Démocratie Solidaire
Avec la Préférence Solidaire, faire Société
Suite aux résultats des élections européennes de juin 2024 qui voyaient l’extrême droite arriver largement en tête, le président Macron dissout l’Assemblée Nationale. Des élections législatives sont organisées précipitamment les 30 juin et 7 juillet 2024. Les partis de gauche et les écologistes créent le Nouveau Front Populaire et se donnent un programme commun de gouvernement.
Au premier tour, la poussée du Rassemblement National se confirme. Finalement, au terme d’une mobilisation importante de celles et ceux qui ne veulent pas voir arriver le RN majoritaire à l’Assemblée Nationale, les électeurs font des candidat.es Nouveau Front Populaire le groupe le plus important à l’Assemblée Nationale.
Durant cette période les acteurs de l’économie solidaire, l’APES, nous nous réunissons dans le respect de nos différences et pour envisager ce que pourrait être notre contribution dans ce moment d’urgence politique, citoyenne.
Une position politique s’élabore dans le dialogue démocratique : quelques éléments.
Nos initiatives solidaires en utopies concrètes à la croisée des chemins
Par ses actions l’APES exprime une exigence de démocratie ouverte aux enjeux de solidarité économique, de justice sociale et de soutenabilité écologique.
Les initiatives que nous aidons à déployer sur les territoires sont une mobilisation pour les droits, droits sociaux, culturels, à l’emploi, au logement, à la sécurité, à la préservation des ressources. C’est une action collective et plurielle, porteuse d’intérêt général, pour l’effectivité de ces droits, leur maintien d’abord alors qu’ils sont mis en cause, leur extension ensuite dans les contextes des rapports sociaux économiques actuels mais aussi de nos rapports à notre Terre commune et au vivant.
Nos initiatives solidaires valorisent et privilégient l’action en commun ; c’est notre perspective démocratique.
Nous ne faisons pas de l’adhésion partisane exclusive le principe de notre boussole démocratique. Notre préoccupation est plutôt, et prioritairement, d’inclure dans l’espace de la délibération démocratique celles et ceux qui ne sont pas sollicité.es ou lorsqu’iels le sont ne sont pas pris en considération. Nous n’oublions pas les expériences récentes de « convention » et de rédaction de « cahiers de doléances » dont il n’a rien été fait.
Notre préoccupation va ainsi, d’abord, à celles et ceux qui se sentent exclu.es, désespérés, au sens fort du mot, sans perspective, pour eux-mêmes, pour leurs proches, pour l’ensemble de leur territoire et pour le pays. Elle va à celles et ceux que l’on voudrait confiner à une démocratie qui les déresponsabilise, réduit leur champ d’intervention citoyenne et cantonne leurs droits à des mises en œuvre partielles, injustes et inconséquentes concernant notre avenir commun sur Terre.
Nous, acteurs de l’économie solidaire, savons cependant sur quelles orientations partisanes, plurielles, nous pouvons potentiellement davantage compter pour mettre en œuvre nos ambitions démocratiques et solidaires.
Nos initiatives et nos expérimentations en solidarité ont souvent contribué au débat démocratique que les mouvements politiques qui s’en réclament ont su reprendre tout en maintenant les particularités de leurs orientations concernant la finalité et l’ampleur des transformations et transitions à accomplir pour aller vers cette extension et effectivité des droits partagés à laquelle nous aspirons.
Aujourd’hui, le développement démocratique est en danger par la montée d’une expression politique qui le nie.
Pour beaucoup d’entre nous, acteurs de l’APES, nous sommes résolus à faire front et trouvons dans la pluralité des expressions politiques rassemblées dans le « Nouveau Front Populaire », écologique et solidaire, la possibilité de garantir nos actions pour une démocratie solidaire.
Mais, pour être le choix de beaucoup d’entre nous, dans sa diversité d’expression, aujourd’hui, face à l’urgence et au danger qu’encourt la démocratie, nous ne le mettons pas en avant mais affichons d’abord notre volonté d’un vote qui, d’abord et surtout, doit faire barrage aux forces d’une droite extrême qui se place en opposition aux valeurs de la République.
Nous, avec l’Apes, c’est la mobilisation pour la Préférence Solidaire qui est au cœur de nos engagements et de nos actions
Nos initiatives solidaires, nos partages d’expérimentations pour des territoires en commun, des économies d’entraide et de proximité, l’utilité sociale et la citoyenneté économique, sont notre réponse politique dans le contexte d’aujourd’hui.
