« Ces heures ont été les seuls instants de ma vie où je ne fus qu’un homme.» (Laurent Gaudé, Onysos, le furieux) : une expérience d’opéra participatif

Le paradoxe est que j’écris ces quelques lignes en plein confinement à cause de la pandémie de coronavirus. Je suis chez moi, avec mon épouse, à l’écart de tous. Bien sûr, comme beaucoup je communique (mettre en commun ?) avec les autres, via les moyens de télécommunication, réseaux dits « sociaux » et téléphone. Je communique avec des gens avec qui j’ai des liens, de famille, d’activités professionnelles et autres. Rien n’est laissé au hasard de la rencontre.

Et, c’est d’abord ce que j’ai ressenti dans ma participation à cette expérience d’opéra dit participatif : une rencontre improbable.

Une rencontre d’abord avec des artistes dans l’exercice de leur création, des artistes qui conçoivent un format et vous le font partager, qui l’argumentent et le mettent en œuvre. Le plus surprenant pour moi est ce mélange d’explications rationnelles, des horaires, des questions logistiques, mais aussi des consignes, des codes formels, et de schèmes interprétatifs qui proviennent de la lecture d’un texte (Onysos, le furieux, de Laurent Gaudé) qui vient percuter l’expérience partagée des deux créatrices, scénographe et chanteuse lyrique.

Mais la rencontre, pour moi la plus forte, du point de vue de mes expériences passées, c’est celle d’un groupe de personnes inconnues, juxtaposées. Nulle présentation réciproque n’a semblé nécessaire. Une vingtaine de personnes étaient là, chacune différente en âge, sexe, surement en matière de trajectoire et d’expériences. L’instant de la prise de contact a suffi à nous mettre en mouvement, ensemble. La surprise a été pour moi que, passé un bref moment d’interactions par le biais d’un jeu, en rond, nous entrions vite dans une très grande proximité, promiscuité, sans que cela ne fasse l’objet d’une quelconque explication, autre que la description factuelle des liens et contacts que nous nous proposions de pratiquer pour faire corps, ensemble.

Aucune explication n’a été donnée, ni même demandée. Aucune réticence, ni hésitation, ne s’est manifestée, et ce même en aparté, entre les personnes pour qui c’était pourtant la première expérience en la matière. Tout à la fois, chacun a respecté les consignes de jeu et les a interprétées pour en faire sa singularité au sein d’un groupe, lui-même, singulier dans sa diversité expressive. Chacun, et c’est là le rôle spécifique, créateur, des artistes, a pu se voir attribuer un rôle adapté à ses spécificités expressives sans que cela fasse l’objet d’une délibération ; une composition dans le mouvement même du jeu. De quelle composition s’est-t-il agi ? Quelle en était la partition ? Les personnes n’étaient pas rassemblées pour interpréter des rôles prédéfinis. Elles n’en auraient pas eu les qualités habituellement requises. Les rôles se sont inventés au fur et à mesure de l’exercice d’auto composition, simplement guidée et accompagnée par les artistes garantes de la pertinence et cohérence expressives.

Bien sûr, une explication rationnelle, celle du sociologue, dira qu’il s’agissait d’interpréter les rapports de l’individu au groupe, de jouer la complexité des interactions que mettent en œuvre un collectif improbable, spontané. A plusieurs moments, au cours du spectacle, ces interactions ont fait l’objet d’une description, interprétation et explicitation. Mais, ces moments interprétatifs, explicatifs faisaient eux-mêmes parties du spectacle que donnent à voir des groupes en mouvement, sous le mode du sport, de la danse, de la guerre. Aucun de ces moments interprétés ne peut résumer à lui seul la complexité de l’alchimie de l’agir collectif.

Après que ces moments passés ensemble soient advenus, chacun est rentré dans ses propres systèmes d’interactions ; toujours le même et un peu changé ; « Ces heures ont été les seuls instants de ma vie où je ne fus qu’un homme ».

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