart of Lille. Fives Cail Babcock was like a city inside the city. Warehouses, steel remainings are still there, watching all the tiny workers’ houses from those ancient times. Old but still present in the collective memory. Huge challenge on an urban point of view, this derelict space is also seen as a new opportunity for the City Hall and for all the local authorities. Near the train stations, well connected, in a vivid area, this derelict space is clearly conceived as a new neighborhood inside the city. Fives can then become an answer to major issues (as housing) that are facing the city.

Apart from the official proposal, carried out by the local authorities, were planned some other scenarii. The inhabitants’ points of views are crucial for defining the best solution for the future of this “friche”. Moreover, the local identity is really strong in the neighborhood: Fives was extremely proud of its industry. Every family was involved through, at least, a worker inside the industrial process. It can be seen on the same way: the new neighborhood will at least involve a family member in the citizen process, in the democratic process.

Several public meetings discussing the future urban planning (managed by SORELI firm) have gathered hundreds of persons. Citizens’ groups are also proposing their ideas. A great Third-Place, in link with the original Ray Oldenburg’s concept, is emerging. A 60 person group is defending this great proposal, behind a animator. More than a recreative place, the Third-Place would offer cafés, restaurant, application school or a FabLab.
Another group is arguing for a cooperative supermarket, directly inspired by the New-Yorker Park Slope Food Coop. concept.
Several local and bottom-up initiatives are emerging. Our observation is a work in process but we are already trying to underline the links between those citizens’ groups and to understand how the Commons will thus be defended as a Common.

Some features
These friches are located in very urban and industrial areas with strong historical background. This background is the result of local confrontation between several social and political forces: social movement inheritance, working class organizations, town councils hold by socialist local power, but also employers’ organizations and catholic context; more recently trends linked to the decomposition and atomization process leaded by social life treated as a commodity through business oriented organizations and public policies when they consider citizens as consumers.
These friches can be more or less large (24 ha for Fives Cail; 1 ha for Baraka, few hundreds of square meters for some AJONCS gardens). They can be more or less owned by local authorities, directly or through collective ownership.

Two main issues : uses as activities designed in commons; agoras for users, built as a way to handle shared public spaces as commons so called “subaltern public spaces ” by Nancy Fraser.
Friches can be receivers or facilitators for groups to build collective uses and alternative activities. They can also be incubators of these social uses when conditions are present to facilitate social and collective initiatives.
They can also offer opportunities to develop shared public spaces, including people that are far from the urban planning matter (because of segregation or weakness). This function of friches as agoras, holding ephemeral assemblies, during specific moments of the possible consultation process or to the initiative of social and political actors, is a key matter. Friches can be seen as urban and social laboratories that create new collective forces and individual capabilities. Indeed citizens may express economic and civil rights through new activities, jobs and organizations in alternative economy.

Questions to the social fabric of commons
How to design and enhance new shared uses?
Through what kind of specific dialogue method could we argue them so that those uses could be brought as contributions to the urban development process?
How to organize them for being really inclusive for the concerned people?
How to face the appropriation process of the vacant land and the question of land ownership in relationship with local authorities?
How to find appropriate and democratic governance processes through collective action and its specific organizations building new uses as commons?
How to find appropriate and democratic governance processes to join the global and institutional deliberation process of urban development in such political context?
Table 2. Friches as commons: Preliminary elements

Sites

Issues
Baraka Garden
Ajoncs urban Gardens
Fives Cail
Social Fabric of collective uses:
How high is it based on collective uses, socially built?
Baraka garden is based on the Baraka restaurant designed as a cooperative.
The urban functions that could be held in the garden are the output of an inclusive designing process that have been mobilizing the neighborhood.
Ajoncs are based on a Law 1901 association.
Right now, there are no juridical status for describing the movement. Collective projects are proposed with different legal status.
Inclusiveness Process
How inclusive is the collective process?
Door to door invitation has been made
Local leaders (people implied in the community board) were asked to spread information
Open doors on several local events.
Word mouth connexions after occupying a non occupied piece of land
The collective process in the activists’ groups is seen as a really inclusive one. But, the process is starting out.
Tools for sensitizing on the Commons?
Regular meetings open to anybody
Sociocultural activities
Cultural proposal for specific audiences
Links with several local NGOs involved in the local policy
Open doors on several local events, that are great occasions to mobilize the neighborhood.

For the Third-Place, door to door operations have been launched, citizen cafés or regular meetings in local places are organized.

Appropriation Process of the land
The common and its property
Right now, the landlord is still the public authority but an agreement is granting the baraka cooperative temporary occupation.

Interesting pattern. The gardeners are not the owners, but their appropriation process is based on a negotiation between the gardeners in each derelict space and the City Hall. The AJONCs NGO is thus a support for inventing a common property.
Moreover, beneficiaries are not only the ones who paid their membership but also the ones nes who are taking part to the events. As soon as a gardener is in, the garden is open and belongs to every visitor.

The land is the property of SORELI, on contract for the public service’s local authority.
Democratic Governance Process of the common
As we are writing those words, the governance process for Baraka Garden is not properly established as the project is still a work in progress. Approx 20 people from Baraka cooperative and from the neighborhood are meeting regularly for decision making.
Every garden has got its own rules. Operating systems are up to every garden in order to keep the adaptability needed for such an action. Nevertheless, the Common Board (for the 32 gardens) is based on a representative of each garden. Due to the large audience of gardeners, decentralized boards were established.

Institutional Consultation Process: Several public meetings have already gathered hundreds of persons.
In parallel, several groups, not yet organized in a whole cooperative are meeting regularly for decision making.

The Common within the urban development plan
Uses that will be developed within the garden have still to be confirmed. The project holders have still to convince the municipality that they are able to handle the plot properly, with a low budget (at least lower than the one the municipality would have put on it if managed by them) and as a public good.

The Common is seen as the final target in the project in Fives. The ideal is not only to reach a participative process, but also to help the citizen to act in their neighbourhood after the end of the project.

The whole discussion is based on large discussions with the project owner (SORELI – on contract for the public service’s local authority)

2. The Assembly of the Commons:  hypothesis and first approach

We are hereafter trying to sum up some main issues concerning a possible strategy for developing an urban commons spirit, based on derelict spaces.
We are facing two different situations in order to develop such collective actions.
According to the current French legal framework, when the friche is large and open for possible new uses through an urban development plan, local authorities have to organize an Institutional Consultation Process. That said, the rules are quite weak and the effectiveness of the consultation process is left at the discretion of the public authority. A feedback can be given on those consultation processes implemented in France: taking into account the Arnstein participation ladder, most of the citizen participation processes could be qualified as basic consultation, some of them as manipulation. Only a handful of them gives a degree of power to citizen.
There are many reasons of such a statement and hundreds of books and papers have been written on that subject by famous political scientist and sociologists like: Pierre Rosanvallon, Loïc Blondiaux, Yves Sintomer, Marie Hélène Bacqué. The subject is particularly vivid since the recent law “LOI n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine” and the publication of the Marie-Hélène Bacqué & Mohamed Mechmache report “Pour une réforme radicale de la politique de la Ville – Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires” in 2013. The context is evolving and elected representatives have to consider it.
Then, even if the limits of those top-down consultation processes are well known, the opportunity to lead the consultation further than the formal and traditional way is more real than ever .
When friches are small and scattered plots, the issue is different. As no consultation process might be held on such small areas, local authorities have the temptation to handle them undercover. In these situations, the key point here is whether or not an organized community or several organized communities, able to take in charge the future of the site, is/are existing.
From these statements, one can guess two different patterns of collective action:

Patterns of collective action
A dynamic of collective action “within and around the Institutional (and formal) Consultation Process”
The frame of action  is given by the consultation process itself. Local actors have to conform themselves to this frame. For reaching this point, they have a weak power but a recognised one. Rhythm is also given by this process and under the control of the project owner.

A dynamic of collective action “Out of the Institutional (and formal) Consultation Process”
Contents and rhythm are given by local mobilizations within surrounding areas, bringing propositions of activities that could be the final project when the site is small or find a place in the global urban plan on large friches.

Assembly of the Commons at the crossroad of collective action: Four Scenarios

A. Mobilization/Occupation: “Occupy the Friche”…
Existing collectives from the surrounding areas created in order to develop some specific collective uses, hold in commons (more or less), take/negotiate a place within the specific urban development plan dedicated to a Friche through actions of community leaders assisted by professional community developers.

B. Initiation/Creation: A Friche “Incubator of collective actions”…
From the institutional consultation process, part of an Urban Development Plan concerning a Friche, a dynamic begins helped by community leaders and developers in order to organize people and to build up groups about some specific uses and activities.

The process against the Urban Commons can also be described as based on a dynamic, which will focus only on the elected representatives. Citizens are part of the reflection at the beginning, through a consultation process; but their implication will slowly disappear.

C. Institutionalization
Usually a Friche can be seen as a good example of a bottom-up policy, which will finally face an implementation realized by the local council. As a follow-up, it does not belong anymore to the citizens but the Friche has been only implementing by the local authority. Consequently, the bottom-up initiative disappeared.

We can finally describe the process against the Urban Commons as based on a process will focus only on a community scale, without interaction with the other inhabitants, as a collective point shared only at a really small scale. It could be then described not as a Common, but as an enclosure by a small community, trying to protect its own property against the other uses.

D. Enclosures, seen as “Common-alization”
A friche as a communalism process on a local scale. The follow-up can thus be a partial point of view and can lead to a dogmatic vision of the society. The Common principle in then reduced to a small community that is not able to share the city as a Common but as its common.

Scheme 1. Assembly of the Commons at the crossroad

Thus, we can represent the four scenarios by the scheme above. Scenario A (Occupy the Friche) and scenario B (The Friche, Incubator of collective actions) can be two paths to develop commons. It depends of context and opportunities to act collectively.
Scenario A supposes that local actors are already organized in local groups, holding specific requests and activities under construction, eventually in commons. These groups doe not need the consultation process to exist and to influence the urban development plan.
In Scenario B, inhabitants are meeting and starting to organize themselves through the consultation process. Progressively, they begin to act according several ways, inside and outside the consultation process. They get together before and after the formal sessions of this process. They develop argumentations within the consultation devices, but also outside the consultation devices through their own means.
These two scenarios can be reinforcing themselves and can be seen as two centripetal forces, converging towards commons and a possible Assembly of the commons.
Two other scenarios (C & D) represent two opposite forces, centrifugal ones.
Under the scenario C, even if the consultation process is initiated, finally local authorities lead the urban plan and decide on the allocations of space and urban amenities by delegation of powers to specific intermediaries and by selling the spaces to private or public investors.
The scenario D (called “Enclosures”) is a very paradoxical one. Some commons are developing, for instance under scenarios A or B, but the commons progressively created enclosures themselves on the very specific people directly concerned. Each group holding its common is isolated from others, possibly regarded as possible competitors. The federative process toward the Assembly of the commons, under these conditions, would be impossible.
Thinking and acting in the social, political and strategic fabric of commons toward the Assembly of commons local actors have to face these scenarios.

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Construire l’agir collectif : L’approche par le dispositif d’interactions, l’exemple des cartes participatives

Nous présentons ici des actions de recherche et quelques premiers résultats issus du projet CREACIT (Créativité Citoyenne), projet de recherche action financé par la Région Nord Pas de Calais au titre de son programme « Chercheurs-Citoyens ». Notre recherche action porte sur les conditions d’une construction de capacités d’agir ainsi que de compétences civiques auxquelles correspondent ces capacités. L’objectif est donc de mieux comprendre les processus concrets d’une capacitation citoyenne par lesquels pourraient se construire les modes d’implication et d’engagement correspondant à une citoyenneté active.
Nous partons ici de résultats de travaux de recherche qui ont bien montré la portée et les limites des dispositifs institutionnels de participation (Carrel, 2013). Les politiques publiques, celles, dites, de la Ville, et celles qui prônent la démocratie participative, se sont appuyées sur cette « injonction participative » (Blondiaux, 2001). Elles se sont accompagnées de l’instauration de mécanismes délibératifs qui devaient permettre aux informations, aux arguments et expertises de s’échanger. Ces échanges, lorsqu’ils ont été organisés, sont souvent demeurés le fait de peu de monde, et souvent de personnes au profil proches des porteurs de ces politiques. Les résultats des travaux qui ont rendu compte de ces expériences délibératives nous conduisent à sortir du seul champ de la démocratie délibérative et, même, de ses espaces expérimentaux pour envisager la réalité des pratiques d’interventions sociales, de prises de parole, de prise d’initiative et de mise en action collective.
Nous nous référons ici aux travaux qui privilégient une approche constructiviste et pragmatiste. Dans une telle approche la construction de telles capacités et compétences dépend largement de la multiplication d’espaces, de dispositifs et d’objets de transaction qui créent les conditions du développement de la mobilisation et de la politisation des acteurs.
Du fait même de son inscription dans un programme dit « chercheurs-citoyens », notre démarche ne relève pas d’une enquête sociologique qui consisterait à observer des pratiques et recueillir les représentations que les acteurs sociaux interviewés s’en font. La notion d’enquête à laquelle nous nous référons ici renvoie à ce qu’en disent les chercheurs et praticiens de l’intervention sociale dans la perspective ouverte par les philosophes pragmatistes américains et en particulier par John Dewey. L’enquête au sens de Dewey, et telle que la présente Joëlle Zask (2004), suppose de l’envisager comme un processus expérimental qui associe des dispositifs, des espaces de mise en œuvre de ces dispositifs, des objets à produire en situations et par le biais de dispositifs. Par-delà les acceptions courantes de ces mots dans la vie quotidienne des acteurs, il faut envisager ici les notions d’espaces, de dispositifs et d’objets comme les constituants de processus d’action et de réflexivité de cette action par les acteurs eux-mêmes. Ainsi, la notion d’espace s’entend d’une double façon. Il s’agit ici d’une part du lieu, de la zone concernée par le problème, ou l’enjeu de l’action. Il s’agit d’autre part de la « scène » de mise en œuvre d’interactions menées au titre de la « participation », un espace ouvert à la délibération, sous l’une ou l’autre de ses formes. Il en est de même avec la notion de « dispositif » ; tout à la fois ensemble de dispositions prises pour viser un résultat consistant à construire un « objet » et potentialités d’interactions et de construction collective de représentations partagées de l’action (Latour, 2006).
Capacités d’agir et de connaître vont de pair et relèvent d’une même dynamique de construction. Ainsi, « placer l’accent sur le caractère expérimental de la connaissance mène à privilégier les opérations de production d’objets, par rapport aux opérations de validation des idées » (Zask, , p.142). L’enquête vue sous cet angle correspond à l’effort à surmonter collectivement pour unifier les pratiques expérimentales des acteurs en situation. La situation problématique incarnée par l’objet à construire devient terrain d’enquête. On voit alors que la production de connaissance sur l’action suppose que le collectif de recherche soit le créateur et le facilitateur du dispositif d’action consistant à construire un objet qui doit permettre que s’opèrent les interactions et les transactions entre les acteurs concernés. Cela suppose donc que le dispositif lui-même soit conçu en lien étroit avec les différentes catégories d’acteurs, considérés dans cette logique comme autant de « publics » (Dewey, ) spécifiques à construire en tant qu’acteurs collectifs.
Dans l’un des contextes d’action sur lesquels se basent notre démarche d’expérimentation, l’un de ces dispositifs consiste en la réalisation de cartes participatives de quartier (quartier de Fives, Lille). Objet de représentation, la carte est également un objet d’identification. Elle entretient un vocabulaire, favorise une appropriation et s’immisce aisément dans une discussion politique. Toute cartographie crée ainsi une orientation, stimule un sentiment d’appartenance et contribue à souligner, voire à construire une identité. Mais la cartographie, bien qu’appartenant à tous, semble s’éloigner de ceux qu’elle représente, de ceux à qui elle s’adresse : portée par les institutions, il s’agit de délimiter les espaces, d’afficher les frontières, de mettre en lumière les lignes fortes. Elle perd ainsi en force identitaire et se limite souvent à une superposition de publicités. Si plusieurs mouvements du libre se sont engagés à défendre les valeurs propres à la cartographie libre, incitant à la contribution des acteurs du territoire, cela souligne aisément la nécessité de penser la cartographie comme un outil de redéfinition du lien social, de participation citoyenne. Partant de ces principes, le code s’est ouvert pour mobiliser des communautés, notamment autour d’Open Street Map.
Mais faire contribuer en ligne ou en réel est un enjeu de chaque instant. Faire contribuer et inciter à participer, à s’engager est une difficulté majeure à laquelle se confrontent aisément les professionnels de terrain. L’attachement à son environnement, à son territoire, à son quartier, à sa rue peut ainsi véhiculer une motivation pour créer une culture partagée et citoyenne. Partant de cette idée de la participation citoyenne, voici deux exemples sur lesquels nous travaillons avec l’association Interphaz à Lille : Use it et Cart’ier.
Ces deux cartes sont des cartes participatives, c’est-à-dire qu’elles visent à impliquer les habitants dans la réalisation d’un support qui soit à l’image de la ville qu’ils vivent, qu’ils revendiquent et qu’ils habitent. Il s’agit d’outils de compromis et non de cartes sensibles1, mais elles visent néanmoins des publics spécifiques. Ces cartes questionnent notamment des cercles d’implication variés qui évoluent par rapport aux habitudes de la vie associative et qui interrogent de fait une évolution des pratiques de l’engagement. Ils constituent également des cercles d’acquisition de compétences sociales et civiques différents.

Use it est un projet impulsé en Belgique par un réseau européen de jeunes backpackers âgés de 18 à 35 ans, que nous avons pu initier en France en 2012 et qui commence à essaimer dans de nombreuses autres villes françaises. La mobilisation sur cette action est assez originale dans le sens où nous touchons facilement les jeunes, qui sont conquis par l’idée de parler de leur ville à leurs voisins européens. Notre démarche avec Interphaz est atypique dans le réseau, dans le sens où nous mobilisons en amont plusieurs cercles d’engagement, au travers de soirées participatives, de temps forts et via les réseaux sociaux.

Dans la continuité, nous avons développé un autre projet à l’échelle du quartier. Cart’ier est une carte touristique participative sur deux quartiers qui vivent une forte transformation urbaine. L’action portée conjointement par Interphaz et Nasdac (association culturelle du quartier) a été cofinancée par la Fondation de France (Appel à projets Démarches Participatives) et a permis d’engager un processus d’une année autour des notions de participation et de patrimoine. Quatre objectifs ont été définis au démarrage de l’action.
Favoriser l’appropriation d’un quartier par ses habitants
Fédérer une mémoire collective autour d’un patrimoine culturel à transmettre aux nouvelles générations
Promouvoir le patrimoine artistique et culturel d’un territoire post-industriel et délaissé
Générer des outils touristiques innovants et participatifs
Pour atteindre nos objectifs, nous avons dû construire des outils de recueil pour suivre l’impact territorial de notre démarche. Ces outils ont été mobilisés pendant la durée de la mise en œuvre de l’action et nous ont permis de qualifier les indicateurs quantitatifs et qualitatifs que nous avions construits. Concernant les indicateurs qualitatifs, outre l’impact sur le quartier (en terme de relations, de continuité, d’envies suscitées), nous pouvons également souligner notre envie de travailler sur l’impact individuel induit par ce projet tant pour les salariés que pour les personnes impliquées. A ce titre, nous avons également pu voir apparaitre plusieurs cercles d’acteurs, dont les compétences politiques et civiques ont évolué au fil de l’action.

S’agissant de compétence politique, que nous qualifions de compétence civique, nous reprenons ici la définition qu’en donnent les auteurs du numéro spécial de la Revue Française de Sciences Politiques (2007, Vol 57) et notamment Julien Talpin. Pour ce dernier la compétence civique est la capacité à maitriser les codes et les pratiques nécessaires à l’expression de ses préférences en démocratie (Talpin, 2007, p.95). Nous montrerons que si la maitrise de ces codes et pratiques est nécessaire pour agir dans un espace donné, la capacitation citoyenne suppose plus encore la maitrise d’un ensemble articulé de capacités d’action et de compétences constituant un « espace socio cognitif de capacitation ». Dans l’état d’avancement de notre démarche expérimentale et des premiers éléments d’analyse que nous en avons tirés, nous sommes amenés à caractériser cet espace de capacitation sous trois dimensions :
La première dimension est plus spécifiquement celle de la construction d’une capacité émancipatrice, capacité à faire référence et à pratiquer l’exercice des droits correspondant à la citoyenneté. Cette dimension de capacitation est celle de la construction de compétences plus spécifiquement civiques. Le dispositif rend ici possible des interactions qui sont autant de micro processus de qualification politique. Il s’agit ici de maîtriser différents savoirs et savoir-faire qui se construisent dans l’expérience associative, au sein du dispositif, et se mettent en forme par leur expression sur les espaces (arènes) publics auxquels les publics accèdent. La maîtrise des règles et des codes institutionnels est au centre de cette dimension capacitaire. Dimension plus spécifiquement civique, elle se centre sur la transformation des pratiques plus que sur celle, présumée, des opinions.
La deuxième dimension correspond davantage à des compétences actionnelles comme la maitrise à s’insérer dans une dynamique collective, à finaliser, organiser et capitaliser l’action. C’est la sociologie des régimes d’action (Thévenot, 2006) qui rend le mieux compte de ces processus d’action située. Des processus opèrent dans un monde qui n’est pas un monde objectif, ni non plus la vision subjective de chaque acteur, mais le monde à travers les « sens ordinaires » de ce qu’est le monde mobilisé par les acteurs en situation (Corcuff, 1998). Ces régimes d’action sont des régimes d’engagement. Partant du constat d’une unique forme d’engagement ne convient pas à toutes les situations, Thévenot distingue ainsi trois régimes d’engagement : le régime de justification, le régime du plan et le régime de la familiarité (Thévenot, 2006).
La troisième dimension concerne plus particulièrement les capacités et compétences en matière de connaissances et d’argumentations socio politiques et socio-économiques. L’argumentation en termes de besoins collectifs, d’usages partagés, d’accès égalitaire aux usages et aux ressources nécessaires pour construire ces usages se construit dans l’action au travers de situations et d’interactions entre les parties prenantes.