Des membres du collectif de l’Apes, administrateur.rices de l’association, dialoguent au lendemain du premier tour des élections législatives qui ont vu les électeurs exprimer leur forte préférence pour l’extrême droite, surtout dans notre région des Hauts de France. Le second tour est pour la semaine prochaine. Faire barrage à l’extrême droite est pour nous une évidence. Spontanément on se prépare au vote pour les candidat.es qui incarnent le plus notre préférence solidaire, celles et ceux du Nouveau Front Populaire, mais nous ne le vivons pas comme un ralliement partisan exclusif évident.
Notre réponse politique ne peut se réduire à la dénonciation du racisme que peinent à cacher les candidats d’extrême droite. Elle est davantage fondée sur la racialisation de la question sociale dont l’extrême droite fait son commerce politique.
Les enquêtes des chercheurs nous confirment ce à quoi nos initiatives en territoires nous confrontent : « la question raciale est toujours articulée à des questions socio-économiques. Les discours racistes ne sont jamais uniquement identitaires. Il est toujours aussi question de pouvoir d’achat, d’accès aux services publics, d’école ou encore de pessimisme économique vis-à-vis de l’avenir. L’idée dominante qui circule parmi les électeurs du RN est que si certaines minorités ethno-raciales ont moins accès aux aides sociales, alors on paiera soi-même moins d’impôts, on pourra bénéficier de davantage d’aides… Autrement dit, la thématique de la préférence nationale, qui est racialisée, est aussi économique et renvoie à des intérêts proprement matériels. On ne peut donc pas opposer une lecture sociale d’un côté, et une lecture identitaire, « sociétale » ou culturelle de l’autre »(Félicien Faury, dans Alternatives Économiques, 01 juillet 2024).
On croit connaître, on croit comprendre, mais qui est l’autre ? Mobilisé.es dans nos actions et porté.es par nos désirs de solidarité, notre première réaction au lendemain des élections est d’abord la sidération. Nous-mêmes partageons souvent cette incapacité à se projeter. Nous savons, en gros, sans toujours savoir le comprendre vraiment pour en faire une base concrète de mobilisation, la redistribution des richesses ne suffit pas. Mais, nous savons aussi que la revendication formelle de redistribution des pouvoirs ne suffit pas non plus.
Nos engagements qui motivent nos prises d’initiatives butent sur un obstacle qui vient de la prégnance d’un principe de subordination perçu comme contrainte. Ce principe pèse sur les parcours personnels. Souvent, s’il n’est pas contrecarré par l’action collective solidaire, il est associé à une perte d’autonomie, à un sentiment de domination et, pour beaucoup qui pouvait croire que leur parcours scolaire aller les « élever » socialement, à la perception d’un déclassement.
Celles et ceux à qui s’adressent nos initiatives solidaires vivent ce contexte qui régit nos relations à celles et ceux, les élu.es et leurs agents, qui représentent nos territoires. Ce contexte qui amoindrit nos capacités d’action collective en solidarité est le terrain, terreau, de nos tentatives d’action solidaire. Nous le savons, mais n’en prenons pas toujours conscience, il se construit dans la relation au travail, à ce par quoi s’incarne le travail, en emploi, même et surtout, lorsqu’on en est privé.
Nos incapacités à la prise d’initiative, nos solidarités empêchées ne trouvent-elles pas là leur explication ?
Des enquêtes menées par des chercheurs systématisent nos propres constats provenant de notre connaissance du terrain. « Quand on n’a pas de marge d’initiative, quand on a un travail extrêmement répétitif et cadré, on façonne une personnalité qui se sent impuissant à peser sur son destin et ne voit pas l’intérêt à se déplacer pour aller voter »(Thomas Coutrot, Le Monde, 28 juin 2024).
Mais, nous savons que c’est plus difficile encore. Dans nos quartiers, nos banlieues, nos villages et petites communautés territoriales, nous sommes confrontées à des points de vue que notre volontarisme ne suffit pas à contrecarrer, des points de vue qui confortent la résignation.
Parfois, c’est la révolte et elle nous échappe, nous les volontaristes de la solidarité.
Les « gilets jaunes » ont-ils été réceptifs à nos initiatives solidaires dans nos bassins de vie et de travail dans nos territoires ? Le fait que cette mobilisation se soient concentrée sur les abords des territoires, sur les rond-points aurait du nous alerter sur les insuffisances en mobilisation solidaire de ce qu’incarnent comme alternative à nos incapacités personnelles certaines de nos initiatives collectives portées en lieux dits tiers ou, plus globalement, en projets qui se veulent inclusifs.
Nous sommes bien conscients de la dimension socio-territoriale de ces initiatives empêchées. Nous savons comment s’exprime la citoyenneté de ces catégories sociales coincées entre des espaces sociaux inaccessibles et des espaces indésirables.