L’analyse de l’action en dispositifs (ici, celui de la conception de cartes participatives) nous conduit à différencier les différents « publics » (Dewey) qui naissent de la dynamique-même de l’action. Dans l’état actuel de notre analyse nous en distinguons cinq, voire six :
le noyau actif de l’association support de l’action (ici Interphaz) ;
les adhérents associatifs mobilisés dans l’action ;
les « engagés », participants actifs de tous (ou presque) les événements constitutifs de l’action ;
les « mobilisés », ceux parmi les participants réguliers acceptant d’être des démultiplicateurs de l’action autour d’eux ;
les « participants », ceux ayant été présents lors des actions (de certaines, mais pas de toutes) ;
les « passants », ceux qui ont été contactés lors de présentation publique de l’action « cartes ».
Chaque « public » et chaque personne concerné peut ainsi être envisagé à l’aune de ses déplacements (en termes de positions sociales et de représentations de l’action) dans cet espace socio cognitif de capacitation. La poursuite de la recherche nous amènera à caractériser ces déplacements en fonction des positions sociales des personnes et des publics.
On pourra qualifier les formes et niveaux de réflexivité de l’action menée au sein du dispositif d’action. On pourra ainsi voir comment les acteurs mobilisés passent d’une représentation de l’action centrée sur la finalité opérationnelle (ici, la conception et mise au point de cartes de quartier) à une représentation plus large de la finalité de l’action, ouverte à l’intervention citoyenne sur le quartier et à par rapport à des catégories sociales ou des communautés sociales locales.

// Sur l’exemple de la carte Cart’ier//

« Publics »
Compétences civiques
Compétence Actionnelles
Compétences éco-politiiques
Le noyau dur = salariés des deux structures
Ils appuient leurs actions sur des résultats tangibles portés par la personne morale à laquelle ils s’identifient.

Leurs compétences civiques sont mues par l’action.

Comme évoquées, leurs compétences actionnelles se confondent avec leurs compétences civiques.
Les compétences socioéconomiques sont induites. Les individus sont mus par le développement de leurs compétences civiques et par l’agir en commun. Cependant leurs capacités d’entreprendre collectivement sont impactées par la gestion du projet complexe, reposant sur un système d’acteurs variés.
NB// Avec les spécificités propres aux salariés des deux structures porteuses (qui complexifient le développement du projet)

Adhérents associatifs = principalement les membres des Conseils d’administration
Leurs compétences civiques sont liées à la volonté d’adhérer à un projet associatif, de se retrouver dans les valeurs du collectif.
Orientées vers une vision utilisatrice, ils agissent pour servir le projet associatif et développent des compétences mues par la volonté d’agir.
Les adhérents contribuent financièrement à la vie de la structure. Ils y acquièrent par ailleurs des compétences qu’ils peuvent utiliser dans leurs entreprises personnelles.
Engagés = bénévoles des associations
Les compétences visées sont liées à une dimension symbolique et à l’image que les adhérents attachent à la volonté d’adhérer au projet associatif.
Les compétences actionnelles sont les premières mobilisées : un engagé va être mobilisé pour sa capacité à faire la buvette, à installer des kits, à nous appuyer sur une soirée. Cependant, l’individu ne vient pas pour mettre en œuvre cette dite compétence mais plutôt pour servir un projet auquel il adhère. Il y a dissociation entre les compétences visées et celles mobilisées.

NB// Parmi les engagés, on retrouve également les « volontaires » de Service civique dont le statut hybride entre salariés (noyau dur) et les adhérents mériterait une étude à part entière et sur laquelle nous prendrons l’attache de l’INJEP ou de la Chaire de recherche sur la Jeunesse (EHESP-Département SHS, CRAPE-Arènes (UMR 6051), associée au CMH (UMR 8097)

Mobilisés = Comité de rédaction

Les mobilisés se sont appuyés sur une volonté de valoriser leur territoire et de rencontrer des pairs avec qui partager une histoire et une vision du territoire. La vision temporelle est présente : ils sont mobilisés sur la durée.

Les mobilisés jouent le rôle d’ambassadeurs et ont une action de relais auprès des habitants non engagés.

Leurs compétences sociales sont développées par effet induit.
Participants

Leur mobilisation repose essentiellement sur une volonté d’action : agir pour prendre part à un projet. Dans le cadre de la carte, nous pouvons penser aux personnes ayant participé aux balades, aux cafés mémoire, à la soirée de validation
Leur participation s’attache à une économie autocentrée : ils sont dans l’échange et dans la volonté de profiter de moments agréables qui leur procurent surtout des capacités émotionnelles et immédiates.
Passants

Ils jugent le projet intéressant et vont, par exemple, agir via la page Facebook (liker).
On ne peut pas parler directement de développement de compétences.

Outre une réflexion sur les mobilités dans le temps et fonction des actions et de projets dans lesquels s’investissent les individus, nous pourrons par la suite caractériser ce que ces capacités d’action citoyennes et compétences civiques produisent de positionnements sur un espace public de proximité (Laville, 1994 ; Codello-Guijarro, 2003). Nous reprenons à notre compte l’hypothèse d’une possible « constitution » de cet espace à deux niveaux, celui d’un « espace de concertation », ouvert par les premières interactions entre les publics sollicités et rassemblés, celui d’un « espace d’intermédiation » au sein duquel des processus de création collective et de délibération avec les institutions se construisent dans des processus plus ou moins durables, permettant l’émergence de « milieux (tissus) participatifs », capables de générer des actions en « interpellation citoyenne », en « délibération /co décision » et potentiellement en « création d’activités » par mutualisation de ressources et sollicitation de financements publics ou issus de la réciprocité. Dans cette mesure, ne pourrions-nous pas envisager la création d’un nouvel espace public : un espace de co-décision, dans lequel il conviendrait d’interpeller la volonté politique des élus ?
L’analyse de cette action et de son dispositif, des effets obtenus auprès des différents publics quant à leur capacitation tridimensionnelle, est en cours de développement. En étudiant spécifiquement les cas des cartographies participatives, nous pouvons cependant noter des évolutions dans les parcours d’acquisition de ces capacitations. Qu’il s’agisse d’acquérir de nouvelles compétences ou d’en approfondir d’autres, la participation à l’engagement relève de plusieurs champs. A ce titre, nous étudions d’autres retours sur d’autres actions et dispositifs dans le cadre de notre programme de recherche action Créativité Citoyenne. Sans conclure pour l’instant nous pouvons d’ores et déjà commencer à définir ce que sont les conditions permettant la continuité, voire la permanence de l’action ; les conditions permettant aussi sa duplication (dans d’autres contextes de quartier et d’autres compositions socio-économiques) ; les conditions permettant enfin de la grossir en enjeux décisionnels et en prolongement et approfondissement vers d’autres domaines d’action politique et économique.

Bibliographie

Blondiaux L. (2001), « Démocratie locale et participation citoyenne : la promesse et le piège »,
Mouvements, 2001/5 no18, p. 44-51.

Carrel M. (2013), Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Paris, ENS Editions.

Codello-Guijarro P. (2003), Vers la construction d’un espace public de proximité in Hermès N°36

Corcuff P. (1998), « Justification, stratégie et compassion : Apport de la sociologie des régimes d’action, Correspondances, Tunis, n°51, juin.

Dewey J. (1967), Logique, la théorie de l’enquête, Presses Universitaires de France.

Dewey J. (1915, 2005), Le public et ses problèmes, Paris, Folio Essais.

Latour B. (2006), Changer la société, Refaire de la sociologie, Paris La Découverte.

Laville J-L. (1994), L’économie solidaire, une perspective internationale, Paris, Desclée de Brouwer.

Talpin J. (2010), « Ces moments qui façonnent les hommes, Eléments pour une approche pragmatiste de la compétence civique », Revue Française de Science Politique, Vol.60, pp. 91-115.

Zask J. (2004), « L’enquête sociale comme inter-objectivation », in B. Karsenti et L. Quéré (eds.), La croyance et l’enquête, aux sources du pragmatisme, Paris, Editions de l’EHESS.

Entreprendre en communs

Une recherche collaborative sur l’entreprendre en communs suppose une prise de position critique et hors du champ de l’entrepreneuriat. C’est d’abord du cloisonnement des politiques publiques et des recherches qui se calent sur ces politiques dont il faut se départir pour développer une approche spécifique. Entreprendre en communs c’est d’abord la fabrique sociale des usages. Les exemples tirés de l’économie politique du logiciel libre le montrent, la construction collective et le développement continu d’un commun n’est pas incompatible avec la création d’activités induites, portées par des organisations de tailles et compositions diverses, et répondant à des formes de viabilité économique elles-mêmes diverses. Entreprendre en communs est tout autant une affaire publique. La réflexion doit alors se porter vers un appui public à la convergence des dynamiques politiques et économiques de création d’activités et d’entreprises en communs.
A la question posée par les rencontres du RIUESS 2015, « La créativité de l’ESS est-elle soluble dans l’entrepreneuriat ? », ma réponse est non. Il me semble important de marquer une nette rupture avec le terme entrepreneuriat et ce à quoi il renvoie, tant dans en matière de recherche que d’intervention publique.
Mais il n’en demeure pas moins que l’appui institutionnel à l’action d’entreprendre est un élément déterminant de tout processus de créativité citoyenne. Souligner le caractère idéologique, et donc potentiellement normatif, du recours à des politiques publiques, régionales notamment, exprimées en terme d’ « entrepreneuriat », ne suffit pas. Pas plus qu’il suffit d’y accoler l’adjectif « social » pour en faire des politiques alternatives. Mes propositions de recherche concernent un appui institutionnel aux démarches de création d’activités et d’entreprises s’inscrivant dans une logique d’économie solidaire, alternative, et potentiellement exprimées en termes de communs. Une recherche collaborative sur l’entreprendre en communs suppose une prise de position critique et hors du champ de l’entrepreneuriat.
Les initiatives et les expériences de création d’activités qui, implicitement ou explicitement, font référence aux communs empruntent d’autres voies et s’appuient sur d’autres dispositifs que ceux relavant de l’entrepreneuriat, y compris de ceux de l’entrepreneuriat, dit, social. L’entrepreneuriat doit être vu comme constituant un champ qui structure une conception de l’action et des dispositifs publics qui sont autres que ceux que nécessite un véritable soutien institutionnel à l’entreprendre en communs. Une recherche action entreprise depuis deux ans me permet d’argumenter ce point de vue. Dans le cadre de cette recherche action, des relations étroites ont été tissées avec les acteurs déterminants de ces processus alternatifs de création d’activités dans le Nord Pas de Calais. Cela s’est traduit par une implication continue dans la plupart des événements marquants des espaces de création que sont les espaces de coworking de l’agglomération lilloise (Coroutine et Mutualab, surtout). Cela s’est également traduit par un partenariat étroit avec les principaux acteurs, initiateurs de « collectifs », comme le collectif « Catalyst » et les associations que ces acteurs se sont donnés, telles que l’association ANIS (Agir pour un Nouvel Internet Solidaire), l’association Interphaz avec qui je développe des actions de recherche et d’expérimentation financées par le programme Chercheurs-Citoyens de la région Nord Pas de Calais –Projet CREA’CIT, Créativité Citoyenne.
Toutes ces opérations de recherche concernent les pratiques de prises d’initiatives solidaires, avec une double interrogation sur les conditions d’une action participative, citoyenne, et sur les conditions de viabilité économique pour les acteurs engagés dans de telles actions.

1. Aux sources du Commun : l’Initiative, la Créativité, l’Emancipation, le Territoire
La convergence des problématiques et des logiques d’action
La logique de l’entreprendre que formalise et outille l’ « entrepreneuriat » comme champ problématique et d’action publique se présente prioritairement sous le registre de l’action économique et se distingue d’autres domaines d’action publique présentés comme relevant du « social », des actions engagées au titre de la démocratie participative, etc. Les politiques publiques, les structures et les organigrammes reproduisent ces différentiations de l’action publique. Et, les acteurs de la société civile, dans la recherche d’appuis et de soutiens à leurs initiatives, sont dans une large mesure obligés de s’y conformer. Aussi, n’est-il pas étonnant que les programmes de recherche subissent les mêmes contraintes et reproduisent les mêmes cloisonnements dans la formalisation de leurs problématiques et la définition de leurs protocoles expérimentaux. De fait, les chercheurs, dans l’organisation de leurs échanges entre eux et dans l’élaboration de leurs partenariats avec les acteurs du terrain, reproduisent les mêmes cloisonnements. Ces cloisons isolent les processus d’action économique des processus d’action politique, publique, à la participation et démocratie, à la citoyenneté, etc. L’action économique elle-même fait l’objet d’approches morcelées. Les processus de création d’activités sont séparés des problématiques d’insertion par l’activité économique, elles-mêmes distinguées d’autres formes de traitement social de l’emploi, etc. Souvent d’ailleurs, le fait d’inscrire sa démarche de recherche dans le champ global de l’économie sociale et solidaire ne garantit pas un dépassement de ces cloisonnements ; chacun des domaines et structures de l’action publique, développement économique ou politique d’action sociale, de développement citoyen, ayant désormais à cœur d’afficher une dimension ESS.
C’est d’abord de ce cloisonnement dont il nous faut nous départir pour développer une problématique spécifique de l’entreprendre en communs.
Cela nécessite de faire converger les démarches de recherche tout autant que les politiques et les dispositifs intervenant en appuis aux actions solidaires, citoyennes, porteuses de leurs processus de viabilisation économique. Ainsi des problématiques émergentes interrogent les conditions de la prise d’initiative, de la créativité sociale et économique, de l’émancipation citoyenne que suppose une prise d’initiative. Elles sont à envisager dans leurs convergences.
Dans cette perspective, on peut distinguer deux voies de renouvellement des questionnements permettant le développement d’une problématique spécifique de l’entreprendre en communs. La première voie concerne l’émergence des nouvelles formes potentielles d’action économique que recouvrent les notions d’économie collaborative, contributive, circulaire, du partage, etc., souvent appuyée sur les potentialités de l’économie numérique (Moulier Boutang, 2007). La seconde voie concerne l’issue à la crise de l’associationnisme (Laville, 2010), aux perspectives ouvertes par les potentialités de la capacitation citoyenne (Sen, 2000) et du pouvoir d’agir (Carrel, 2013).
Ce que les notions d’entrepreneuriat social, d’une part, et d’initiative citoyenne, d’autre part, isolent, les notions de « territoire », de développement durable et de transition sont potentiellement susceptibles de fédérer. Sans que cela soit toujours affiché explicitement comme tel, les problématiques émergentes exprimées en termes de territorialisation de l’action vont dans le sens d’une convergence des problématiques et des politiques publiques en appui à l’action citoyenne. C’est le sens donné à mon programme de recherche ; ce lien essentiel que je m’efforce de tisser ici.

Comprendre les processus de prise d’initiative citoyenne
Dans les réflexions sur le développement de l’ESS, quelle place est-elle réservée aux dynamiques de prise d’initiative solidaire citoyenne ?
Certes, nous ne pourrions pas aussi facilement nous questionner là-dessus si une actualité certaine n’était pas donnée à l’économie sociale et solidaire ces dernières années. Mais la question des conditions spécifiques de la prise d’initiative mérite d’être posée en tant que telle.
Des recherches montrent en quoi remplir ces conditions suppose un travail spécifique de capacitation citoyenne (ref). Cette réflexion en termes de « capacitation » à une double origine, comme peut être double et antagoniste la réflexion en termes de « libération des potentialités d’action économique », selon que l’on se situe dans la perspective de la construction d’un acteur, comme individualité libérale ou d’un acteur singulier, « libéré » des contraintes aliénantes du travail, en interactions avec ses contextes de socialisation.
Mais, comme il est trop souvent dit, il ne s’agit pas seulement de réfléchir à des processus d’acquisition de connaissances et de compétences. Comme les travaux portant sur les mouvements d’Education Populaire l’ont montré-Les travaux plus anciens étant aujourd’hui réactualisés par ceux qui portent sur les enjeux contemporains de l’associationnisme-, cette capacitation est d’abord un processus d’émancipation. Il est ensuite un processus de construction d’acteurs porteurs de droits et de potentialités d’action économique.
Aussi la réflexion sur les conditions de la prise d’initiative est faite d’explicitation et de compréhension de positions sociales, de formulation de droits à l’initiative, un processus de libération qui associe construction de justesses singulières, individuelles, et de justice sociale par l’action collective au sein d’une communauté qui se construit sa propre gouvernance.

2. Entreprendre en communs, c’est d’abord la fabrique sociale des usages
Le travail d’objectivation des besoins basé sur une économie politique des usages citoyens
L’explicitation des besoins est constitutive des propositions en économie solidaire, que les acteurs expérimentent dans leurs prises d’initiative et leurs projets.
Pour peu évidents qu’ils soient, les ressorts de la prise d’initiative sont divers. Lorsqu’ils s’activent, c’est d’abord un travail d’expression, d’objectivation et de formalisation de besoins. Ce travail peut d’ailleurs s’initier par l’expression d’un manque, formulé ou pas, dans un mode plus ou moins résigné ou indigné. Le sentiment de justice/injustice intervient dans la possible expression de ce manque, dans un mouvement qui lie, certes, la satisfaction de l’individu qui accomplit ce travail autoréflexif, mais surtout les besoins de tous, dans un travail collectif en vue d’un besoin universel. Il me semble que c’est bien là le point majeur de discrimination des processus de prise d’initiative solidaire ; la potentialité qu’ils offrent de travailler l’objectivation des besoins, la conception des usages possibles et leur constitution en biens communs.

Initiatives, coopération, collaboration et contribution
De fait, les initiatives prises, en rupture avec les contraintes de la subordination dans le travail et les rapports de consommation, mais aussi avec le rapport passif à l’action publique, ont souvent les principes du coopératif, du collaboratif et du contributif en perspective.
L’analyse des dispositions à la prise d’initiative suppose celle des systèmes de positions sociales dans lesquelles se trouvent ces acteurs potentiels. Une approche par les motivations ne peut se dispenser de ce premier cadrage contextuel. Les positions à déconstruire/reconstruire méritent d’être explicitées. Elles impliquent la remise en cause de rapports d’assujettissement et de domination dans les rapports de travail et, du fait de la structuration que produisent les institutions dominantes de l’économie, dans les rapports aux institutions publiques. C’est dans cette esprit que, potentiellement chez certains, les jeunes en particulier, à l’orée de leur insertion professionnelle, cette remise en cause débouche plus globalement sur l’envie de décloisonner des positions de producteur, de consommateur, de distributeur, par la valorisation de celles de contributeur. C’est en cela que, malgré l’incertitude sur les technologies de l’impression numérique, l’expérience des FabLabs ou des groupes de Makers servent d’emblème pour les collectifs du monde collaboratif à la recherche d’une perspective économico politique. Les positions adoptées se précisent un peu selon que les acteurs mettent en avant les notions de collaboration ou de contribution. Le mode collaboratif correspondra surtout à des formes économiques inspirées de l’économie du partage (sharing economy). Il pourra davantage s’accommoder d’activités plutôt complémentaires, à d’autres exprimées selon les logiques économiques dominantes, d’activités de niches, valorisées financièrement de façon marginale. Le mode contributif, quant à lui, sera davantage affiché comme une alternative et une rupture privilégiant la non division et la réintégration des activités de production, distribution, consommation, financement. Mais on ne peut que constater l’instabilité actuelle des définitions ainsi que les tensions et contradictions qui demeurent. Stiegler lui-même, parlant de Pharmakon, veut souligner que dans toute technologie comme dans toute proposition alternative qu’il y a toujours deux tendances opposées : « l’une bonne, positive, émancipatrice et l’autre négative, prédatrice »1. Il faut donc analyser la toxicité potentielle de ce qui est avancé comme proposition alternative.
Une autre de ces tensions qui président à la définition des positions économiques revendiquées dans la prise d’initiative est le fait qu’elles sont à différents niveaux d’hybridation de logiques marchandes et non marchandes. Certes, elles sont globalement nourries de positions critiques sur la domination et les excès de la marchandisation du traitement des besoins. Elles expérimentent alors des solutions économiques mixtes, souvent peu stabilisées, débouchant sur autant d’impasses et de contradictions que sur l’expérimentation de logiques de « démarchandisation ». Elles entrent alors en dialogue avec les parcours de viabilisation économique prônés par les acteurs de l’économie solidaire.
Mais, une de leurs caractéristiques communes est le fait d’être en mode « ouvert » ; l’entrée dans le collectif ne se fait pas sous le mode du ralliement et de l’adhésion, mais sous celui de la contribution ouverte. Tous sont invités à contribuer.

La plateforme Unisson : Facilitateur de Communs Libres
L’un des meilleurs exemples de ces pratiques collaboratives consistant à faciliter, démultiplier, capitaliser et aussi fournir les éléments de cadrage et d’évaluation de ces expériences en économie collaborative est celui de la plateforme Unisson (http://unisson.co), créée par des membres du collectif Catalysts.
Les contributeurs de la plateforme veulent en faire une plateforme collaborative pour aider à concevoir les initiatives explicitement prises en termes de biens communs et de contribution : « un facilitateur de communs libres ».
La liste de discussion que retrace la plateforme révèle l’ensemble des apports des contributeurs qui aboutissent à cette notion composite de « communs libres ». Cette notion se veut la fusion de deux problématiques essentielles à tout projet contributif : celle des biens communs et celle du « libre » et de la gratuité que l’on trouve dans les logiciels libres et les common licences.
Les communs libres selon Unisson
« Plus qu’un concept, les biens communs constituent un cadre de pensée pour l’action. »
(Biens) communs, Contours et repères, Résau francopohone autour des biens communs
Unisson préfère parler de « communs » pour éviter la confusion induite par la notion de bien. En effet, les communs ne sont pas forcément des biens matériels.

Les communs sont des ressources partagées entre une communauté d’utilisateurs qui déterminent eux-mêmes le cadre et les normes régulant la gestion et l’usage de leur ressource.

« Il n’y a pas de commun sans « commoners ». (…) Il n’y a pas de commun sans agir en commun. » New to the Commons ?, David Bollier
Ainsi, une ressource n’est pas commune par essence et de manière fixe. La qualité de « commun » résulte des pratiques qui environnent une ressource. Cette qualité peut être gagnée ou perdue selon l’évolution.
« Le sens actuel du commun se distingue des nombreux usages passés de cette notion, qu’ils soient philosophiques, juridiques ou théologiques : bien suprême de la cité, universalité d’essence, propriété inhérente à certaines choses, quand ce n’est pas la fin poursuivie par la création divine. Mais il est un autre fil qui rattache le commun, non à l’essence des hommes ou à la nature des choses, mais à l’activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est « commun », réserver certaines choses à l’usage commun, produire les règles capables d’obliger les hommes. » Commun. Essai sur la révolution du XXIème siècle, Pierre Dardot et Christian Laval
Unisson souhaite le développement des communs pour qu’ils contribuent au commun le plus inclusif possible, celui qu’on nomme le commun universel (« notre bien vivre ensemble sur la planète Terre »). Or, l’application des logiques libristes facilitent à la fois la mise à l’unisson du plus grand nombre autour d’un commun, tout en le rendant potentiellement universel. C’est pourquoi Unisson s’inspire des quatre libertés fondamentales du logiciel libre (usage, étude, copie, amélioration) et insiste sur l’importance d’une recette ouverte.
« Premièrement, la liberté de copier un programme et de le redistribuer à vos voisins, qu’ils puissent ainsi l’utiliser aussi bien que vous. Deuxièmement, la liberté de modifier un programme, que vous puissiez le contrôler plutôt qu’il vous contrôle ; pour cela, le code doit vous être accessible. » Free Software Foundation,1986
Le modèle du libre invite Unisson à valoriser l’ouverture, la transparence et l’horizontalité. Cet attachement explique pourquoi Unisson se réfère au modèle de « commun libre ».
Et concrètement ?
Les communs libres sont définis par leurs logiques de fonctionnement (voir ci-dessus). Ils peuvent donc être plein de choses différentes. Dans tous les cas, les communs libres sont :
– une ressource partagée
– une gouvernance partagée et ouverte à l’ensemble de la communauté des usagers
– un cadre, des règles, des normes pouvant toujours être remis en cause et adapté
– une recette ouverte afin de permettre à d’autre de la copier ou du moins de s’en inspirer
– une ressource protégée, maintenue par ses usagers-contributeurs
Exemples de communs libres :
Un lieu que chaque occupant peut s’approprier, y proposer ce qu’il veut et participer à sa gestion.
Un projet auquel tout volontaire peut participer et consulter les documents.
Des plans d’architecture en libre accès, que chacun peut utiliser et adapter.
Une plateforme de covoiturage gratuite que chaque usager peut améliorer.
Une voiture partagée au sein d’un quartier où les habitants s’accordent des règles de ce partage ensemble et de manière transparente.
On parlera même de commun libre et universel si son accès est ouvert à tous, gratuit et son usage potentiellement bénéfique à tous. Ce serait par exemple le cas de l’eau si elle n’était pas distribuée par un acteur privé. En revanche, c’est déjà le cas pour Wikipédia.
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La plateforme Unisson est en constant développement. L’extrait présenté ci-dessus n’en est qu’une illustration provisoire.

Une autre partie des discussions que retrace la plateforme Unisson est celle sur les formats Internet garantissant une vraie ouverture pour la plateforme. Les débats sont denses et s’alimentent d’avis pris auprès de référents dans le domaine du contributif et des communautés du libre. Des conseils sont demandés à la Peer To Peer Foundation de Michel Bauwens (http://p2pfoundation.net/), de façon à mettre en place des protocoles en « commons based peer production ».
La plateforme abrite ainsi plusieurs discussions, tant sur l’approfondissement de cette problématique des communs libres que sur les approches permettant de faciliter le développement de projets en communs libres. La priorité est donnée à l’élaboration d’ « indicateurs et tableaux de bord » pour le pilotage de projets en communs libres. Un tableau intitulé « Tableau de bord de construction d’une initiative en bien commun » reprend l’ensemble des points critiques d’un tel projet : « Ce tableau permet de soulever tous les éléments sur lesquels travailler pour développer un projet en bien commun (Unisson compris). Un ensemble d’indicateurs permet ensuite de questionner le projet par rapport aux logiques du bien commun. Les indicateurs utilisés sont décrits ici ».
Besoins du projet
Conseils méthodologiques
Enjeux
Ressources suggérées par Unisson
Mutualiser

Se mettre en lien avec des personnes qui ont un projet similaire, voire rejoindre un projet déjà existant
Trouver les ressources pertinentes (matérielles et humaines)
Plateforme listant des usages (en construction)
Repérage de biens communs

Organiser la contribution

/contribution
Identifier les tâches et les rendre accessibles
Faciliter la contribution de manière ouverte et fluide
Organiser la cohérence du travail collectif
« Sessions de contribution »
Outils Trello, Github, Transifex ou translatewiki pour les langues, etc…
Se financer
/financement
Rémunérer les contributeurs de manière équitable
Mettre en place un modèle de financement adapté (ex : prix libre)
Gittip
Faire les choix techniques

Penser les choix pour une mutualisation avec d’autres initiatives (Ex : données ouvertes, logiciel libre, API décentralisée)
Faciliter la transparence du projet
Logique de développement par API
Choix de licence juridique

Se structurer légalement
/legal
Trouver le cadre juridique adapté aux modes de fonctionnement du projet
Utiliser des structures juridiques adaptées aux biens communs (Ex : www.spi-inc.org)
S’ouvrir, rassembler et organiser le dialogue

Constituer ou prendre part à une communauté
Permettre l’expression de chacun, avec un processus de remontée de tensions
Etablir un modèle de gouvernance et d’organisation sans figer l’initiative
Utiliser une liste de discussion
Avoir une possibilité de remonter des tensions ou d’améliorer le projet avec un processus pour faire des choix (consentement, vote). Example
Partager

Permettre la duplication ou la mutualisation
Travailler en réseaux
Partager ses recettes ou « codes-sources » grâce àMovilab
Rejoindre des groupes de travail thématiques
Evaluer et évoluer
/indicateurs
Reconnaitre les points de convergences et de divergences
Garder une capacité critique sur sa propre initiative pour mieux la faire évoluer
Croiser les représentations (exemple de méthode)
Afficher un indicateur : http://movecommons.org

Gérer sa relation avec le privé et le public
/public
/prive
Etre capable de protéger le caractère « commun » d’une initiative
Savoir coopérer

Valoriser son expérience
/prestation
Faire reconnaitre la valeur des compétences développées et mises à profits, Rétribuer les biens communs constitutifs de cette valeur

(http://unisson.co ).
Le tableau met en avant les questions essentielles qu’ont à affronter les porteurs d’initiatives.
Il pointe les thématiques sur lesquelles tout projet en communs libres doit se positionner. On voit ici combien la discussion sur l’enrichissement du tableau sert à définir progressivement ce que peuvent être de tels projets en économie contributive. Des indicateurs s’en dégagent qui permettent de qualifier les projets et d’évaluer les écarts avec un type idéal de projet porté en « commun libre ». Les promoteurs et contributeurs du site ont à cœur la dynamique d’ensemble que représente le mouvement de propagation des initiatives en communs libres. Autant il leur semble essentiel d’affiner progressivement un « modèle » par expérimentations et délibérations, autant ils ont conscience que les projets de création d’activités marquent autant de situations contrastées et intermédiaires qu’il y a de projets.

3. Vers une économie politique de la contribution
Pour qualifier cette dynamique en alternative économique et politique plusieurs questions essentielles demeurent.
La première d’entre elles concerne le financement des contributions et de leur rétribution. C’est évidemment une question essentielle pour garantir cette dynamique.
Mais il apparaît tout à fait clairement que les porteurs d’initiatives dissocient assez largement leur propre situation, et la rémunération de leur contribution, du développement du projet lui-même si celui-ci correspond à une dynamique collective de nouveaux usages. Il n’en demeure pas moins que les porteurs d’initiatives, contributeurs en communs libres, à la recherche de leur justesse personnelle, même s’ils se situent dans un modèle de développement singulier autre que leur enrichissement personnel, ils visent aussi une juste rétribution que leur garantisse une autonomie.
La mesure les contributions à l’aune d’une prestation marchande est une première réponse globale à cette question de la rémunération des contributeurs. Dans ces situations de financement de projets et de créations d’activités en communs libres, mais avec services marchands associés, les contributeurs sont des prestataires indépendants. Ils adoptent alors des statuts d’entrepreneurs ou d’auto-entrepreneurs, développés en parallèle des projets. Cette solution est souvent retenue, associée à toute une gamme de structures de portage collectif d’emplois salariés ou indépendants créés dans la dernière période, souvent dans un esprit coopératif, par exemple avec les CAE (Coopératives d’Activités et d’Emploi). Les projets et les entreprises qui en résultent se construisent alors indépendamment des structures d’indépendants de leurs principaux porteurs et contributeurs. Cette dynamique sera peu compréhensible par les institutions économiques et politiques majoritaires qui n’y retrouveront que difficilement les impacts en termes de création d’emplois qui leur servent d’indicateurs majeurs. Ou, tout au moins, il sera difficile de se livrer au calcul simple exprimé sous l’angle de la création d’emplois associée à la création d’entreprises. Certes, on pourra constater que les contributeurs, en tant qu’indépendants, ne relèvent pas du chômage. Mais, pour les acteurs économiques et institutionnels majeurs sur l’espace public, il sera difficile de voir dans ces entreprises, sans emplois directement associés, une alternative économique à l’analyse qu’ils font de la crise économique actuelle.
Mais, comme l’indique le tableau Unisson, on peut constater l’émergence de solutions plus ambitieuses, plus radicales dans l’esprit d’une économie politique de la contribution.
En effet, si les expérimentations ne sont pas que des activités complémentaires à des formes d’entreprises et d’emplois classiques, mais cherchent leurs propres modèles économiques et leurs propres financements, des solutions radicalement innovantes doivent être trouvées. Ces solutions, conformes aux principes d’un modèle contributif, ouvert et non propriétaire, doivent se dégager de fonctionnements marchands, mais aussi de ceux qui gouvernent les biens publics, avec les formes d’emplois publics. Les choix des initiateurs du collectif Unisson que représente la plateforme du même nom sont alors en faveur de plateformes de financement tout à fait spécifiques qui permettent des échanges contributions / rétributions basés sur les principes du don. La plateforme Gittip (www.gittip.com) est ici le meilleur exemple. Elle représente certes une plateforme de « crowdfunding », mais il s’agit ici d’un type de plateforme tout à fait particulier.
Le crowdfunding commence à être bien connu dans la mesure où il est compatible avec toute sorte de projets et de financements ; la différence étant la démultiplication de petits apports venant de particuliers qui peuvent venir financer tout type de projet, marchand ou non marchand. Le fait de rémunérer des contributions en rémunérant directement des individus, et pas seulement des entreprises, n’est pas une spécificité de Gittip. D’autres plateformes le font, y compris avec des modèles fortement associés à des entreprises de l’économie marchande, et parfois même avec les plus marchandes des marchandes. Un des meilleurs exemples est ici Quirky (www.quirky.com) avec l’utilisation qu’en fait le groupe Auchan pour financer sa « boîte à idées », et donc rémunérer les contributions de ses clients au développement de la gamme de produits vendus.
Mais, avec Gittip d’abord, puis Liberapay ensuite, la particularité est de financer plutôt des projets personnels et singuliers, et de permettre la rémunération des acteurs créateurs en communs libres. Ainsi, la plateforme « support and thank your favorite people and projects and communities with small cash gifts ». Elle se veut “a way to give small weekly cash gifts to people you love”. Chacun est invité à contribuer en donnant mensuellement de l’argent, mais aussi en participant au développement de la plateforme elle-même, du fait de son mode de développement en open source et common licences. A l’inverse, les acteurs et autres porteurs d’initiatives en projets contributifs peuvent venir s’y financer directement, en définissant eux-mêmes ce qu’ils souhaitent prélever. Des règles ajustées collectivement sont là pour empêcher qu’un individu s’accapare l’ensemble des financements ou fasse des prélèvements indus. Mais, le système est basé sur la confiance que donne l’appartenance à une communauté qui se constitue dans l’édification de ces règles. Les créateurs en mode contributif présentent alors leurs réalisations pour justifier leurs prélèvements, par exemple, s’agissant de l’un d’entre eux : « I am making the world better by contributing on : (suit une liste de projets et de contributions, toutes argumentées en économie politique contributive) » (www.gittip.com).
Avec ce type de proposition commence à se dessiner les contours d’un revenu contributif dont parle Stiegler (Intervention orale lors de OuiShare Fest Paris 2014).
Une autre question importante est celle du lien qui s’opère entre les initiatives, centrées sur la définition d’usages et leur construction en biens communs, et les milieux sociaux, les communautés qui les portent. C’est aussi celle de leur impact sur les espaces publics locaux et sur les potentialités de recomposition de l’action et de l’institution publiques. Enfin, la question que soulèvent ces initiatives en économie politique contributives c’est aussi celle d’une approche non formelle mais très concrète de la participation/délibération/décision publique susceptible de transformer en profondeur la démocratie et la citoyenneté.
Les initiatives contributives ont en commun de laisser beaucoup de place à des moments collectifs de conception et de création collective. Ces moments, tout en étant centrés directement sur la conception et le développement des activités, par le traitement collectif de besoins pensés en usages et en mise en commun des usagers, accordent une place importante à la délibération sur les finalités de ces activités, leurs contributions à une transformation sociétale dans des terminologies sur lesquelles tous ne s’accordent pas mais qui prônent le développement durable, l’action citoyenne et l’intervention sur l’espace public. Elles interrogent beaucoup l’action publique et, en premier lieu, les acteurs publics locaux. Le traitement collectif des besoins et la conception des usages se prolongent dans une reconsidération de l’espace public local, exprimée en termes de territoire. On voit alors que ces initiatives territorialisées rencontrent alors les problématiques émergentes de la démocratie directe, de la participation citoyenne et de la citoyenneté numérique. On assiste à un renouvellement de l’imaginaire politique, dans la mesure où l’action publique se trouve sollicitée par cet actif collectif, avancé au titre d’une citoyenneté réaffirmée. Bernard Stiegler considère d’ailleurs que « l’économie contributive doit d’abord viser le maintien du milieu qui lui donne naissance » (Stiegler, propos tenus lors de OuiShare Fest Paris 2014).
Les outils de la construction de projets en communs libres sont aussi ceux de la délibération participative renouvelée par son lien avec la construction des usages. De nombreux auteurs, sites et collectifs se mobilisent pour développer ensemble ces outils participatifs. Des plateformes rendent compte et discutent des expériences. Des outils dits « en intelligence collective » sont mis au point et débattus sur des forums portés par des plateformes virtuelles (par exemple, anim.fr, sur la plateforme Imagination for People). La question de la discussion/délibération sort du cadre formel de la théorie et de l’éthique de la discussion souvent mise au service d’une participation réduite à l’acceptation/aménagement de la décision politique publique en biens publics. Ce qui s’expérimente concerne la co construction de biens communs potentiellement institués en biens publics, sans que ce soit l’autorité publique qui soit à l’origine de la démarche de « communalisation délibérative ». L’initiative vient alors des communautés du territoire et l’action publique, se calant dessus pour engager, ou non, un processus d’institution qui fait passer, pour tout ou partie, le bien commun construit en bien public.
Ce nécessaire rapport aux milieux peut-il cependant se satisfaire de la virtualité de liens qui passent d’abord souvent par des plateformes collaboratives ? Certes, on peut considérer avec Shirley Turkle (1995) que la vie sur l’écran est réelle. Mais, pour beaucoup, les liens sont d’autant plus forts qu’ils sont non seulement réels mais incarnés dans des appartenances de communautés territorialisées et de proximité. C’est tout le sens des expériences de création d’activité sur les espaces de coworking. Le paradoxe est ici que les processus de création de relations d’usages au travers des outils numériques collaboratifs pourraient n’être qu’instrumentaux et transitoires ; les acteurs s’en remettant ensuite à des interactions directes sous le sceau d’une citoyenneté  renouvelée. Certains collectifs se font les animateurs de processus de réappropriation de projets de développement local en mode contributif par des communautés locales, à l’image des TAZ (Zone Autonome Temporaire) d’Hakin Bey (1985).

4. Des initiatives en communs
Les formes d’hybridation des principes collaboratifs et contributifs rencontrent la problématique des biens communs.
A la recherche d’un argumentaire d’action pertinent, les acteurs de l’économie politique collaborative/contributive commencent à le trouver grâce à la notion de biens communs qu’acteurs et chercheurs contribuent aujourd’hui à mieux définir (Bollier, 2014 ; Dardot, Laval, 2014 ; Coriat, 2015). De nombreux ouvrages s’efforcent de mieux problématiser et théoriser une approche qui trouve son aliment dans les expérimentations et les initiatives citoyennes. Les notions avant d’être avancés comme des concepts sont présentés comme émergeant du terrain des mobilisations. On pourrait même considérer que certaines approches menées précédemment au titre de la théorie des biens communs auraient pu ne pas nourrir ce phénomène de l’économie politique contributive. Il a fallu une redécouverte des « communs » pour qu’une nouvelle problématique rencontre les expérimentations en cours et fournisse une argumentation désormais en plein développement (Coriat, 2013, 2015).
Cette argumentation a des répercussions sur la question des droits, de propriété notamment, en lien avec les processus de création d’activités et d’entreprises. Le débat ancien sur la gouvernance des biens communs l’avait déjà montré, aujourd’hui cette question revient en force dans les débats sur les initiatives contributives et citoyennes. Rifkin parle de passage d’une logique de propriété à une logique d’usages de biens (2014).
Le bien commun se construit dans la dynamique même de l’entreprendre, ce n’est pas une ressource préexistante, et dans le même temps il permet la construction/consolidation du collectif qui en est à l’origine.
En plus qu’il n’y a pas de bien commun que dans des ressources existantes à se partager ou pour lesquelles il faudrait garantir un égal accès et une préservation collective, François Flahaut montre que l’on ne peut dissocier le bien commun du contexte et même du collectif qui lui donne naissance. Il parle à ce propos de « bien commun vécu » : « L’ « ambiance », l’ « atmosphère » qui règne dans un groupe plus ou moins nombreux constitue un bien commun vécu par les membres de ce groupe. Ce type de bien commun, intangible mais très réel, répond aux mêmes critères que les autres (libre accès et non-rivalité) ; plus un troisième critère : non seulement le fait d’être plusieurs ne diminue pas le bien-être vécu par chacun, mais le fait d’être plusieurs est la condition nécessaire pour que ce bien se produise » (Flahaut, 2011, p.118).
Elinor Ostrom proposait déjà de partir de la notion de « groupe d’usagers » (User group) entendu comme «  a set of individuals that makes (or has claim to make) use of a particular common pool resource » (Ostrom, 1986, p.607, cité par Coriat, 2013, p.11). Elle ne se contentait pas de mettre en avant ces « users groups » mais aussi soulignait leurs modes d’organisation (UGO, pour Users groups organisations) en tant que supports et conditions d’existence d’un commun. Pour Ostrom, comme le souligne Coriat : « un commun c’est d’abord et avant tout une communauté d’acteurs » (Coriat, 2013, p.11).
Construit au cœur du collectif dans une dynamique collective de l’entreprendre, le bien commun n’est pas appropriable individuellement. Mais cette non appropriation du bien commun construit n’est alors pas un renoncement à un bien mais la construction/réception d’un bien commun tangible. Et c’est bien cela que montrent les expériences de génération et accélération collective de projets qui s’opèrent dans les dispositifs de soutien collectifs à l’entreprendre collaboratif/contributif. C’est cela que mettent en avant les collectifs, tel le collectif « Catalyst ».
L’appropriation collective se construit au cœur des initiatives et construit les acteurs dans leurs capacités à les porter en projets, et dans ces nouvelles positions par rapport à la propriété. La réflexion n’est ici pas uniquement et même principalement juridique, elle porte sur le processus collectif de création d’usages possibles pour soi-même parce que pour autrui. De plus, comme le souligne Flahaut (idem, p.133) : « le bien commun se réalise à travers des biens communs ». C’est bien à ce type d’individuation singulariste et de fabrique sociale de positions sociales en logique contributive que l’on assiste alors.
Expérimentations en économie collaborative/contributive et conceptualisation en termes de biens communs vont de pair. Chercheurs et acteurs se retrouvent alors dans cette perspective. C’est ce à quoi font référence David Bollier et Silke Helfrich (Commonsblog), parlant de travaux menés dans le cadre d’une université d’été allemande sur les biens communs, tenue en juin 2012 à Bechstedt, Allemagne, et qui ont débouché sur huit points de référence pour la mise en commun des biens élaborés à partir des travaux d’Ostrom.
“There is no master inventory of commons” : C’est effectivement impossible dans la mesure où un commun surgit quand une communauté décide de gérer une ressource de façon collective ; tout dépend donc de la logique d’action de la communauté.
“The commons is not a resource” : C’est une ressource mais associée à une communauté précise et aux protocoles, aux règles et aux valeurs partagés par la communauté.
“There is no commons without communing”: Ce qui prime ce sont les pratiques collectives de mise en commun.
Bollier poursuit cette synthèse sur les commons en mettant en avant la logique d’ouverture (de non enclosure), les luttes que cela suppose pour les commoners (les acteurs associés en communs) de trouver de nouvelles solutions institutionnelles légales, juridiques (en rapport à l’évolution des droits de propriété), la reconnaissance de nouvelles formes de communs à tous les niveaux de la vie sociale (Bollier, 2014, p.175 à 177).
Mais, le débat se nourrit de nouvelles convergences de problématique reliées aux mobilisations et aux expérimentations précédentes ainsi que les débuts de théorisation qui en résultent, par exemple avec les débats sur l’économie des logiciels libres et de la gratuité. Elles sont aussi au cœur des débats/controverses et portées par des plateformes numériques avec tous les outils permettant les nouvelles pratiques elles-mêmes collaboratives/contributives.

5. Entreprendre en communs : Le commun d’abord !
Quelle est la situation de l’ « entreprendre » ?
Les initiatives qui prennent le chemin de la création d’activités, portées par des collectifs associatifs, se confrontent rapidement à la double question de la viabilité économique des activités créées, et de la salarisation éventuelle des porteurs de projets débouchant de l’initiative.
S’agissant de la viabilité économique d’activités individuelles ou mise en œuvre de façon collective, plusieurs chemins sont alors empruntés. Il y a celui de la viabilisation individuelle de certains porteurs, en autoentreprises, ou autres statuts de free-lance (d’intermittents, dans certains domaines culturels), plus ou moins articulés avec des structures qui en assurent la gestion, des CAE –Coopératives d’Activités et d’Emploi-, par exemple.
Autre chemin, celui de la structuration de l’activité sur un mode marchand, mais dans le cadre d’une coopérative. Plus récemment, la SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) pourra être privilégiée. Dans la même logique associative et solidaire, la priorité pourra être donnée à une structure d’association en la rendant compatible avec un fonctionnement marchand, ou pseudo marchand, en partie marchand, tout en sollicitant l’un ou l’autre financement public ou, privé, « collaboratif » via le crowdfunding, par exemple. Plusieurs difficultés sont à envisager. La logique de création d’emplois en lien direct avec une création d’activités bute sur le coût de l’emploi complet, durable, et ne peut souvent se réaliser que par le recours à des emplois aidés. D’autre part, une autre limite apparait dans le fait que les salariés issus de ses processus de création d’activités convertis immédiatement en emplois sont dessaisis de la gouvernance des structures créées ; un salarié ne pouvant siéger au conseil d’administration d’une association.
Ces difficultés renforcent les processus de création d’activités qui adoptent la logique entrepreneuriale de la capitalisation. Et finalement, plus que les conceptions de départ des processus de création d’activités, en l’absence de propositions permettant la viabilisation économique des activités créées, ce sont les dispositifs classiques de l’entrepreneuriat qui s’imposent.
Cependant l’expérience de création d’activités viables économiquement dans le domaine du numérique libre et dans l’exploitation des licences libres nous montre un autre chemin possible.

L’entreprendre, Le Commun d’abord !
La réflexion engagée avec les collectifs qui privilégient une approche « en communs » se base sur l’expérience de la création d’activités dans le domaine du logiciel libre et de l’open source pour définir les premiers éléments d’une problématique de l’entreprendre en communs.
Au sein du collectif porteur de la plateforme Unisson et de la dynamique encommuns.org s’est formalisée une problématique que résume le schéma suivant2 :

Cette problématique peut se résumer par cette injonction : « le commun d’abord ! »

Le commun, réponse à un besoin et expression d’une égalité de traitement ou d’une inégalité perçue comme juste
Cela signifie que la démarche de créativité citoyenne qui s’amorce au cœur de ces initiatives en communs prend appui sur l’expression d’un besoin. C’est ce besoin qui sera à l’origine d’une réflexion sur les usages d’un bien ou d’un service qu’il convient de conforter, de partager, de développer, ou d’adapter. Dès le départ, la réflexion ne se focalise pas sur le produit et/ou le service en tant que tel mais sur les usages qui en sont faits.
On peut aussi observer que cette expression de besoin s’opère dans un mélange d’attentes et de désirs, mais aussi de jugements sur les inégalités d’accès aux usages. Ces inégalités pourront être perçues comme plus ou moins injustes et se traduire en autant de revendications. L’action collective de construction du commun a donc dès le départ une double dimension, une dimension technico économique de construction d’une solution qui doit permettre de créer des usages en réponse à un besoin, mais aussi une dimension socio politique de délibération sur les conditions d’accès à ces usages. Ainsi, dès le départ, la démarche de construction ne peut se réduire à un projet technico économique de création de produit ou de service. La démarche intègre une dimension de délibération citoyenne ; que cet aspect soit reconnu ou non par les acteurs eux-mêmes ou par les représentants de l’action publique qui peuvent être sollicités à l’un ou l’autre des moments de maturation de cette démarche.
Les outils d’aide à la construction d’un projet de commun, que ce soit ceux exprimés en termes d’analyse de la valeur ou du « design de service », outils qui pourraient se révéler utiles dans le processus de création collective, ne pourront être mobilisés que dans la cadre de processus de démocratie participative et délibérative qui ont eux-mêmes leurs propres outils de facilitation.
La démarche globale, Le commun d’abord !, aura alors à en assurer la convergence avec les outils de créativité technico économique des usages.

Construire le commun pertinent et solidaire
Ce principe de base étant posé, une double question se pose : d’une part, le commun en cours de construction est-il pertinent, par rapport à d’autres démarches similaires et simultanées qui pourraient se faire jour sur le même territoire ou sur un territoire proche ; d’autre part, le commun que les acteurs se proposent de construire répond-t-il à des critères de justice et de solidarité ?
En effet, il importe de vérifier que les communs éventuellement en construction ne se font pas concurrence. Il importe aussi que l’on s’assure que celui sur lequel porteront les appuis de facilitation et d’institution sera le plus à même de répondre durablement au besoin exprimé. Il faudra aussi vérifier que la réponse la plus pertinente donne aussi toutes les garanties de solidarité et de se prémunir du danger d’égoïsme du commun. C’est pour cela que la confrontation des projets exprimés dans les différents modèles économiques alternatifs avec les éléments organisationnels, politiques et éthiques de l’ESS est essentielle et que des liens forts doivent être tissés entre les acteurs de ces deux mondes. Cette confrontation, rendue possible au sein des organisations et des dispositifs communs aux différents secteurs porteurs d’une alternative économique et politique, doit permettre de distinguer des projets qui jouent transitoirement le commun pour déboucher sur autant d’appropriations privées différées ; ce que les théoriciens des communs appellent les dangers d’  « enclosure ». Mais, dans le même temps, ces nouvelles pratiques de construction d’initiatives « portées en communs » viennent questionner les acteurs traditionnels de l’ESS et leurs organisations. Et, il faut bien constater que tout cela contribue à une dynamisation des secteurs de l’ESS.

Identifier les collectifs porteurs et les communautés d’usage
Si chaque commun est le résultat d’une construction sociale collective, les usages qu’il permet vont au-delà du collectif qui le porte au départ. On pourrait aussi dire que collectif et communauté d’usages sont en permanente évolution. S’il y a identité de l’un et de l’autre il y a risque d’égoïsme ou d’appropriation du commun.
Distinguer ces deux notions de collectif porteur et de communauté d’usages permet aussi de traiter la question du rapport du commun à l’espace public et celle du processus d’institution dont il peut faire l’objet. Le commun doit se positionner sur l’espace public, faire sa « publicité ». Se positionner suppose aussi d’envisager le niveau et la forme d’institution qui lui seront le plus adaptés. L’appui à l’entreprendre en communs doit être une aide au traitement de ces questions ; ce que ne traite pas l’entrepreneuriat ordinaire, ni même l’entrepreneuriat social. Cette question sera au cœur de nos travaux ultérieurs, en particulier ceux du projet chercheurs-citoyens CREACIT.

Le commun tel qu’il est construit, démocratiquement, donne son sens aux activités économiques induites
La construction du commun ne signifie pas que des activités économiques, y compris marchandes, ne puissent pas en être induites, au contraire. On peut même dire que la construction collective du commun est une entreprise collective de création économique dans la mesure où le commun coïncide à un écosystème économico politique qui a sa cohérence.
De nombreux exemples tirés de l’économie politique du logiciel libre le montrent, la construction collective et le développement continu d’un commun n’est pas incompatible avec la création d’activités induites, portées par des organisations de tailles et compositions diverses, et répondant à des formes de viabilité économique elles-mêmes diverses.
D’un part un commun peut donner lieu à des activités portées par des structures et dans des modes économiques différents. D’autre part les mêmes entreprises, au sens où il s’agit d’entités ayant une unité de stratégie et de fonctionnement, peuvent présenter une diversité de modèles et des formes hybrides de ces modèles.
Un commun pourra générer des activités portées par des individus autonomes à statut d’indépendants ou par des entités relevant de différentes structures, associatives, coopératives, entrepreneuriales. Il pourra générer des activités rémunérées, strictement marchandes ou marchandes régulées, des activités financées par du crédit public, par du crédit mutualisé, par des dons privés, etc.
Le point particulier de ce type de créativité collective est de n’envisager les activités économiques, sous leurs différentes formes et modes de viabilisation, que dans leurs interrelations avec un commun dont la gouvernance globale demeure spécifique par rapport à celle des entités économiques induites. Ainsi, les appellations mais aussi les formes d’appropriation seront nécessairement distinguées pour éviter toute confusion et limiter les effets d’enclosure.
On pourrait montrer que cette réflexion sur les niveaux de gouvernance des communs et de leurs activités induites ne fait que reprendre et approfondir des travaux économiques dont on a redécouvert la portée avec le retour en grâce des théories sur les communs, après la reconnaissance des travaux d’Ostrom et de ceux qui leur ont donné une suite. On pourrait aussi montrer que cette réflexion a son pendant avec celle que se fait jour concernant les niveaux et les formes de gouvernance des grandes entités économiques que sont les entreprises du contexte économique capitaliste dont nous héritons.

6. Entreprendre en communs dans l’espace public
Entreprendre en communs est une affaire publique
Cette affirmation ne fait que reprendre l’idée développée précédemment selon laquelle l’action d’entreprendre ne relève pas d’une logique d’action économique qui serait à distinguer d’autres dynamiques d’action relevant de de l’action politique. C’est ici que les réflexions sur la création d’activités doivent construire une argumentation économique qui soit en phase avec les positions mobilisatrices exprimées en termes de pouvoir d’agir. L’action est ici tout autant économique que politique. Trop souvent les dynamiques d’action sont cloisonnées du fait de la prégnance des représentations de l’économie et des cloisonnements opérés par les institutions, leurs politiques et leurs dispositifs.
L’entreprendre en communs suppose de ré envisager l’espace public et la façon dont se positionnent les systèmes d’acteurs sur cet espace. Les expériences en cours montrent que des créations alternatives sont possibles et qu’elles peuvent désormais s’appuyer sur des collectifs, des réseaux, qu’elles peuvent bénéficier de soutien, y compris financiers, et d’appuis publics. Il n’en demeure pas moins que ces soutiens et ces appuis sont présentés et perçus comme résultant de politiques minoritaires, au mieux complémentaires, toujours en décalage avec ceux censés représenter les voies majoritaires d’une action économique vis-à-vis de laquelle les pouvoirs politiques contribuent pourtant de façon souvent déterminante.
Les représentations de l’action économique semblent dominées par la conception que celle-ci relèverait surtout d’acteurs privés, seuls à même d’assurer la viabilité des activités de par la vertu du fonctionnement des marchés alors que le financement public semble, d’une part, ne pas apporter cette garantie d’efficacité économique, et, d’autre part, connaître une inéluctable diminution. L’ « entrepreneuriat », comme idéologie de l’entreprendre, s’inscrit dans ce type de formatage des représentations de l’efficacité, avec son vocabulaire de la rentabilité et de la compétitivité.
Il serait révélateur de montrer en quoi l’action économique est déjà largement le fait conjoint des pouvoirs politiques et des acteurs privés au travers de tous les dispositifs de l’économie mixte, ou au travers de la commande publique.
Cette question des représentations de l’économie et des pratiques d’action économique qui en découlent suppose de s’interroger sur la prégnance des représentations alternatives en matière d’action économique et des dispositifs susceptibles de confronter, de décomposer/recomposer ces systèmes de représentations. Cela suppose que soit réexaminé l’espace public qui abrite ces systèmes de dispositions, positions, les controverses et les conflits que l’expression et la confrontation des représentations mettent en scène.
Cela conduit à envisager ce en quoi pourrait consister un espace public, lui-même, alternatif, comme sous espace public dominé pour reprendre les propositions faites par Nancy Fraser en la matière (2005).

L’entreprendre en communs : un sous espace public dominé
Il est de fait qu’on n’a jamais autant parlé de lieux et de territorialisation de la prise d’initiative et de la création d’activité.
Partout dans le monde, de nouveaux lieux éclosent dénommés « tiers lieux » en référence à l’appellation donnée historiquement par Oldenbourg (1989).
Ils sont principalement vus sous deux aspects.
Le premier aspect concerne les rapports très particuliers que les participants à ces lieux manifestent quant à leurs rapports au travail et aux relations dans le travail. L’accent est alors mis sur la dimension coworking de ces lieux. Sous un second aspect, ces lieux commencent à être vus comme des lieux de production et particulièrement de fabrication. On insiste alors sur le succès de l’impression 3D qui y occupe souvent la vedette et rend possible une fabrication de laboratoire (FabLab) au sein de « Makerspaces », etc. Ces deux aspects sont importants et méritent des recherches approfondies.
Mais, j’aborde ici un autre aspect que recouvrent ces tiers lieux, tout au moins certains d’entre eux. Les tiers lieux, et les acteurs qui s’en servent comme point d’appui à leurs démarches de création d’activités, expérimentent des dynamiques collectives de formalisation d’usages et de création d’activités induites en s’appropriant une problématique émergente centrée sur la notion de « commun ».
Commençant à fournir les éléments constitutifs d’une économie politique de construction d’usages et d’activités constitués en communs, ces tiers lieux constituent désormais les bases infrastructurelles d’un monde de production en communs.
Les tiers lieux porteurs de cette logique d’agir collectif apparaissent alors tout à la fois comme des espaces d’incubation d’activités – pour reprendre des termes bien connus des appuis publics et privés fournis à des processus de création d’activités-, mais aussi, et surtout, comme des espaces de création de capacités individuelles et collectives à un « entreprendre alternatif ».
A ces premiers tiers lieux, espaces potentiels d’émancipation et d’action économique alternative, il faut ajouter les espaces de mobilisations que sont d’autres lieux alternatifs, comme les lieux culturels autogérés qui concentrent de nombreuses pratiques de création artistique et culturelle. Ces lieux sont tout à la fois des espaces pour des centres de ressources pour les artistes qui y mutualisent leurs pratiques, des lieux de production, de programmation des œuvres créées, des lieux de « résidence » pour des créateurs  « invités », etc.
Il faudrait aussi envisager dans la même représentation en termes de sous espace public dominé les lieux faisant l’objet de pratiques mobilisatrices et occupationnelles, en tout premier place il faut envisager les pratiques qui se développent sur les espaces laissés en « friches » et qui sont l’objet du débat public d’aménagement.

Un nouvel imaginaire instituant : le « territoire » et les lieux, liens, physiques et numériques
Cette nouvelle problématique de l’espace public dominé doit aussi être mise en relation avec les contraintes et les potentialités que représente l’actualité forte donnée dans la dernière période à la notion de territoire. Cette notion de territoire est désormais l’angle de reconception de nombreuses politiques publiques. En ce sens elle est désormais incontournable. C’est tout l’enjeu actuel de la création et de l’institution des PTCE (pôles territoriaux de coopération économique).
De même que l’on n’a jamais autant parlé des tiers lieux, on a jamais autant parlé des potentialités des plateformes numériques. Ainsi, sur l’espace public lillois, la convergence des initiatives alternatives est le fait d’acteurs associatifs et institutionnels, mais s’appuie aussi sur l’existence de plateformes collaboratives : « encommuns.org » qui fait converger toutes les expériences de création d’activités « en communs » et « Unisson » qui permet de mettre en commun les leçons tirées de ces expériences et les appuis méthodologiques qui s’en dégagent.
La plateforme Unisson : Facilitateur de Communs Libres
L’un des meilleurs exemples de ces pratiques collaboratives consistant à faciliter, démultiplier, capitaliser et aussi fournir les éléments de cadrage et d’évaluation de ces expériences en « entreprendre en communs » est celui de la plateforme Unisson (http://unisson.co), créée par des membres du collectif Catalysts, et en premier lieu de l’un d’entre eux, Simon Sarazin.
Les contributeurs de la plateforme veulent en faire une plateforme collaborative pour aider à concevoir les initiatives explicitement prises en termes de biens communs et de contribution : « un facilitateur de communs libres » (encommuns.org).

7. Infrastructures des entreprises en commun
Pourquoi parler d’infrastructures ? Il y a plusieurs raisons à cela.
Les initiatives se multiplient et commencent à être aidées dans leur émergence et leur développement. Elles débouchent sur une viabilité économique pour ceux qui les portent et, de ce point de vue, elles commencent à représenter une alternative professionnelle et personnelle pour ceux qui s’y engagent.
Les autres dynamiques de création d’activités économiques, celles qui débouchent sur des entreprises capitalistes ordinaires, bénéficient de politiques publiques qui y allouent des moyens, financiers notamment. En synergie avec ces politiques publiques, des organisations publiques, quasi publiques et même privées se positionnent pour aider, accompagner les créateurs d’entreprises. Tout cela a permis le développement d’une problématique d’action publique et de recherche sur le thème de l’ « entrepreneuriat ». Cet univers de l’entrepreneuriat, ses organismes, ses financements, ses dispositifs d’appui et d’accompagnement, ses congrès, salons et conférences, ses diplômes universitaires et ses actions de recherche développement dédiées, forme les « infrastructures », conditions générales d’émergence et de développement, sur lesquelles ces processus de création, les activités et les entreprises créées peuvent s’appuyer.
C’est à l’émergence de conditions générales similaires s’agissant des processus et activités spécifiques aux économies alternatives qu’il est désormais nécessaire de réfléchir.
De fait, le début de reconnaissance institutionnelle dont les initiatives solidaires alternatives sont l’objet montre que la question se pose.
Cette question des infrastructures est révélatrice des enjeux qui se font jour dans l’espace public à propos de l’action économique et des orientations à donner aux politiques publiques en la matière. Dans quelle mesure les initiatives potentiellement porteuses d’une alternative économique peuvent-elles s’appuyer sur des dispositifs et des moyens générés dans le cadre de politiques publiques ? Cette question concerne le devenir des expérimentations menées sous les diverses appellations données aux économies alternatives, mais elle concerne bien évidemment les projets qui s’inscrivent dans la mouvance de ce qui s’appelle l’économie sociale et solidaire, le secteur de l’ESS.
Parler de soutien public aux initiatives alternatives solidaires suppose que ces initiatives puissent, soit bénéficier des dispositifs existants pour les processus de création d’entreprises ordinaires, et pour cela éventuellement de les adapter, ou soit que des dispositifs spécifiques soient créés pour elles. Dans les deux cas, cela suppose que soient reconnues des formes spécifiques de créations d’activités économiques. Cela ne va pas de soi.
Il s’agira de caractériser cette logique infrastructurelle comme un ensemble de moyens, de ressources, d’outils numériques (des plateformes collaboratives dans une infrastructure numérique en mode ouvert et gratuit), de dispositifs socio cognitifs, mais surtout de positions et postures sociales spécifiques, de capacités individuelles et singulières qui se créent dans les interactions finalisées par l’entreprendre en communs.
Mais s’agissant plus particulièrement des initiatives collaboratives, contributives, en communs, l’action publique en soutien suppose d’autres formes et contenus de politiques publiques.

8. Action et appui publics aux communs
Vers un appui public à la convergence des dynamiques politiques et économiques de création d’activités et d’entreprises en communs
Le périmètre d’action collective et d’initiatives à prendre en considération pour une action publique d’incitation, de soutien et de développement doit être envisagé sur la totalité du champ d’action : aussi bien le niveau de l’initiative collective et de l’association, porteuse de communs que le niveau de la création des activités de viabilisation économique.
Aussi il apparaît essentiel dans la conception d’une telle action publique que les politiques et les dispositifs ne séparent pas les projets et les démarches de création selon qu’elles concernent des processus de mobilisation et de capacitation collective citoyenne ou des processus de création d’activités. Or, il est à noter que les politiques publiques, les services sollicités pour les concevoir et les animer et les dispositifs conçus pour les mettre en œuvre sont nettement séparés. Les uns relèvent de la politique de citoyenneté, de la participation citoyenne, les autres du développement économique et de l’entrepreneuriat. C’est à ce titre qu’un entrepreneuriat social qui serait séparé dans le mode de traitement de l’action citoyen des dispositifs d’accompagnement des dispositifs de soutien à la prise d’initiative et de pouvoir d’agir citoyen ne ferait que s’inscrire dans une logique économique et politique dominante.
De ce point de vue, les politiques et les dispositifs d’action publique dédiés à l’ESS, sans cependant éviter totalement les dissociations entre action politique action économique, sont plus souvent ouvertes à la recomposition des modes d’action politique et économique.
Une analyse fine des dispositifs dits d’ « accompagnement » nous montrerait les enjeux de cette intégration des démarches d’action. Ces dispositifs sont nombreux et sont souvent indissociables des initiatives auxquelles, d’un certain point de vue, ils donnent naissance, puisque cette naissance est souvent conditionnée par l’inscription dans un dispositif d’accompagnement qui est aussi un dispositif essentiel de financement de l’initiative.
Dans l’optique définie par la problématique présentée ci-dessus, il faudrait analyser les dispositifs d’accompagnement des projets présentés comme relevant de l’ESS. Parmi ceux-ci il faudrait donc en premier lieu s’interroger sur les dispositifs FIDESS et les DLA (dispositif local d’accompagnement). Il faudrait aussi analyser ceux conçus en direction des jeunes, de type CLAP –Comités Locaux d’Aide au Projet-, par exemple ; mais aussi les dispositifs d’espace de projets innovants, développés par exemple dans les universités du Nord de France avec le soutien de la Région et appelés HubHouses. Une enquête en cours sur ces dispositifs nous montre le risque qui pèse sur les acteurs, tant les porteurs de projets que les « accompagnateurs » de voir la mise en œuvre de ces programmes d’appui se resserrer sur une vision restrictive de l’économique, ne serait-ce que par une finalisation économique précipitée et exclusivement exprimée en « issues positives » réduites à l’accès à l’emploi.

Le sens d’un nouveau type d’appui à l’entreprendre en communs
Il ressort de cette architecture de création économico politique « en communs » que les appuis collectifs, pris en charge par des acteurs publics ou privés, sont alors globalement d’un autre type que ceux requis par la création d’entreprises marchandes ordinaires.
L’appui doit permettre d’expliciter les différents niveaux de créativité qui s’expriment et qui requièrent des aides spécifiques. Il n’est pas incompatible avec la réutilisation adaptée de certaines séquences d’aides et de certains outils de l’entrepreneuriat ordinaire. Mais il ne peut s’y réduire.
Les collectifs porteurs d’initiatives en communs mettent en avant des dispositifs dits d’accélération de projets pour permettre la maturation et la multiplication des projets. Les premières propositions en la matière sont bien le symptôme de ce que requière la créativité collective en communs. Mais, faute d’expliciter ces différents niveaux de création, celui du commun lui-même et celui des activités économiques induites, elles risquent de ne pas se démarquer de l’entrepreneuriat. L’appui proposé se réduira alors à l’incubation d’un projet réduit à une idée de produit ou de service, qui devra trouver ses formes adaptées de rémunération marchande. Ce modèle de l’incubation demeure cependant pertinent si on s’en sert pour concevoir et optimiser certaines activités, mais en relation à un modèle d’aide à la conception d’ensemble d’un écosystème économico politique.
Ce nouveau modèle d’appui, alternatif à celui de l’entrepreneuriat, je propose de le dénommer « catalyse ». Et, il faudra alors en spécifier les dispositifs d’aide qui le constitueraient. Ces aides recouvriraient l’ensemble du spectre de l’aide à la création d’activités que constitue l’entrepreneuriat. Pour une part elles pourraient être communes aux deux modèles, même si elles interviennent dans des logiques et à des moments différents de l’action des porteurs d’initiatives et de projets. Il en est ainsi de certains dispositifs d’incubation dans la mesure où ils permettraient de faciliter la création de certaines activités induites s’exprimant dans des logiques d’économie marchande.
Ainsi, il ne saurait être question de rejeter en bloc les logiques de l’entrepreneuriat. D’ailleurs, en elles-mêmes, et dans la mesure où la création d’entreprise est aussi et toujours une recherche des points creux et des points de rupture dans les modèles économiques précédents, les logiques de l’entrepreneuriat sont déjà porteuses d’une certaine alternative ; les travaux de Zalio (2009) le montrent aisément. De la même façon, les travaux d’ Hélène Vérin (1982) sur l’origine du mot entreprise, et bien d’autres attachés à analyser d’autres formes d’entreprises que celles strictement capitalistes, nous montrent que l’entrepreneuriat pourrait être réinterprété pour le rendre compatible avec une logique de création en communs.
Il n’en demeure pas moins que l’entrepreneuriat a acquis un tout autre statut que celui d’une neutralité axiologique quand bien même il se présente comme simple appui technique à une création d’activités et quand bien même il se présente comme social. Il importe donc de marquer la différence. Ce qui est à construire comme logique et dispositif d’appui à une forme d’entreprendre en communs suppose de s’interroger simultanément et complémentairement sur la convergence des dispositifs d’appui à la viabilisation économique avec ceux de la délibération et de la participation démocratique ; ainsi que de leur mobilisation sélective au sein d’une nouvelle architecture d’action publique ou d’action privée mais appuyée sur un encadrement institutionnel public.

Conclusion

Cette logique d’appui à la créativité économique citoyenne demeure à élaborer. Il s’agit d’abord de capitaliser et critiquer les formes qui émergent des expérimentations en la matière. Aux différentes propositions d’aides à l’incubation de projets de création d’activités et d’entreprises marchandes, y compris d’entreprises marchandes à finalités sociales, pourraient alors s’ajouter des propositions d’aides à la catalyse de projets de communs et d’écosystèmes économico politiques d’activités induites dans une logique de communs.

Bibliographie

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Flahaut F. (2008), « Les biens communs vécus, une finalité non utilitaire », Développement durable et territoires [En ligne], Dossier 10, mis en ligne le 07 mars 2008, http://developpementdurable.revues.org/5173 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.5173

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Fraser N. (2005), Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte.

Hély M. (2009), Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF.

Laville J-L. (2010, Politique de l’association, Paris, Seuil.

Moulier Boutang Y. (2007), Le capitalisme cognitif, la nouvelle grande transformation, Paris,
Editions Amsterdam.

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Ostrom E. (1986), “Issues of definition and Theory: Somme Conclusions and Hypothesis”, National Research Council, p.597-614.

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Rifkin J. (2014), The zero marginal cost society, New York, Palgrave Macmillan.

Sen A. (2000), Un nouveau modèle économique, Pris, Odile Jacob.

Pour poursuivre :

https://forum.lescommuns.org/t/entreprendre-en-communs/205

Vers des Assemblées et Chambres des Communs ?

« Construire dans l’action l’assemblée des communs (Lille/Hauts de France) », c’est ainsi que se dénomme une initiative d’acteurs sociaux du Nord de la France, en fin 2015. Depuis lors, cette initiative a été reprise par plusieurs villes et régions au point que plusieurs sites sont venus rejoindre ceux créés tout d’abord à partir de l’expérience lilloise. Les groupes « Facebook », « Assemblées des Communs de Lille », puis « Assemblées des Communs Francophones », restituent une expérience de plus d’un an déjà. Ainsi, le 23 juin 2016 s’est tenue à Lille, la neuvième Assemblée, en un an d’existence.
L’idée de départ de cette initiative lilloise est la reprise dans le milieu des tiers lieux lillois d’un début de définition donnée par Michel Bauwens au titre de la « Peer to Peer Foundation » qu’il a créée depuis quelques années. Dans le « wiki » porté par la plateforme développée par cette P2P Foundation, l’assemblée des communs est ainsi définie1 :
« Les assemblées sont constituées à l’échelle locale des « porteurs de communs » que sont par exemple les tiers-lieux, ainsi que d’autres projets alternatifs, solidaires… »
Elles se donnent comme objectif :
De répertorier et diffuser les actions liées aux communs, d’aider à mettre en lien les communs, etc…
De gérer la relation aux collectivités et institutions pour définir au cas par cas le cadre de ses actions et des actions de la collectivité (sur la réappropriation de l’espace public par exemple). L’enjeu étant de faire respecter le pacte démocratique.
De coordonner et populariser l’accès, la défense contre les enclosures et le développement des communs sur leur territoire, en élaborant puis en faisant vivre démocratiquement une charte sociale des communs…
De donner des avis sur les communs qu’elle protège et de tracer les choix des élus politiques qui ont signé le pacte démocratique.
D’animer le débat sur les questions des communs, d’organiser des événements et rencontres sur le sujet qui la concerne.
De faire le lien avec la Chambre des Communs qui organise les activités économiques autour des communs. Cette chambre permet d’établir une relation coopérative gagnant – gagnant. Pour cela, elle demande aux acteurs économiques de participer à la rémunération des communs en contrepartie de l’utilisation des ressources et savoirs partagés issus des communs
II faut légitimer cette assemblée et lui donnant un cadre et des missions claires et en les intégrant dans un nouveau pacte signé par les élus. Chaque assemblée pourrait commencer par un acte un peu symbolique d’assemblée constituante, en charge de :
Définir sa gouvernance
Définir son rôle et les limites de ce rôle (Communs de la connaissance (éducation, culture), Communs des ressources naturelles (agriculture, écologie, énergie), Communs de l’espace public et la mobilité (urbanisme, ruralité, etc…), Communs de la santé et du bien-vivre (intergénérationnel, accès aux soins, …)…
Ecrire une sorte de texte fondateur) : repartir de l’exemple en Italie avec la charte des communs urbains et la charte autour de la santé
Depuis 2015, des assemblées des communs commencent à se constituer sur les territoires francophones :
Site francophone : https://assemblee.lescommuns.org/
Wiki francophone : http://assemblee.encommuns.org/

La dynamique créée autour de cette première assemblée, puis de celles créées en France, est manifeste.
Les réunions se tiennent sous la forme d’une assemblée plénière qui fait le point sur les « communs » représentés, puis sur l’actualité des événements cadrant avec cette logique d’action et de mobilisation. Ensuite, s’ouvre une session faite d’ateliers tenus en parallèle sur les différentes thématiques permettant de faire avancer chacun des communs dans leur construction et leur institution, et l’ensemble du mouvement de fédération et d’institution des communs, par exemple un atelier sur le « code social » de l’assemblée des communs.

En fait, comme le précisent les acteurs investis dans ce projet d’assemblée des communs (cf. les sites et pages Facebook qui en rendent compte), il faut considérer que, dans le contexte lillois mais aussi dans les autres expériences françaises, il s’agit davantage d’une assemblée de préfiguration de ce que pourrait être une assemblée des communs. Et, c’est bien normal au vu de la nouveauté des communs construits et de la réalité des communautés supposées correspondre à ces communs.
Il s’agit plutôt d’un groupe projet, certes composée d’innovateurs constructeurs de communs, mais principalement et, peut-être transitoirement, dans une posture de techniciens en développement de projets et d’outils d’accompagnement de ce que pourrait être une assemblée des communs.
Sur base d’un compromis politique assez flou et mal défini, les premières tâches entreprises sont essentiellement tournées vers la conception d’une infrastructure technique de la part de personnes maitrisant les technologies web open source.
La conception du cadre politique et son infrastructure de gouvernance démocratique n’est pas encore véritablement posée, dans les termes d’une assemblée constituante.
Les outils présentés comme initiant un début de construction de modalités de gouvernance sont davantage des outils de gestion de projet. C’est le cas de l’outil Loomio. Ils sont davantage des outils de conception, ou d’aide à la résolution de problèmes de conception que des supports d’une délibération démocratique qui n’est pas encore vraiment problématisée en tant que telle. Une gouvernance démocratique qui garantisse la libre expression de tous et la décision démocratique peut-elle se réduire à un assemblage d’outils, de plus s’interfaçant quasiment automatiquement ? Le fait que ces outils soient développés en open source ne change rien à l’affaire. Une gouvernance démocratique peut-elle se dispenser de la délibération au sein d’une communauté dont la composition suppose d’être réfléchie et légitimée, et de dispositifs de délibération qui permettent le travail d’argumentation et de décision, éventuellement en différé et en assemblée virtuelle dans certains cas, mais aussi en direct.
Cette possible confusion entre outils de conception de projet et outils de délibération démocratique entraine des ambiguïtés dans le développement des plateformes censées être des supports à la « publicité » et au développement des assemblées des communs. Elle risque de faire passer les considérations techniques avant les besoins de conception des modalités de délibération et décision démocratiques. Ces modalités passent par la définition d’un cadre et d’une ligne éditoriale qui garantisse le sens d’une gouvernance qui ne se réduise pas à un pilotage technique aux mains de spécialistes.
Dans un tel cadre les questions qu’une gouvernance qui se veut démocratique oblige à se poser portent davantage sur les conditions de la participation des communs à l’Assemblée, pour quelle délibération démocratique : quels communs sont-ils représentés, par qui et au terme de quelle discussion interne aux communs, par quels dispositifs délibératifs, argumentatifs, décisionnels, la gouvernance s’exerce-t-elle ?
Toutes ces questions sont abordées lors de ces assemblées ou dans les différents débats portés par les sites et leurs pages « wiki ». Il en est ainsi par exemple de la question du « pacte démocratique » que suppose ne fédération des assemblées des communs pour les rédacteurs mobilisés par cette perspective.
Mais si une dynamique semble s’affirmer quels en seront les débouchés, notamment en lien avec les débats qui se font jour au sein des institutions publiques et dans ce qu’exprime la crise de l’action publique.

http://wiki.lescommuns.org/wiki/Assemblée_des_Communs_de_Lille

Tiers Lieux : Espaces de travail libéré et incubateurs en communs

Introduction

Le phénomène « Tiers Lieux » est d’abord une multiplication d’espaces nés à l’initiative d’acteurs privés, de collectifs. Créés comme espaces, dits, de coworking, friches culturelles reconverties en espaces de création artistique ou lieux d’initiatives solidaires et citoyennes, ils rallient à leur dynamique naissante des lieux qui par-delà les activités qu’ils développent se veulent porteurs d’une alternative sociale.
Un tiers lieu n’est ni un espace initié par une institution publique, ni un espace de travail privé, dans une logique de service marchand (Oldenbourg, 1999). Dès le départ, c’est un espace conçu comme partagé par des personnes louant, selon différentes modalités, une « place », pour y travailler « seul/ensemble ». En observant ces lieux, on ne peut cependant les réduire à une simple juxtaposition de places de travail occupées par des travailleurs indépendants, les « solos » dont nous parlaient les premiers récits d’enquête sur le coworking. Travail et activités, menés individuellement et collectivement, présentent des liens plus complexes que le laissent penser les premières définitions.
Les tiers lieux sont apparus comme des espaces de travail partagés entre des personnes travaillant seuls, ne souhaitant ou ne pouvant travailler chez eux. Le lieu partagé doit alors leur offrir une place de travail ainsi que des moyens et services difficiles à se procurer seul (une liaison Internet gros débit, des services de reproduction, des conseils liés à leur activité). Les motivations des créateurs et utilisateurs sont alors proches de celles conduisant des salariés à recourir au télétravail. Ces situations de travail ne sont pas non plus totalement étrangères à celles qui conduisent certaines entreprises – de conseil notamment- ainsi que certaines activités – de consultant en particulier-, de recourir transitoirement ou durablement à des espaces qualifiés de « centres d’affaires ».
Pour ceux parmi les acteurs sociaux ayant une claire vision des activités sur lesquelles baser leur insertion professionnelle ou leur projet de création d’activités, ces lieux rompent l’isolement et peuvent initier des collaborations en lien avec leurs activités.
Pour les autres, en recherche de ce que pourrait être leur parcours professionnel dans une expérience de vie en pleine réflexion, c’est souvent l’accès à une communauté de pratiques, souvent autour des potentialités du Numérique qui sert de déclencheur. Privilégiant les activités en lien avec l’Internet, nous retrouverions certaines proximités de ces tiers lieux avec les « cyber centres » et autres lieux dédiés aux technologies numériques développés par les pouvoirs publics pour se garantir de la fracture numérique et amener dans les quartiers la pratique de l’outil numérique. Plus récemment, se sont développés, des lieux d’expérience collective du « faire » ; ce que les USA ont d’abord testés au titre du mouvement des « Makers » (Anderson, 2013). Il s’agit alors de lieux dédiés à fabrication, la réparation et aux processus de formation par la pédagogie du « DIY » (Do It Yourself). Ces lieux s’inspirent souvent du mouvement des « FabLabs », issu de l’expérience du MIT, et autour de l’impression 3D. Ils sont souvent associés au développement de logiciels en Open Source. De la même façon, se créent des lieux associant plusieurs activités, mais centrés sur un espace de restauration ouvert à des activités associatives, culturelles, etc. Ces espaces commencent à former un type générique de « café-citoyen ». On pourrait évoquer aussi d’autres lieux ouverts à des activités partagées ou faisant du partage le ressort de leur développement, sous le nom de « ressourceries », de « conciergeries de quartier », etc. Les projets de création de tels lieux se multiplient désormais dans les agglomérations, les petites aussi, après que les grandes les aient vu fleurir.

1. Tiers Lieux et transformations des rapports de travail
Chacun de ces types d’espaces mériterait d’être analysé dans ses spécificités et ses originalités. Tous, au travers les représentations que s’en font leurs promoteurs et développeurs, ne relèvent pas totalement d’une dynamique commune de développement et de reconnaissance réciproque par les utilisateurs, les populations concernées et les institutions publiques qui sont souvent amenées à les soutenir.
Les premières analyses tirées de l’observation des pratiques des acteurs dans ces lieux ont souligné plusieurs aspects. Le premier est bien évidemment celui des rapports tout à fait particuliers, au travail mais aussi ceux liant activités de travail et engagements personnels, que manifestent, dans ces lieux, les « coworkers » et autres occupant de ces lieux alternatifs. L’accent est alors mis sur les particularités des interactions sociales qui s’y développent (Azam et al., 2015, p.88). Les analyses restituent alors des processus concrets permettant la construction ou le renforcement des collectifs ou communautés à l’initiative de ces lieux. Le lieu lui-même est alors présenté comme lieu tiers dans la relation (idem, p.92), tout à la fois dans le rôle ou la fonction clef de « prétexte », ou de catalyseur des séquences de cette construction (idem, p.89). Ces processus d’interaction sont aussi des moments forts d’identification. De nombreux travaux, ceux des sociologues de l’école de Chicago notamment, ont bien montré l’importance de l’appropriation des lieux dans la construction d’une identité commune, en particulier lorsque ces lieux apparaissent aux acteurs comme des appuis pour le contrôle d’un contexte qui les fait se prémunir d’un environnement perçu comme hostile tout en leur permettant de construire un sens partagé (White, 2011, p.43, cité par Azam et al., 2015, p.94). Nous verrons plus loin que cette construction d’une identité partagée coïncide ici à la construction simultanée de fortes singularités individuelles.
Poussant plus avant l’analyse, certains ont tenté de caractériser en quoi ces lieux pouvaient être envisagés comme des « laboratoires du changement social » (Berrebi-Hoffmann et al., 2015). Le changement que ces lieux incarnent et permettent est alors qualifié d’ « invention d’un nouveau monde » ; invention elle-même présentée comme la manifestation de cet essor de la société en réseau théorisée par Manuel Castells dès 1996. Pour ce dernier, ce qui s’opère c’est bien « l’épuisement des modèles organisationnels fondés sur les principes de hiérarchie au profit de formes de coopérations horizontales, promotion du travail en réseau et de la production flexible, développement de cités informationnelles et de communautés virtuelles » (idem, p.1).
Deux aspects méritent un examen plus approfondi des dispositifs d’action collective permettra de préciser. Le premier est la manifestation d’un fait générationnel que certains qualifient d’émergence des Millenials ou de génération Next, de Digital Natives, de génération Y ou d’Igeneration, celles et ceux nés après 1995 (idem, p.10). Second aspect, cette dynamique de changement impulsée par cette génération est avant tout une exploration de ce qui peut faire « commun » entre les acteurs impliqués et engagés dans ces lieux. Cette réflexion ouvre un horizon d’analyses futures dans la mesure où cette perspective du commun se centre sur les modalités concrètes d’une gouvernance partagée qui obligent à préciser des règles d’usage et des attributs de droit de propriété. Cela place les processus de discussion construction du commun dans un mode d’argumentation et de délibération sur des règles partagées plutôt que sur des caractéristiques intrinsèques du bien (Berrebi-Hoffmann et al., 2015, p.8).
Une enquête menée auprès des acteurs porteurs de tiers lieux en gestation nous permet d’approfondir ces premières interrogations. Le collectif « Catalyst », composé d’une vingtaine d’acteurs promoteurs des premiers tiers lieux créés dans l’agglomération lilloise, est l’animateur d’une action de soutien à la création de tiers lieux. Cette action consiste en l’organisation d’événements appelés « Meet Up Tiers Lieux », quatre fois par an depuis 2014. Ces événements prennent la forme de réunions de travail réunissant à chaque fois une trentaine de personnes. Les projets potentiels de tiers lieu étant repérés par contacts individuels ou lors d’ « Apéro Catalyst » tenus régulièrement dans l’un ou l ‘autre tiers lieu du Nord de la France, il est proposé à leurs instigateurs d’en faire la présentation et se soumettre le projet à la discussion des pairs ou de tout autre personne intéressée par ce type d’initiative. Nous verrons plus loin que l’organisation du travail de réflexion collective sur les projets des uns et des autres, menée par des méthodes dites d’intelligence collective, est un élément décisif de ce type de mobilisation. Les porteurs de projet font état de leurs avancées, de leurs choix d’activités et d’organisation de ces activités, de leurs questions, etc. Certains points clés de ces projets sont alors abordés lors d’ateliers qui se tiennent dans la continuité de ces présentations. De l’observation participante, lors de ces événements, il ressort plusieurs enseignements. Tout d’abord, l’idée du lieu, la première conception de ce qu’il pourrait être, des activités qu’il pourrait permettre et le choix de la localisation apparaissent dans tous les cas dépendantes de la formation préalable d’un groupe de personnes formant une communauté plus ou moins intégrée. Il faut reconnaître ici que l’opportunité de se soumettre à la discussion et le soutien apporté par le collectif Catalyst, à travers ces événements Meet Up oriente dans une certaine mesure la présentation du projet et l’importance donnée à sa communauté initiatrice. Mais les cas présentés et discutés lors de ces réunions montrent des dynamiques d’initiation et des initiateurs plus diversifiés que ce simple modèle de la communauté d’acteurs telle que caractérisée précédemment. Plusieurs dynamiques différenciées co existent. Dans plusieurs cas le lieu potentiel préexiste à la constitution d’une communauté mobilisée ; ou plus exactement, la communauté se constitue dans la découverte partagée des potentialités d’un lieu. Ces situations sont bien connues dans le cas du mouvement d’occupation des friches urbaines. Cette dynamique ne fait alors que reprendre des processus de mobilisation, expérimentation, occupation des friches culturelles initiées au cours des années «80 » et « 90 » (Lextrait, 2005).
L’organisation de la réflexion collective sur les projets des uns et des autres, menée par des méthodes dites d’intelligence collective, est un élément décisif de ce type de mobilisation. Un vocabulaire s’invente pour caractériser ces pratiques (par exemple « Sprint », ou « Minga » lorsqu’il s’agit de travailler collectivement sur les projets individuels).
Une autre question est celle des choix dans les modalités de gouvernance interne de ces lieux. Plusieurs logiques s’expérimentent. Certains lieux adoptent le modèle de l’association, parfois celles des nouvelles structures portées par l’ESS, les SCOP ou plus récemment les SCIC. D’autres expérimentent des modes de décision recourant à des outils, souvent des logiciels libres, par exemple le système Loomio.
Dans tous les cas, des questions se posent quant aux rapports établis entre les modalités de la gouvernance du lieu avec celles de chacune des activités développées par les porteurs de projets hébergés. Ces questions ne trouvent pas toujours des réponses et même ne sont pas toutes explicitées. Elles peuvent alors être réduites à l’application des seuls modèles organisationnels et décisionnels qui font aujourd’hui déjà l’objet d’un outillage méthodologique.
Un lien est à établir entre cette diversité de modalités d’action, d’organisation et de gouvernance et les positions ou postures de ceux qui en sont les initiateurs, les protagonistes engagés et les utilisateurs à leur différent degré d’implication. Mais l’apparente unité des éléments de langage qui semble présider aux débats masque des pratiques professionnelles et des comportements politiques notablement différents.
Dans cette perspective de transformation sociale que présentent les lieux dont les animateurs se revendiquent du « mouvement » des tiers lieux, deux aspects pourtant fondamentaux mais peu souvent mis en avant doivent être évoqués.
Deux autres dynamiques sont également représentées lors de ces « Meet Up ». D’une part, des initiatives, tout autant privées, mais totalement individuelles dans un premier temps. Des particuliers font état de la disponibilité de locaux dans lesquels ils ne souhaitent pas développer des activités seuls mais en lien avec d’autres personnes qu’ils s’efforcent de rassembler autour d’eux, sans que cela s’opèrent dans le cadre de relation salariale, commerciale ou de la constitution d’une entreprise ordinaire. Ils espèrent alors que la communauté rassemblée lors de ces réunions Meet Up leur facilite la rencontre de co-porteurs d’un projet que les initiateurs isolés veulent rendre collectif. Cette logique d’action traite d’une façon originale une question que se posent les initiateurs de lieux, les communautés toutes constituées comme les porteurs de projet de lieu plus individuels, qui est celle de la garantie de la pérennité du lieu par le recours à une location mais avec un bail suffisamment long ou par l’achat de ce même lieu. Dans les deux cas, cette question fait l’objet d’intenses discussions et d’une recherche de solutions qui soient compatibles avec les finalités et les possibilités des acteurs engagés et donc autre que l’éventuel recours à un opérateur individuel, acheteur ou locataire unique. Dans tous les cas, les opérateurs de la finance solidaire sont des partenaires sollicités lors de ces assemblées.
Une autre dynamique commence à se faire jour. Elle met au premier rang de l’initiative des élus locaux soucieux de voir de tels lieux se développer dans leur collectivité territoriale. Certes, ces élus locaux, présents aux Meet Up font état de l’existence d’une demande qui leur semble émaner d’acteurs de leur territoire. Mais, ils envisagent d’y répondre en empruntant d’autres chemins que les processus de l’action publique de création d’espaces spécialisés ; que ce soient par exemple des médiathèques, des Cybercentres et autres espaces dédiés au Numérique.

2. Les lieux d’un « entreprendre en communs »
Les processus d’incubation opérant dans ces lieux renouvellent les logiques de l’ « entreprendre ». Ces logiques doivent être envisagées sous l’angle de la transformation des individus qui s’y engagent et construisent leur singularité personnelle (Martucelli, 2010). Elles doivent tout autant l’être sous l’angle de la dynamique des projets individuels et collectifs de création d’activités qui s’y révèlent.
Les tiers lieux sont des lieux importants de prise d’initiatives. La notion d’initiative, surtout celle visant la création d’activité et plus encore d’entreprise, est souvent perçue comme un parcours individuel. Ainsi les dispositifs institutionnalisés d’appuis sont mobilisés en soutien aux individus. Mais, ces tiers lieux nous montrent que ces individualités sont indissociables des collectifs dont elles sont membres. Elles sont tout autant construites par ces collectifs qu’elles ne les construisent. Pour comprendre les logiques d’incubation et de création d’activités dans ces contextes, il faut déporter l’analyse de la seule prise en compte des projets, vers la dynamique projective des collectifs. Il ne s’agit pas de considérer qu’il n’y a de projets que collectifs ; parce que, paradoxalement, les individualités singulières au sein des collectifs sont des acteurs projets, des leurs, de ceux des autres, de ceux aussi non encore appropriés (Burret, 2015).
Les méthodes de création et d’élaboration collectives sont mises en avant, souvent plus encore que les projets eux-mêmes. Le travail collaboratif sur les usages susceptibles de faire l’objet de création peut changer et être orienté vers d’autres projets, menés personnellement mais aussi collectivement, tant ce qui est privilégié c’est la dynamique collective porteuse de réalisations singulières pour les individus rassemblés en collectifs. Le modèle de travail mis en avant est celui de la contribution. C’est à cette aune que s’expérimentent de nouvelles formes d’évaluation des contributions au développement des projets et leurs rémunérations. C’est aussi au travers de ce prisme que seront recherchés les éléments permettant la viabilité économique des projets de nouveaux usages élaborés. D’autres tensions pourront apparaître à ce niveau lorsque différentes logiques de valorisation seront mobilisées. Une référence à l’économie contributive ou collaborative, commune, mais peu explicitée en termes de logiques de valorisation, pourra masquer des économies politiques distinctes. Le recours à la terminologie de l’ « entrepreneuriat social » ne les explicitera pas davantage. Seule la référence explicite et instruite à un entreprendre en communs, pour balbutiant qu’il soit, fera une différence nette.
Lorsque ces caractéristiques sont actives, les tiers lieux concernés forment autant de points d’appuis à un nouvel « entreprendre » qui impacte autant les acteurs porteurs de ces projets que les usagers ciblés. On comprend alors que ces lieux soient à la recherche de nouvelles formes de capitalisation des expériences et sollicitent les acteurs publics pour que soient inventés les appuis institutionnels à ces processus qui circonscrivent un nouvel entreprendre en communs. C’est l’un des thèmes majeurs sur lequel s’opère le rapprochement avec les organisations constitutives du mouvement de l’économie sociale et solidaire -l’ESS-, ne serait-ce que pour solliciter de façon concertée les institutions publiques, les collectivités territoriales en tout premier lieu.

3. Les tiers lieux, constitutifs d’un espace public alternatif ?
Déjà, au regard de leurs processus d’incubation, les tiers lieux sont des supports de socialisation. Ce sont aussi des plateformes permettant le développement d’un capital informationnel pour leurs usagers (Burret, 2016). Mais, plus encore que le développement d’espaces de socialisation, la mise en réseaux des tiers lieux ne traduit-elle pas l’émergence d’un sous espace public spécifique ?
Cette mise en réseaux participe-t-elle d’un espace public au sens d’un contexte de légitimation politique, d’une communauté politique et d’une scène d’appui du politique ? Plus précisément, il s’agirait d’un espace public oppositionnel et d’un sous espace public dominé (Fraser, 1992). Définir un tel espace, c’est définir un agir en communs fait de modalités d’action collective et de pratiques de citoyenneté économique en cohérence. Cette exploration d’un sous espace public dominé est aussi l’investigation d’une communauté d’acteurs, porteurs, fédérateurs de projets. Ces acteurs se positionnent en représentants et porte-parole de groupes sociaux locaux. Mais ces derniers ne s’identifient pas forcément et, à coup sûr, immédiatement comme acteurs collectifs, et n’ont pas le niveau d’engagement collectif et de mobilisation que les porteurs de projet laissent parfois entendre. Cet agir collectif en communs est potentiellement celui d’une collection d’individualités qui présentent des caractéristiques objectives et de représentation similaires, mais aussi beaucoup de différences. Leur commun est de partager ce sous espace public, fait de lieux et de liens ; des lieux dédiés aux relations (réunions, ateliers, mais aussi convivialité), des liens qui sont le partage d’actions communes, mais aussi des activités à finalité économique, des dispositifs de rémunération, également des comportements associant vie de travail et hors travail. Ces acteurs porteurs de projets, s’ils doivent être distingués des communautés locales (les habitants, citoyens, usagers des communs potentiels), n’en sont pas moins souvent aussi les habitants et usagers des mêmes espaces urbains, des mêmes quartiers. Les différences de niveau de vie entre les porteurs de projet et les habitants de référence ne sont pas si grandes. Ce qui les différencie relève davantage des parcours socio-scolaires et des trajectoires sociales. Nous faisons ici, concernant les acteurs porteurs et accompagnateurs de projets, l’hypothèse de parcours de déclassement social, ou, tout au moins, de moindre positionnement social, comme base de leurs positions et postures sociales. L’analyse de cet agir en communs est tout autant celle de leurs positions et postures que celle de leurs actions au nom de communautés qu’ils disent représenter. Cependant, s’il y a décalage dans les capacités d’action au sein du sous espace dominé qu’ils façonnent et, de façon plus difficile, dans l’espace public dominant, l’avenir de leurs positions est pourtant lié à celui des groupes qu’ils représentent. C’est tout l’enjeu social et politique que pourrait représenter le développement des tiers lieux.

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L’Espace Public de l’Agir en Communs

Introduction

Ce qu’il est convenu d’appeler les initiatives collectives, solidaires, citoyennes, se multiplient. Elles le font sous des « labels » différents faisant référence au mouvement associatif, à l’Economie Sociale et Solidaire, de plus en plus désormais en référence à la notion de commun. Elles mobilisent des personnes sur de nombreux thèmes à enjeux : l’alimentation, avec la valorisation des modes alternatifs de culture, le bio, les circuits courts ; la création d’espaces dédiés au coworking et/ou à l’accompagnement de projets solidaires ; les questions de mobilité ; les modes collaboratifs, et donc les services et connaissances partagées supportés par le Net ; la culture et les pratiques artistiques relevant de la créativité diffuse ; etc.
Elles ne se contentent pas d’émerger simultanément. Les acteurs qui en sont les porteurs les présentent souvent comme relevant d’une dynamique d’ensemble. Ils insistent alors sur une convergence, certes lente et difficile, mais bien réelle, de ces initiatives et des projets sur lesquels elles débouchent. Cette représentation d’une dynamique convergente des projets collectifs, solidaires révèle ce qui semble bien former un consensus qu’il faut interroger dans la mesure où il s’exprime et s’organise dans des logiques différentes.
Ces initiatives portent sur des objets, des contenus en usages collectifs ou services, différents. Elles se développent par des processus d’action eux-mêmes différenciés. La plus part s’appuient sur des dispositifs, publics et privés, qui les « aident », les « accompagnent », plus ou moins intensément et sur des durées plus ou moins longues. Ces initiatives s’inscrivent, ou se font inscrire, dans des problématiques, mais surtout dans des « labellisations de projet », que ce soit sous la référence de l’économie sociale et solidaire (ESS), sous celle de l’innovation numérique et de l’innovation sociale, sous celles également des économies collaborative, du partage, etc., sous celle des communs. Les acteurs, porteurs de projets eux-mêmes, perçoivent ces différences, sans forcément les renvoyer à des inscriptions différentes dans les courants idéologico politiques antérieurs, ni les expliciter en termes de contextes socio-économiques spécifiques. Mais, tout à la fois, ils se reconnaissent comme relevant, globalement, de la même dynamique d’ensemble et sont réticents face à cette potentialité de convergence des initiatives. Sans que nous puissions ici développer ce point, d’autres contextes nationaux européens nous montreraient vraisemblablement d’autres trajectoires de fédération des projets et de convergence des mouvements, se donnant y compris une expression politique directe, ce qui ne se fait pas en France.
Comment envisager ces initiatives comme un ensemble tout en les discriminant pour en comprendre les potentialités et les limites, ne serait-ce que du point de vue des processus de mutualisation et de coopération que les acteurs sociaux revendiquent ? Qu’ont-elles donc en commun ? Comment se différencient-elles ?

1. Des initiatives en communs
Pour commencer à répondre à ces questions, nous faisons ici plusieurs propositions.
Chacune des problématiques dans lesquelles s’inscrivent ces initiatives développe sa propre argumentation. Chacune s’inscrit dans une (ou des) histoire(s) socio politiques. Chacune se réfère à une logique de valorisation économique. Et, selon la « publicité », c’est-à-dire la visibilité donnée sur l’espace public, à chacune d’entre elles, ces initiatives sont affichées et évaluées du point de vue de ces argumentaires spécifiques. Les colloques, les forums, etc., les supports de présentation et les plateformes numériques, les recensent, les promeuvent, tout en les classant selon des critères de contenus des activités proposées, parfois selon leurs modes spécifiques de gouvernance. Certaines de ces initiatives font l’objet d’une publicité commune sur les plateformes de l’ESS, ou celles développés au titre de la promotion de l’innovation sociale, de l’innovation numérique ou de l’économie du partage ou de la collaboration. Les communautés se réclamant plus directement des « communs » les intégreront dans les plateformes numériques, en communs.
Ainsi, ces initiatives sont largement indissociables des courants qui les portent. L’analyse qui peut en être faite est, elle aussi, indissociable de celle du développement et de l’évolution de ces courants. Souvent, les acteurs clés des collectifs et organisations qui incarnent ces courants, sont aussi les porteurs des principales initiatives que ces courants revendiquent. Aussi est-il illusoire d’analyser ces initiatives, au travers des habituelles monographies d’expériences par exemple, sans positionner respectivement les différents courants qui les portent dans un espace qui les allient, les associent, parfois les opposent, mais toujours les mettent en relation.
Les projets portés en communs connaissent aujourd’hui un certain succès. L’ampleur de la mobilisation sociale, citoyenne, que cela représente demeure une interrogation. Leur nouveauté fait qu’il est davantage question d’affichage de projets que de mesure de niveaux d’appartenance et d’engagement ainsi que d’analyse de pratiques réelles, de gouvernance par exemple. On pourrait énumérer les événements, les organisations émergentes qui y font référence et qui commencent à y puiser leur référentiel d’action. Les acteurs se mettent en réseaux. Ils commencent à rechercher le dialogue et un début de négociation avec les institutions publiques. Ils le font désormais à tous les niveaux de ces institutions ; que ce soit celui des collectivités territoriales, celui des institutions nationales et même celui des institutions européennes. Les chercheurs, quant à eux, n’ont pas attendu la dynamique récente donnée à l’action en communs pour s’y intéresser. Mais, il faut bien le souligner, il a fallu qu’Elinor Ostrom obtienne le prix Nobel d’économie pour que cette thématique commence à être reconnue dans le champ académique. Mais, de fait, la sphère médiatique en parle. La notoriété des projets en communs est élevée dans certains milieux et auprès de certaines catégories sociales, les jeunes diplômés notamment. Mais, ils sont loin de représenter un véritable mouvement engageant des couches sociales défavorisées souvent visées par ces initiatives. La dynamique d’action collective qui commence à se faire sentir reste d’autant plus faible qu’elle demeure largement étrangère aux mobilisations et mouvements sociaux qui l’ont précédée. Cela n’empêche pas que les acteurs focalisés sur des projets en communs, c’est-à-dire prenant la notion de commun comme finalité de leur action, parlent d’un mouvement des communs, voire d’une politique des communs ou du commun. Nous les retrouverons mobilisés pour la configuration d’une « assemblée des communs ». Mais, pour beaucoup d’entre eux, cette mobilisation pour les communs, ou pour une action politique en communs, ils l’envisagent qu’à partir d’un espace politique qu’ils considèrent comme vierge d’interactions et de mobilisations sociales antérieures, plus ou moins structurées en milieux, courants et organisations. Nos enquêtes et nos observations participantes nous le montrent, peu y font référence, peu tentent d’y rattacher leur propre mobilisation. Pour beaucoup, il s’agit d’une première expérience en matière d’action collective et de pratiques de mobilisation citoyenne et politique. De fait, les mobilisations en communs qui s’amorcent se trouvent très vite face à la nécessité d’engager un dialogue et des négociations dans la sphère publique avec les représentants des institutions publiques. Leurs acteurs porteurs ne peuvent alors le faire qu’en partageant ce dialogue et les dispositifs de concertation/négociation avec les représentants des courants proches, ceux du mouvement associatif, de l’ESS, ceux, dits, de l’entrepreneuriat social, notamment. On comprend mieux alors le recours qui commence à se faire à la notion d’  « innovation sociale », si on la resitue dans la perspective de cette alliance pour peser sur l’espace public et, éventuellement, circonscrire ce qui pourrait être considéré comme un sous espace public partiel et dominé.
Et, c’est bien la notion d’espace public qui nous semble la plus adaptée pour rendre compte des dynamiques socio politiques à l’œuvre dans les processus d’organisation, de mutualisation/coopération et d’institutionnalisation qui animent le développement et la fédération de ces initiatives. Mais cette approche en termes d’espace public ne peut se contenter d’envisager la configuration des courants socio politiques qui lui donne sa cohérence, son équilibre, ou qui montre les oppositions ou les conflits que le traversent ou causent sa fragmentation en sous espaces publics, plus ou moins dominants ou dominés. Envisager l’existence d’un espace public, spécifique, ou des espaces publics, est indissociable de sa composition sociale, et donc de celle des collectifs mobilisés dans les initiatives et les organisations qui donnent un sens politique à cet espace. Comprendre les mobilisations collectives à l’œuvre dans ces initiatives, en référence à la notion d’espace public, dominant, dominé, c’est en envisager les formes politiques et leurs soubassements sociologiques.
Aussi, nous faut-il faire porter simultanément notre analyse à différents niveaux : celui des initiatives de base menées par des collectifs plus ou moins ancrés dans des territoires et des terreaux socio démographiques, socio professionnels et socio politiques –Les écosystèmes comme il est désormais courant de les désigner- ; celui des mouvements qui les fédèrent ; celui, enfin, des configurations d’espaces publics où se joue le jeu de leur fédération, de leurs alliances et de leurs oppositions.
Ces interrogations, nous les approfondirons en examinant au regard de cette problématique trois types d’initiatives et de mobilisations sociales.
Le premier type rassemble les expériences de création de lieux alternatifs, dans la lignée des tiers lieux, ou lieux de création culturelle, par exemple sur bases d’anciennes friches industrielles, urbaines. Ces créations de lieux sont souvent associées à celles de plateformes numériques.
Le deuxième type d’expériences concerne les acteurs, les organisations qui les rassemblent, les dispositifs, souvent publics, qui les financent, tous mettant en œuvre des pratiques dites d’ « accompagnement » de ces initiatives qu’ils s’efforcent de calibrer en projets.
Le troisième type correspond aux configurations d’acteurs, à leurs pratiques, aux organisations qu’ils se donnent à propos de la convergence des initiatives et des projets portés dans une logique de biens communs ; et donc dans des dynamiques d’action collective exprimées en termes de communs. Nous analyserons alors l’émergence des « assemblées des communs ».
Ces trois types d’expérimentations socio politiques sont autant de domaines d’investigation d’un projet de recherche action, intitulé CREA’CIT pour Créativité Citoyenne, menée dans le cadre du programme dit Recherche-Citoyens financé par la Région Nord Pas de Calais devenue Région des « Hauts de France ».
Un tel projet vise à mieux comprendre les ressorts de ces pratiques selon les configurations d’acteurs qui s’y impliquent, et ce aux trois niveaux d’action collective envisagés plus haut : au cœur des initiatives ; au niveau des configurations d’acteurs et des organisations qui les relient, les fédèrent et les labellisent ; au niveau d’un éventuel sous espace public qui les réunit.
Les deux premiers niveaux sont des dimensions souvent abordées par la recherche, au travers des nombreuses monographies portant sur l’évaluation des expériences et des projets ainsi que sur l’analyse des réseaux d’acteurs et des organisations dédiées qui les fédèrent.
Le troisième niveau, celui de l’espace public, de l’expression des jeux politico idéologiques et des processus instituants, est moins souvent abordé. Ou, alors il l’est d’une façon générale et abstraite sans lien avec l’analyse des mobilisations concrètes et des configurations d’acteurs relevant des deux autres niveaux.

2. L’apport de la notion d’espace public : conditions de sa mise en œuvre opératoire
Ce qui nous permet d’unifier la réflexion sur les formes de mobilisation et les pratiques collectives de prise d’initiative c’est la notion d’espace public. Mais pour cela il faut en préciser l’acception.
Nous nous référons à la notion dans la mesure où, concept clé de la démocratie, elle caractérise un espace de médiation entre la société civile et les institutions constitutives de l’Etat. Cette notion doit être dégagée de toute interprétation simplificatrice l’assimilant à un ou des espace(s) physique(s), par exemple caractérisant les fonctions et usages urbains. Elle doit aussi l’être de toute acception simplificatrice identifiant un espace aux individus qui peuvent y être en interactions du fait de rapports de travail, de commerce, ou même de loisir ou de fréquentations culturelles partagées. L’espace pratiqué en commun, n’est pas celui que nous désignons par l’espace public.
Pour proposer une première définition, nous emprunterons à Eric Dacheux pour qui l’espace public est un lieu de légitimation du politique, de fondement d’une communauté politique et une scène d’apparition du politique et d’exercice de processus instituants (Dacheux, 2008).
On pourrait développer ici les analyses qui ont conduit les auteurs, Habermas en particulier, à mettre en avant cette notion en lien avec la constitution, à la fin du XVIIIème siècle, de la bourgeoisie comme classe dominante et tout à la fois garante d’un positionnement spécifique qu’elle construit en intérêt général.
La question de la composition sociale est ici déterminante. Et si l’on reprend les premiers éléments de définition en tenant compte des enjeux et des pratiques spécifiques à certaines catégories mobilisées dans des actions collectives et cherchant à les fédérer et à leur donner une dimension politique, on peut déboucher sur les propositions en termes d’espace public oppositionnel (Negt, 2007) ou de sous espaces publics dominés (Frazer, 1992).
La notion d’espace public a fait l’objet de beaucoup de discussions. La plus part ont été menées dans la perspective d’une critique mais aussi dans une perspective d’analyse et de réflexion sur l’action. Les coordinateurs de l’ouvrage collectif, « Pouvoir et légitimité : Figures de l’espace public » (Cottereau, Ladrière et al., 1992), montrent les difficultés de cet exercice de réhabilitation problématique du concept, en soulignant qu’il incorpore un idéal d’autonomie sociale et une dimension normative (p.8). Son recours n’a ainsi rien d’une posture axiologique neutre. Le concept fait sens dans la mesure où il articule « un horizon d’attentes normatives, inter subjectivement partagées » (idem, p. 8). Mais cela n’exclut pas que l’on fasse un usage descriptif du concept, ni qu’on soumette le processus d’émergence et de constitution d’un espace public spécifique et original à une description phénoménologique (idem, p.9). C’est ce qui sous-tend nos propositions ici. Il nous faudra être attentif aux effets possibles de nos propres idéaux socio politiques.
L’institution d’un espace public c’est l’émergence d’un vocabulaire et de modes argumentatifs et décisionnels spécifiques. Le tournant communicationnel a consisté à mettre l’accent sur la structure argumentative de la discussion publique. La visée pragmatiste insistera, quant à elle, sur l’agir ensemble. Mais, un espace public c’est avant tout une collectivité, une configuration de couches ou classes sociales, dans lesquelles s’enracinent des acteurs mobilisés. Ces acteurs pourront être socialement diversifiés, mais relevant de positions sociales et de postures socio politiques suffisamment proches pour permettre une prise de conscience d’eux-mêmes et une volonté de se déterminer, de se produire (et reproduire) et de se transformer, lorsque le maintien d’une posture hégémonique le rend nécessaire. Les rapports complexes entre espace public, action politique, notamment sous le thème de la liberté et des droits, et configurations sociales sont au cœur de l’analyse et des interprétations que nous opérons à propos des mobilisations à l’œuvre dans ces initiatives et des communautés et réseaux qui les fédèrent.
Dans quelle mesure une communauté participe-t-elle à l’institution d’un espace public politique, en accédant à la visibilité sur une scène publique sur laquelle les acteurs s’appréhendent les uns les autres comme égaux, libres, autonomes et solidaires dans une intersubjectivité de niveau supérieur (Cottereau, Ladrière et al., 1992, p.13) ? On voit alors que les réticences soulignées par Negt et Fraser demeurent quant à la possibilité de ceux appartenant à certaines couches sociales marginalisées d’accéder à de tels processus d’action collective potentiellement émancipateurs. Tenir compte des limites de l’action collective suppose une approche plus stratégique, envisageant des sous espaces publics dominés, quitte à les considérer comme articulés dans un espace public oppositionnel au sein duquel des couches sociales, plus avantagées en capacités d’action collective, jouent un rôle hégémonique. Cette conception de l’action politique en termes d’ « espaces publics partiels » (idem, p.16) nous fait porter notre attention, plutôt que sur les contenus substantifs en valeurs des argumentations, sur les contenus collectivement et socialement construits au cours des pratiques collectives. Cela nous met en vigilance sur les principes, les procédures d’argumentation et de décision garantissant la fondation des normes et des institutions que se donnent les acteurs. Quels en sont les acteurs clés, en situation hégémonique au sein de cet espace ?
Nous faisons ainsi l’hypothèse d’un sous espace public dominé, ou espace public partiel, au sein duquel des acteurs, représentant de couches sociales spécifiques, jouent un rôle moteur dans ces processus d’action. Ces acteurs, nous les retrouvons mobilisés adoptant des formes spécifiques d’actions collectives que sont les initiatives solidaires, de plus en plus exprimées spécifiquement en termes de communs. Une étude systématique de ces profils et parcours de « commoners » serait à faire. Des enquêtes sont cependant en cours qui précisent les premières analyses réalisées dans le cadre de la recherche action menée au titre du projet CREA’CIT.
Nous avons identifié deux composantes principales formant ces communautés et collectifs de commoners. La première composante est le fait d’individus, plutôt jeunes, autant hommes que femmes –La parité dans les modes d’action et de gouvernance n’a pas besoin d’être revendiquée, elle est souvent de fait-. La plus part du temps ils sont diplômés de l’enseignement supérieur, la norme est ici le Master, en particulier ceux produits récemment par l’université française. Peu d’entre eux (elles) sortent de filières caractéristiques de l’élite française, les grandes écoles (d’ingénieurs et de commerce).Leur engagement pour les communs ne s’opère pas tout à fait au sortir des parcours de formation initiale. Il intervient souvent après un temps et des expériences, souvent douloureuses, d’insertion professionnelle dans l’emploi ordinaire par les parcours de stages, de volontariat, d’emplois à durée déterminée, etc.
Mais cette première composante voisine avec une autre, plus âgée, faite de cadres en « transition d’emploi », pour ne pas dire en reconversion professionnelle, et plus globalement personnelle. Cadres intermédiaires, diplômés dans des filières courtes (Bac+3), bloqués dans leurs perspectives de promotion ou fragilisés dans les restructurations des entreprises, ils sont tentés par la création d’activités. Ils ont souvent commencé un parcours ordinaire de créateur d’entreprise dans les modes de l’ « entrepreneuriat ». Parfois, ils sont à cheval entre deux mondes : celui de l’entrepreneuriat et de ses dispositifs publics et privés d’accompagnement, et celui des collectifs et des lieux et dispositifs de l’action en communs. Ici la parité est moins nette, les hommes sont plus nombreux à prendre le risque d’un cheminement qui est souvent présenté comme une reconversion personnelle plus encore qu’une seconde carrière. Mais, les femmes constitutives de cette composante, ont des raisons spécifiques de se retrouver dans ces mêmes lieux et dispositifs en communs. Elles ont souvent exercé des métiers de cadres intermédiaires, mais ont connu les ruptures de carrière, les reconversions obligées des restructurations industrielles avant celles du tertiaire, de la grande distribution, les blocages de carrière dus au plafond de verre de la promotion. De fait, elles ont souvent gardé des contacts avec ces contextes économiques.
Ce sont majoritairement des personnes relevant de ces deux composantes que nous retrouvons dans l’action pour les communs. Ils sont alors, non seulement des acteurs porteurs de projets de communs, mais aussi gestionnaires d’organisations économiques tentant des modes de valorisation économique hybridée, les faisant se rapprocher, de fait, des organisations de l’ESS.
Si elles s’en rapprochent, ces deux composantes sociales se distinguent cependant nettement des catégories sociales principalement mobilisées dans le champ de l’ESS. Dans ces catégories, nous retrouvons plutôt des professionnels des secteurs de l’éducation et de la formation, associés à des métiers et professions travaillant, ou ayant travaillé. Le nombre de retraités de l’Education Nationale et du secteur public, de la fonction publique territoriale par exemple, est ici très important.
Peut-on considérer que ces deux milieux, celui des commoners et celui de l’ESS, milieux dans lesquels les catégories que nous avons brièvement caractérisées jouent un rôle moteur, constituent par leur union un sous espace public dominé ? Pour répondre à cette question, il faudrait envisager plus encore que les positions sociologiques de ces acteurs, leurs parcours socio professionnels et surtout les parcours idéologico politiques, faits d’expériences, d’épreuves de vie. Ces parcours sont alors souvent faits de croisements et de bifurcations par rapport aux modes d’inscription des acteurs dans les systèmes idéologico politiques locaux antérieurs, ceux relevant d’une partie du « socialisme municipal » gagnée aux formes renouvelées de la solidarité et du développement territorial, des mouvements d’éducation populaire, comme ceux relevant du catholicisme social reconverti dans l’action économique locale.
Ayant ces dimensions en arrière-plan de notre analyse, nous pouvons considérer que certaines de leurs actions convergentes, ou de leurs rapports conjoints aux institutions publiques locales, pourraient le laisser envisager. Ces groupes, au travers de leurs organisations spécifiques, se côtoient, et de plus en plus s’appuient dans leurs rapports aux politiques publiques et aux dispositifs qui interviennent en aide, financière surtout, à leurs actions. Mais les différences sont patentes, tant dans les positions sociales occupées, les postures d’action collective adoptées que, tout simplement, dans les caractéristiques de génération et de parcours socio professionnels et socio scolaires. Certes, ces premiers éléments demeurent à vérifier par l’enquête systématique. Mais les données d’observation et les nombreux entretiens menés sont là pour commencer à les valider.
Acteurs des communs et acteurs de l’ESS ne se confondent pas, parfois même ne se connaissent pas, obligeant ceux qui fréquentent les deux « mondes » à s’expliciter sur cette double appartenance. Les différences sociales et en matière de représentations politiques sont certes perçues par les acteurs. Les différences sont explicitées par eux sous l’angle des postures prises dans la pratique de l’action collective. Les modes d’action les différencient parfois plus que les positions et les postures elles-mêmes ; c’est le cas avec les outils numériques que sont les plateformes et les logiciels de travail collaboratif, en open source pour la plus part. Les organisations émergentes des communs, d’un côté, et celles, plus installées, de l’ESS, de l’autre, pratiquent souvent une alliance plus tacite que véritablement assumée.
Mais, d’une certaine façon, les acteurs résistent eux-mêmes à l’exercice de l’analyse tant le mouvement de convergence souhaité par tous, dans l’état d’opposition dans lequel les acteurs se trouvent, est mis en avant, édulcorant les différences de positions sociales, résultant elles-mêmes de processus de socialisation primaire et secondaire bien distincts.

3. Espace public : des interactions spécifiques du politique et de l’économique
Pour Dacheux et Laville (2003) « l’économique et le politique sont dans des interactions étroites qui ne sont pas sans effets sur la configuration de l’espace public » (2003, p.9). Reprenant une critique de la notion d’espace public (Calhoun, 1992 ; Fraser, 1992), ils relient cette notion à la définition initiale qu’ils donnent de l’économie solidaire comme «l’ensemble des expériences visant à démocratiser l’économie à partir d’engagements citoyens ». Il s’agit alors de pratiques de citoyenneté économique bien différentes de l’agir économique dominant. Avec Dacheux et Laville, nous interrogeons le développement d’activités économiques qui rendent possible l’atteinte d’objectifs politiques et permettent en particulier la constitution d’espace de discussion et de débat sur la manière de répondre à des besoins sociaux. Nous questionnons aussi les rapports qu’entretiennent les « communs » et l’économie sociale et solidaire avec le « marché » et avec le secteur public. Du fait des interactions entre l’économique et le politique ces rapports doivent être examinés au regard de ce qu’ils provoquent sur l’espace public. Mais cet espace public, comment le définir succinctement ? Il est tout à la fois lieu de légitimation politique, lieu d’émergence et de fondation de possibles communautés politiques ; certaines de ces communautés y apparaissant sous la forme de sous espaces dominés ou faiblement légitimés. En effet, l’espace public « ne se réduit pas à l’espace institutionnel » (Dacheux, Laville, 2003, p.10). C’est un espace « potentiel, ouvert à tous les acteurs ; ce n’est pas une donnée a-historique, mais une construction sociale toujours en évolution » (idem). C’est sur cet espace que l’on traite des questions relevant de la collectivité par l’affrontement des visions différentes et contrastées du bien commun et de l’intérêt général. Le traitement politique des questions relevant de la collectivité se veut universel, au fondement des institutions, mais il est profondément inégalitaire puisque tous n’y accèdent pas ou n’y ont pas le même poids politique. Il n’en demeure pas moins que cet espace concourt à une certaine pacification qui s’inscrit dans des compromis permettant de substituer l’action politique, démocratique, à la violence physique.
Reprenant à notre compte la conception développée par Dacheux et Laville concernant l’économie solidaire, nous faisons ici l’hypothèse que l’action en communs, action de création collective de communs, relèvent des mêmes expériences en économie solidaire « qui conçoivent leur action politique à travers la prise en charge d’activités économiques, ce qui suppose d’identifier et de mobiliser une pluralité de registres économiques » (2003, p.11). L’agir en communs mobiliserait alors les mêmes principes économiques, pluriels, qui sont ceux de l’économie solidaire : ceux du marché auquel, il faut ajouter la redistribution et la réciprocité (Polanyi, 1977). Mais, ce sont aussi les formes de propriété qui sont également plurielles ; les derniers travaux sur les communs l’ont bien montré (Coriat, 2015). Ainsi, les traits qui caractérisent les réalisations en économie solidaire, construites en interactions du politique et de l’économique, sont aussi ceux que l’on retrouve dans l’agir en communs. Dacheux et Laville les présentent comme une « impulsion réciprocitaire dans des espaces publics de proximité » -C’est-à-dire la recherche explicite et prioritaire, par l’activité économique construite, d’effets positifs pour la collectivité en termes sociaux et environnementaux-, et comme une hybridation entre les principes économiques –Ici, c’est plus qu’un mixage, c’est un équilibrage dans la mobilisation des ressources dans le but de respecter, dans la durée, la logique du projet initial, porteurs de communs- (2003, p.12). Cet équilibrage suppose alors de subordonner la captation de ressources marchandes à celles permettant le respect des principes -redistribution et réciprocité- qui assurent la garantie du commun en économie solidaire.
Définir ainsi un agir en communs suppose des modalités d’action collective et des pratiques de citoyenneté économique en cohérence sur l’espace public. Les pratiques individuelles et collectives de résistance, contestation, construction, proposition, projection doivent être examinées dans cette perspective.
Cette exploration d’un sous espace public dominé est aussi l’investigation d’une communauté d’acteurs, porteurs, fédérateurs de projets, se positionnant en représentants et porte-parole de groupes sociaux locaux qui eux-mêmes ne s’identifient pas comme acteurs collectifs et n’ont pas le niveau d’engagement collectif et de mobilisation que les porteurs de projet laissent entendre. Cet agir collectif en communs est potentiellement celui d’une collection d’individualités qui présentent des caractéristiques objectives et de représentation similaires, mais aussi beaucoup de différences. Leur commun est de partager ce sous espace public, fait de lieux et de liens ; des lieux dédiés aux relations (réunions, ateliers, mais aussi convivialité), des liens qui sont le partage d’actions communes, mais aussi des activités à finalité économique, des dispositifs de rémunération, également des comportements associant vie de travail et hors travail. Ces acteurs porteurs de projets, s’ils doivent être distingués des communautés locales (les habitants, citoyens, usagers des communs potentiels), n’en sont pas moins souvent aussi les habitants et usagers des mêmes espaces urbains, des mêmes quartiers. Les différences de niveau de vie entre les porteurs de projet et les habitants de référence ne sont pas si grandes. Ce qui les différencie relève davantage des parcours socio-scolaires et des trajectoires sociales. Nous faisons ici, concernant les acteurs porteurs et accompagnateurs de projets, l’hypothèse de parcours de déclassement social par rapport à leurs parents, ou, tout au moins, de moindre positionnement social, comme base de leurs positions et postures sociales. L’analyse de cet agir en communs est tout autant celle de leurs positions et postures que celle de leurs actions au nom de communautés qu’ils disent représenter. Cependant, s’il y a décalage dans les capacités d’action au sein du sous espace dominé qu’ils façonnent et, de façon plus difficile, dans l’espace public dominant, l’avenir de leurs positions est pourtant lié à celui des groupes qu’ils représentent.
C’est en cela que ces logiques d’action économique sont différentes de cette forme d’entrepreneuriat qualifié de social parce que les activités construites dans la logique de l’entrepreneur se donnent une finalité sociale, mais pas le moyen d’une action économique alternative à la capitalisation et à la valorisation marchande exclusive.
Nous analyserons ici des expériences spécifiques de cet agir en communs, telles qu’elles se développent dans l’espace local régional du Nord Pas de Calais (avec la Picardie, depuis peu, au sein de la région des « Hauts de France »…).
Ces expériences sont de trois types. Elles nous permettent d’examiner, tout d’abord, des pratiques de « publicité » de projets, notamment portés par des communautés initiatrices de tiers lieux et par les plateformes collaboratives que ces communautés développent.
La notion de publicité doit être prise ici dans le sens que leur donnent les théoriciens de l’espace public démocratique, à savoir l’action de faire partager à la communauté le fruit consenti et légitimé de la construction politique démocratique.
Elles nous permettent d’examiner ensuite les modalités et les dispositifs, dits, d’ « accompagnement » des projets collectifs, citoyens. Nous verrons que cela nous oblige à les différencier d’autres modalités d’appui institutionnel à l’action économique que sont ceux participant au « monde de l’entrepreneuriat ».
Elles nous permettent enfin de caractériser et d’analyser des pratiques émergentes d’organisation de ce que les acteurs commencent à qualifier d’ « assemblée des communs » pour parler d’instances de fédération et de représentation des construits sociaux politiques de l’agir en communs.

Initiatives solidaires en communs : Innovation sociale, transformation, transition ?

Introduction

La notion d’innovation sociale fait consensus. Elle s’oppose à des approches perçues comme trop économique, une économie identifiée à sa forme la plus marchande, sous contrainte d’une rentabilité financière, à court terme, ou trop exclusivement technologique. Mais, contribue-t-elle à une réelle controverse, productive d’interprétations et de mobilisations sur des transformations économiques, politiques et sociales ?
Est-il opportun de reprendre le terme d’innovation associé à une dimension plus spécifiquement sociale ? Bruno Latour (2007, p.9), met en garde sur le fait de qualifier de social un phénomène en lui assignant des propriétés spécifiques, négatives pour certaines –Ne pas être purement biologiques, économique ou naturel-, et positives pour d’autres –Produire, renforcer maintenir, renforcer l’ordre social- (idem, p. 10). Cette dimension sociale donnée à l’innovation semble jouer le rôle d’un domaine spécifique de la réalité pour expliquer les phénomènes résiduels dont les autres domaines ne peuvent rendre compte.
Aussi, la reprise du terme d’innovation sociale constitue une prise de position, éventuellement implicite et inconsciente, sur une idée de transformation sociale. C’est ici l’hypothèse centrale.
Pour mettre l’accent sur les conditions de possibilité et de faisabilité d’une alternative économique et politique envisagée, soit comme transformation, soit comme transition, faut-il intégrer ce terme d’innovation sociale, ou s’en dégager ?
Discutons cette hypothèse. Et, pour cela, synthétisons tout d’abord ce qu’une définition de l’innovation sociale, adossée à une problématique globale de l’innovation, a produit de plus créatif du point de vue de la question de la transformation sociale. Envisageons ensuite une approche qui se libère de cette problématique de l’innovation pour s’inscrire dans une réflexion critique sur les issues possibles en termes de transition économique et politique.
Cette approche se centre alors sur les conditions de la prise d’initiative solidaire citoyenne. Elle analyse les dynamiques de prise d’initiative sous trois dimensions : le rapport au travail, le processus délibératif –démocratique et la finalité collective et sociale de cette initiative au regard de la construction de biens communs. Nous sortons alors d’une vision consensuelle de la transformation pour nourrir une véritable controverse.
Pour explorer la notion d’innovation sociale, il faut comprendre les ressorts de la prise d’initiative citoyenne et solidaire. C’est l’objet d’une recherche en cours. Le dilemme se résume alors aux deux questions suivantes : faut-il relayer un plaidoyer pour la transformation sociale et économique, avec le recours à la notion d’innovation sociale ; ou faut-il analyser les conditions d’une transition politique et économique qui s’appuierait sur les initiatives citoyennes solidaires et les agrégats sociaux qui les portent ?

1. Faut-il parler de transformation, avec une innovation enrichie par l’économie des services ?

Peu se préoccupent de la topologie politique du rôle de ces problématiques de l’innovation sociale sur l’espace public, d’en analyser l’impact sur la formation d’un consensus et sur l’éventuelle montée d’une authentique controverse.
Et pourtant, définir l’innovation suppose de caractériser l’usage polémique et politique qui en est fait sur l’espace public. Toute analyse qui se prétendrait économique, et seulement économique (par exemple, pour souligner le rôle de l’innovation sociale dans une recherche de croissance), ne peut se dispenser de caractériser le champ de forces dans lequel intervient ce qui est défini comme innovation (Chateauraynaud, 2011).
L’innovation sociale devient la thématique phare de toute perspective de transformation sociale. Elle est au cœur des débats sur la modernisation de l’action publique. Elle est l’élément central de toute politique de RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise). Certains montrent une plus grande détermination et vont plus loin en la matière.
Ainsi, les tenants de l’économie sociale et solidaire (ESS) en feraient bien une marque de fabrique1 ; l’innovation sociale serait ainsi revendiquée comme la R & D de l’ESS. L’innovation est présentée comme contenu et voie de la transformation. La dimension transformationnelle est bien évoquée mais sans que soit établi un lien direct avec un enjeu politique d’une transformation qui ne peut pourtant se cantonner au social et à l’économie sociale. Le terme d’innovation est alors repris en soulignant la dimension de processus social sous-jacent (Bouchard, Lévesque, 2010). Une définition les fonde toutes : « D’une façon générale, l’innovation sociale est une réponse nouvelle à une situation sociale jugée insatisfaisante, situation susceptible de se manifester dans tous les secteurs de la société. L’innovation répond à ce titre parce qu’elle vise le mieux-être des individus et/ou des collectivités. Elle se définit dans l’action et le changement durable.» (Cloutier, 2003).
Trois éléments ressortent de ces définitions. Il est question de bien-être, de transformation sociale impliquant les acteurs et de liens avec les organisations relevant de l’économie sociale.
Pour être caractérisés d’innovants socialement, il faudrait donc que ces processus d’action aient recours à de l’expérimentation sociale, qu’ils fassent participer les parties prenantes à l’amélioration de leur bien-être respectif pour promouvoir la transformation sociale désirée. La notion d’innovation sociale permet alors d’établir un pont entre le changement social et les formes organisationnelles relevant de l’économie sociale. Le recours à cette notion réintègre les expérimentations de l’économie sociale dans le champ d’une société ouverte au changement. Ce recours permet une montée en légitimité, favorable à l’établissement d’un consensus. Reconnue, la notion empêche toute controverse créative en la matière.
Un autre aspect de ce consensus réside dans la dimension économique qu’elle recouvre. L’innovation sociale aurait une légitimité dans le champ des débats économiques, basée sur une argumentation en termes d’efficacité et de performance. Elle est alors positionnée, non pas en réponse à la défaillance des marchés et comme palliatif à l’action publique et argumentée comme une charge, mais comme contribution à une croissance économique de fait de sa parenté à l’innovation de service. L’innovation de services étant considérée comme un moteur de croissance, l’innovation sociale en reprend les processus et la dynamique ; la croissance étant alors enrichie d’acceptation sociale (Djellal, Gallouj, 2012).
La discussion sur le qualificatif « social » souligne que toute innovation est sociale (Djellal, Gallouj, 2012, p. 40) et cela débouche sur une redondance par rapport à l’utilisation de la notion d’innovation de service. En cela, ces auteurs donnent paradoxalement raison à Latour, mais avec d’autres arguments. L’innovation ne serait-elle alors rien d’autre qu’une innovation de service ou une innovation d’accompagnement des mutations sociotechniques, telle est la question que les auteurs se posent en donnant l’impression de fournir une réponse positive (idem, p. 43). L’innovation de service aurait-elle besoin d’être qualifiée, en plus, de sociale parce qu’elle serait effective « lorsqu’il y a des interactions fortes et des valeurs » (Djellal, Gallouj, 2012, p. 58). On attendrait des développements sur les conditions de conception et de mise en œuvre de telles innovations et on aurait alors besoin de solides problématiques de nature économico-politique pour comprendre les mouvements d’association qui correspondent à ces phénomènes « innovants ». Cela ne peut être menée qu’en se référant à des notions telles que le rapport au travail, libéré ou pas, ou le bien commun.

2. Les enjeux de la prise d’initiative solidaire : travail et démocratie

Au cœur des initiatives alternatives et solidaires, les acteurs expérimentent des voies d’action nouvelles. Ces initiatives trouvent leur source dans des collectifs d’action dont l’examen des pratiques et des processus d’action collective interroge la dynamique d’une possible transition politique.
Ces pratiques peuvent être examinées sous trois aspects : le rapport au travail, les processus éthico-politiques et les alternatives économiques en projets de communs.
Ce qui nous est présenté comme innovation sociale aborde peu les questions de l’emploi et du lien institué entre emploi et travail. Or, toute crise et recomposition sociale est d’abord une question liée à celle du travail. On sait pourquoi et comment de la question du travail on est passé à celle du salariat et de l’emploi ainsi qu’à celle de la compétence pour l’emploi. On sait aussi comment la modélisation et l’institution du travail se sont cristallisées dans la conception et le développement de l’Etat Providence. Alors crise du travail et crise de l’Etat Providence vont de pair.
Interrogeons-nous avec Dominique Méda (1995) sur ce qui pousse à considérer le travail comme le centre de l’ordre social et à l’internaliser au point que, par leurs initiatives, les acteurs de nos collectifs alternatifs, semblent les transgresser.
Analysé à l’aune de l’efficacité et de la rentabilité, le travail apparaît comme une valeur centrale, mais privée de sens pour les individus concernés. Un questionnement sur le sens du travail est la plupart du temps à l’origine de la prise d’initiative alternative et d’une interrogation sur le travail à une interrogation sur l’éthico-politique et la démocratie, au regard du droit à l’intervention économique. Cela affecte la façon dont seront argumentées les initiatives alternatives au contraire des innovations sociales qui traitent peu de ces questions. Mais, il faut alors changer radicalement la façon d’envisager le travail et bâtir une économie politique interprétative des prises d’initiatives alternatives qui se font jour. Changer la conception du travail c’est aussi limiter sa sphère d’influence, c’est aussi, et d’abord, diminuer le temps de travail et libérer ainsi du temps pour d’autres activités – le politique- qui sont tout autant notre essence humaine que le travail (Coutrot, Flacher, Meda, 2011).
Ferreras (2007), Bidet (2011), inspirées par A. Gorz (1988), D. Méda (1995), et Postone (2009) contribuent à un dépassement positif de cet apparent dilemme de la centralité du travail dans nos sociétés. Ainsi, pour Ferreras, dans la théorie économique orthodoxe le travail n’a d’autre valeur que le salaire. Cette théorie méconnaît que le rapport au travail aujourd’hui est fait de trois dimensions spécifiques : une dimension de l’ordre de l’expressif, un caractère public et une nature politique.
Au regard de cette dimension expressive, il est le support et producteur de sens dans la vie de celui qui travaille. Cette dimension va à l’encontre des réductions instrumentalisantes du travail et confère une forme explicitement publique et politique du travail dans l’espace public. Mais, ces initiatives, collaboratives et citoyennes, exprimées au travers des activités, fruits d’un travail identifié comme tel, ne se comprennent que dans le cadre d’une prise de position éthico-politique. Elles débouchent sur des activités d’utilité sociale et des prises de position dans l’espace public.
Le travail ne peut pas non plus être réduit aux tâches dont il permet la réalisation. La conception et la mise en œuvre, par nos acteurs alternatifs, de leurs projets et activités montrent de profonds décalages entre niveaux de formation, statut d’emploi et situations de travail par rapport aux normes de travail existantes. Des porteurs de projets assurent des tâches d’intérêt général relevant de la gestion collective des « tiers lieux » où ils développent souvent leurs projets et activités. Ces tâches sont revendiquées comme telles et pas seulement parce que les organisations sont émergentes et fragiles. Elles sont affirmées comme un changement dans le rapport au travail professionnel et domestique et comme une prise de position vis-à-vis de la division sociale et sexuelle du travail (Ferreras, 2007, p. 62). Ferreras souligne également le caractère public du travail. Le travail, certes encore largement assimilé à la sphère privée, entre aujourd’hui de plein droit dans l’espace public et ce quelle que soit la définition que l’on donne à la sphère publique.
Les relations de travail qui caractérisent ces activités, participent d’un régime d’interaction démocratique de plus en plus revendiqué comme tel par les acteurs eux-mêmes (idem, p.96). Les acteurs sont vigilants sur le traitement des personnes par rapport à un projet démocratique d’égalité de traitement de tous comme citoyens et par rapport à de possibles discriminations. L’institution du « social » avait déjà marqué une première étape dans la sortie du travail de la seule sphère privée, dans une pensée opposant régime public et régime privé, les activités de service mettent le travail au cœur des interactions citoyennes. Mais, ce qui n’est que constat a posteriori, dans la mise en œuvre de nombre d’activités de service, fait l’objet d’une valorisation a priori dans les initiatives des innovateurs alternatifs.
Les modes de conception et de mise en œuvre des initiatives solidaires montrent (Ferreras, idem, p. 129 et suivantes) que le travail qu’elles supposent a bien une nature politique. Chacune des activités et des situations de travail est l’objet d’une prise de position par rapport à une insertion et à un positionnement au sein de collectifs d’action. Alors ce travail est indissociable d’opérations de jugement éthico-politique. Les prises d’initiative solidaires, collaboratives et citoyennes s’opèrent au regard d’une méta norme de justice qui constitue le fond politique de l’agir collectif et vise à un approfondissement des fonctionnements démocratiques. Dans ces projets le recours aux outils de travail collaboratif montre l’impact du délibératif au cœur même du travail d’élaboration des projets. Mais il s’exerce parce que les acteurs déploient leur singularité en osmose avec les collectifs d’action auxquels ils participent. Ces collectifs sont les acteurs essentiels des processus de sélection des options, d’argumentation, de validation et de formalisation des jugements. En fait, là où une analyse classique du travail mobiliserait les notions de tâche et de compétence, l’analyse du travail de ces collectifs d’action et d’innovation collaborative privilégie les micro processus de jugement (sélection, argumentation, validation,). Toute dynamique de capitalisation, mutualisation et diffusion des expériences de prise d’initiatives collaboratives citoyennes y trouveras ses ressorts.
Aussi, les collectifs porteurs d’alternatives d’activité sont souvent aussi porteurs du dilemme suivant : « faut-il se libérer du travail, ou libérer le travail» (Coutrot, 2011, p. 113). La première proposition renvoie à Arendt et à Gorz, qui valorisent le temps du politique, de la délibération, mais c’est alors le travail collectif à propos de l’activité qui permet à l’auteur son engagement politique. La seconde proposition est davantage celles des mouvements sociaux qui prônent l’irruption de la démocratie (industrielle) dans l’espace de la production. La politique passe alors par le renversement de la subordination dans et par le travail. L’une des originalités des acteurs de ces expérimentations collaboratives et citoyennes est, à l’instar de Coutrot et de ses co auteurs (2011), de ne pas opposer les deux voies d’opposition au travail subi (idem, p.108-109).

3. Des initiatives solidaires, collaboratives…

Les propositions collaboratives, peuvent naître d’une démarche individuelle et collective qui ne se vit pas d’abord comme une création d’activité économique, au sens où elle doit permettre la rémunération, et a fortiori l’emploi de ceux qui la prennent. Elles sont d’abord des actions citoyennes. Des initiatives cherchent leur financement dans des logiques alternatives et l’expriment dans des terminologies émergentes, notamment celles de l’économie contributive. Les porteurs d’initiatives parlent de collaboration à propos des contenus et des finalités qu’ils donnent à ces projets mais aussi à propos de la dynamique de construction collective dans lesquelles ces projets s’inscrivent.
Certes, ils s’inspirent de réflexions critiques des logiques économiques précédentes. Le citoyen, acteur économique, dans une nouvelle relation production/consommation devient ainsi non seulement usager mais plus encore producteur de ses usages. Cette « capacitation » (Sen, 2000a, 2000b ; Stiegler, 2008) correspond au développement de savoirs maîtrisés par chacun, mobilisés et dans des relations de pair à pair, avec une implication personnelle et dans un rapport égalitaire où chacun peut jouer de ses droits en tant que citoyen mais aussi de ses désirs. Les transformations récentes des rapports au travail et à l’emploi, avec la croissance du chômage et de l’emploi précaire, ont nourri le débat sur l’avenir de la société salariale. Certains ont proposé d’interpréter la croissance de l’autonomie vis-à-vis du salariat comme une possible alternative (Neilson, Rossiter, 2009), recourant alors à l’hypothèse de nouveaux rapports caractérisés par un précariat positif incarné par ces «Sublimes », cette posture historique de l’ouvrier autonome dans la mobilisation d’une activité non entièrement et définitivement « marchandisée » (Gazier, 2003). A ce slogan de « Tous sublimes ? » (Gazier, 2003) correspondrait alors celui de « Tous contributeurs », tant c’est la capacitation individuelle qui prime dans le déploiement de l’économie contributive. C’est en cela que, malgré l’incertitude sur les technologies de l’impression numérique, l’expérience des FabLabs ou des groupes de Makers servent d’emblème pour les collectifs du monde collaboratif à la recherche d’une perspective économico politique qui déspécialise les positions de producteur, de consommateur, de distributeur, par la valorisation de celles de contributeur. Le mode collaboratif correspondra surtout à des formes économiques inspirées de l’économie du partage (sharing economy). Il pourra s’accommoder d’activités plutôt complémentaires à d’autres, exprimées selon les logiques économiques dominantes, d’activités de niches, valorisées financièrement de façon marginale. Le mode contributif, quant à lui, sera davantage affiché comme une rupture privilégiant la non division et la réintégration des activités de production, distribution, consommation, financement.
Une autre de ces tensions qui président à la définition des positions économiques revendiquées dans la prise d’initiative est le fait qu’elles sont à différents niveaux d’hybridation de logiques marchandes et non marchandes. Nourries de positions critiques sur les excès de la marchandisation du traitement des besoins, les solutions expérimentées sont souvent mixtes, peu stabilisées, débouchant sur autant d’impasses et de contradictions que sur l’expérimentation de logiques de « démarchandisation ».
Une autre caractéristique commune est le fait d’être en mode « ouvert » ; l’entrée dans le collectif ne se fait pas sous le mode du ralliement et de l’adhésion, mais sous celui de la contribution ouverte.
Une autre de leurs caractéristiques communes est aussi de n’accorder qu’une importance relative au choix de la structure formelle. Cela rend les porteurs d’initiatives collaboratives/contributives peu soucieux de rallier le camp formel de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ils ne se revendiquent pas de ce camp, même s’ils se positionnent dans une proximité/distance qui les fait participer à un même espace public. La différence est ici très nette entre ces « entreprises » collaboratives et les entreprises sociales, qu’elles soient d’insertion ou à finalités d’action sociale qui, quant à elle, tout en ayant des finalités et des services à vocation sociale, conçoivent leurs activités d’une façon, somme toute, classique, même si elles sont à « lucrativité limitée ».
Elles ont également en commun de refuser toute démarche de publicité commerciale et de promotion de leurs activités hors des canaux de l’action publique, politique et parfois militante.
Enfin, autre caractéristique, et non des moindres, peut-être même la plus déterminante, elles sont la plupart du temps appuyées, outillées, de technologies Web et dans d’outils conçus dans la logique du « libre », de l’Open Source, des common licences et du « gratuit ».
Les porteurs d’initiatives le deviennent au terme de processus d’individuation tout à fait spécifiques. Mais, une approche simplificatrice pourrait y voir la manifestation de collectifs alors que d’autres processus, dits entrepreneuriaux, seraient fondamentalement individuels. Les logiques d’entrepreneuriat marchand, dominantes, reposent elles aussi sur des collectifs, même si ces collectifs ne sont pas toujours explicités en tant que tels. Dans les initiatives collaboratives analysées, les collectifs sont reconnus et même affichés en tant que tels.

4. Vers des initiatives en communs

Les formes d’hybridation des principes collaboratifs et contributifs rencontrent la problématique des communs (Bollier, 2014a, 2014b ; Dardot, Laval, 2014).
Cette argumentation percute la question des droits, de propriété notamment, en lien avec les processus de création d’activités et d’entreprises. Le commun se construit dans la dynamique même de l’entreprendre, ce n’est pas une ressource préexistante, et dans le même temps il permet la construction/consolidation du collectif qui en est à l’origine.
Ostrom proposait déjà de partir de la notion de « groupe d’usagers » (User group) (Ostrom, 1986, p.607, cité par Coriat, 2013, p.11). Elle ne se contentait pas de mettre en avant ces users groups mais soulignait aussi leurs modes d’organisation (UGO, pour Users groups organisations) en tant que supports et conditions d’existence d’un commun. Pour Ostrom, comme le souligne Coriat : « un commun c’est d’abord et avant tout une communauté d’acteurs » (Coriat, 2013, p.11).
Construit au cœur du collectif dans une dynamique collective de l’entreprendre, le bien commun n’est pas appropriable individuellement. Et c’est bien cela que montrent les expériences de génération et accélération collective de projets qui s’opèrent dans les dispositifs de soutien collectifs à l’entreprendre collaboratif/contributif.
L’appropriation collective se construit au cœur des initiatives, et construit les acteurs dans leurs capacités à les porter en projets, et dans ces nouvelles positions par rapport à la propriété. La réflexion n’est pas ici uniquement et même principalement juridique, elle porte sur le processus collectif de création d’usages possibles pour soi-même parce que pour autrui. De plus, comme le souligne Flahaut (idem, p.133) : « le bien commun se réalise à travers des biens communs ». Expérimentations en économie collaborative et reconceptualisation en termes de biens communs vont de pair. David Bollier (2014a, p.175-177) résume ainsi ce sur quoi la réflexion actuelle sur les commons a débouché. “There is no master inventory of commons” : C’est effectivement impossible dans la mesure où un commun surgit quand une communauté décide de gérer une ressource de façon collective ; tout dépend donc de la logique d’action de la communauté. “The commons is not a resource” : C’est une ressource mais associée à une communauté précise et aux protocoles, aux règles et aux valeurs partagés par la communauté. “There is no commons without commoning”: Ce qui prime ce sont les pratiques collectives de mise en commun. Bollier met en avant la logique d’ouverture (de non enclosure), les luttes que cela suppose pour les commoners (les acteurs associés en communs) de trouver de nouvelles solutions institutionnelles légales, juridiques (en rapport à l’évolution des droits de propriété), et la reconnaissance de nouvelles formes de communs à tous les niveaux de la vie sociale (Bollier, 2014a, p.175 à 177).
Les expérimentations en la matière se nourrissent des débats sur l’économie des logiciels libres. Elles sont aussi très souvent portées par des plateformes numériques supports de pratiques elles-mêmes collaboratives.

Plusieurs questions demeurent que n’abordent pas les développements sur l’innovation sociale.
La première d’entre elles concerne le financement des contributions et de leur rétribution. C’est une question essentielle pour garantir la dynamique enclenchée par ces projets.
Les porteurs d’initiatives dissocient assez largement leur propre situation, et la rémunération de leur contribution, du développement du projet lui-même si celui-ci correspond à une dynamique collective de nouveaux usages. Mais, même s’ils n’adhèrent pas à un modèle de développement singulier autre que leur enrichissement personnel, ils visent aussi une juste rétribution que leur garantisse une autonomie.
La mesure des contributions à l’aune d’une prestation marchande est une première réponse globale à cette question de la rémunération des contributeurs. Dans ces situations de financement de projets en communs libres, mais avec services marchands associés, les contributeurs sont des prestataires indépendants. Ils adoptent alors souvent des statuts d’autoentrepreneurs. Cette solution est retenue, associée à l’une ou l’autre structure de portage collectif d’emplois salariés ou indépendants créée dans la dernière période, souvent dans un esprit coopératif, par exemple avec les CAE (Coopératives d’Activités et d’Emploi). Les projets se construisent alors en parallèle des structures d’indépendants de leurs principaux porteurs et contributeurs. Cette dynamique est peu comprise par les institutions économiques et politiques majoritaires soucieuses de l’impact des projets sur la création d’emplois qui leur sert d’indicateur. Il leur sera difficile de voir dans ces entreprises, sans emplois directement associés, une alternative économique à l’analyse qu’ils font de la crise économique actuelle.
Autre question importante, celle du lien qui se tisse entre les initiatives, centrées sur la définition d’usages, construites en communs, et les milieux sociaux, les communautés qui les portent. C’est aussi celle de leur impact sur les espaces publics locaux et sur les potentialités de recomposition de l’action et de l’institution publiques. Une question est aussi celle d’une approche non formelle mais très concrète de la participation/délibération/décision publique susceptible de transformer en profondeur la démocratie et la citoyenneté.
Les initiatives contributives ont en commun de privilégier des moments de création collective. Ces moments, centrés sur la conception et le développement des activités, par le traitement collectif de besoins pensés en usages, accordent une place importante à la délibération sur les finalités de ces activités, leurs contributions à une transformation sociétale sur laquelle tous ne s’accordent pas mais qui prône le développement durable, l’action citoyenne et l’intervention sur l’espace public. Le traitement collectif des besoins et la conception des usages se prolongent dans une reconsidération de l’espace public local, exprimée en termes de territoire. Ces initiatives territorialisées rencontrent alors les problématiques émergentes de la démocratie directe, de la participation citoyenne et de la citoyenneté numérique. Elles renouvellent l’imaginaire politique et citoyenneté (Peugeot, 2013). Des auteurs, sites et collectifs se mobilisent pour développer ensemble ces outils participatifs (par exemple le Réseau Francophone des Biens Communs). Les initiatives peuvent impacter l’action publique et engager, ou non, un processus d’institution qui fait passer, pour tout ou partie, le bien commun construit en bien public.
Les liens sont d’autant plus forts qu’ils sont non seulement réels mais incarnés dans des appartenances de communautés territorialisées et de proximité. C’est tout le sens des expériences de création d’activité sur les espaces de coworking. Le paradoxe est ici que les processus de création de relations d’usages au travers des outils numériques collaboratifs pourraient n’être qu’instrumentaux et transitoires ; les acteurs s’en remettant ensuite à des interactions directes dans une citoyenneté renouvelée.

Conclusion

Ainsi, les porteurs d’alternatives citoyennes et collaboratives sont les « entrepreneurs » d’une socio économie recomposée. Leurs initiatives participent de ce désenchantement du travail aliéné et de ce ré enchantement du politique, si politique veut dire engagement des individus sur la sphère publique et pour la constitution et la mise à disposition de biens communs. Ils ouvrent les voies d’une insertion sociale originale associée à une alternative politico économique. Ces jeunes « activistes » questionnent la place dévolue au travail dans la fabrication des rapports sociaux. Ils le font au moment où l’emploi dans sa forme instituée vient à manquer cruellement obligeant à penser une solution d’ampleur au problème du sous-emploi chronique. Ils remettent le travail à sa place et développent une théorie implicite du « vrai boulot » (Bidet, 2011).
Ces acteurs créent des conditions de possibilité d’une dynamique de déploiement de capacités à un agir collectif, solution à la crise du travail qui se traduit par la crise de l’emploi, par celle des institutions de régulation du travail et de son Etat Providence. Alors que l’on continue souvent à évaluer l’action de ces « innovateurs » avec des indicateurs liés à la mesure du travail et à l’aune de la création d’emplois, il nous faut comprendre le (ou les) modèle(s) alternatif(s) dont ils sont porteurs du point de vue d’un déploiement de capacités porteuses de nouveaux rapports entre les individus.
Sont alors posés les termes d’une possible transition et des controverses qui permettent de l’envisager. Nous sommes alors loin des positions consensuelles que recouvre la notion d’innovation sociale.

Références

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