Mais, ne sommes nous pas, parfois, de fait, complices de cette « conscience sociale triangulaire » dont nous parle le chercheur Olivier Schwartz. Pour lui, l’antagonisme social se donne à voir non plus sous une forme binaire – les classes populaires contre la bourgeoise – mais ternaire : certains individus et groupes sociaux se sentent pris en étau vis-à-vis d’une pression qui vient à la fois du « haut » et du « bas ».
C’est cette conscience sociale que Félicien Faury (« Chez les électeurs RN, il y a une racialisation de la question sociale », Alternatives Économiques, 01 juillet 2024) nous aide à comprendre :
« Sur mon terrain (de recherche), cet antagonisme est très ancré territorialement. Les électeurs du RN auprès de qui j’ai mené mon enquête ont l’impression de se faire rattraper d’un côté par les classes supérieures fortement dotées économiquement qui s’installent pour profiter des « coins tranquilles », qui viennent s’approprier ces territoires, et font augmenter le prix du foncier ; et de l’autre par « les quartiers », où vivent beaucoup de classes populaires et de personnes issues de l’immigration. Ils ont l’impression que « ça arrive », que leur quartier subit cette « invasion ». Et qu’en même temps, s’ils souhaitent déménager, cela va être compliqué car les territoires désirables deviennent, justement, de plus en plus inabordables. Cette impression d’un immobilisme résidentiel subi vient nourrir le vote RN. On parle beaucoup du déclassement comme déterminant du vote RN. Chez les personnes interrogées, il s’agit d’un déclassement vécu comme collectif, à l’échelle du territoire, et qui peut s’extrapoler à l’idée que le pays en entier est en déclin ».
Mais, nous faisons le même constat dans la mise en œuvre de nos initiatives solidaires. Les électeurs ayant cette impression d’immobilisme territorial ne réagissent pas de la même manière face à la pression perçue comme venant du haut, et à celle venant du bas. « La pression venant du haut est perçue comme un donné qu’on ne pourra pas changer. Elle n’est donc pas politisée. Il y a un fatalisme, sous la forme d’un « qu’est-ce que je peux y faire ? » A l’inverse, la pression par le bas, parce qu’elle est rattachée à la question de l’immigration, est perçue comme évitable. On observe là l’un des effets du racisme sur les perceptions de classe ».
L’une d’entre nous, de l’Apes, en charge des projets d’inclusion et d’insertion au sein d’une équipe d’animation transverse opérant en lien avec 15 Centres Sociaux du territoire Valenciennois, nous dit la difficulté de parler de ces questions avec les 15 conseils d’administration de ces mêmes centres sociaux : « Au moment des dernières présidentielles on a décortiqué les programmes politiques des candidats. De fait, ils ne s’y retrouvaient pas, mais c’était difficile de prendre une position explicitement politique ». Le refus de tout contenu partisan pourrait nous faire « éviter le politique » et laisser les potentiels acteurs locaux dans le déni.
Nos initiatives solidaires sont confrontées à l’immobilisme résidentiel, souvent vécu comme relégation, parfois associé à l’indécence du logement, toujours associé à une mobilité professionnelle contraignante. Elles ont à se défaire d’une incapacité à la projection solidaire, associée au sentiment d’un avenir confisqué (Nicolas Duvoux, « L’avenir confisqué, inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoine », PUF, 2023) ; sentiment qui se traduit par de la résignation et la culpabilisation de ceux à qui sont attribuées les causes de ce déclassement, « ceux qui prennent la place, qui touchent les aides, s’installent, scolarisent leurs enfants…. ».
Avec toutes ses limites, notre réponse, notre prise de parti politique n’est pas de « faire la leçon aux gens » mais de partager l’expérience de nos solutions alternatives en solidarité.
Alors, lorsque nous encourageons les initiatives solidaires porteuses d’un développement endogène des territoires en les rendant viables économiquement par la mobilisation de moyens en commun, lorsque nous facilitons les pratiques d’entraide et de coopération de proximité, lorsque nous créons des « entreprises pour l’emploi solidaire sécurisé » que nous nous efforçons de contribuer à les rendre soutenables et durables, mettant ainsi en œuvre un droit à l’emploi qui vient renforcer les droits sociaux et au logement, nous faisons valoir la préférence solidaire comme de notre réponse politique commune.
Les acteurs pour une économie solidaire
appellent à faire société
Les résultats des élections européennes puis du premier tour des élections législatives ont été marqués par l’importance du score de l’extrême droite. Cette réalité électorale n’est pas un épiphénomène, elle traduit les multiples fractures et le désespoir qui traversent notre société. Nous saluons bien sûr la constitution du nouveau front populaire qui a ravivé un espoir et permis l’expression d’un vaste front républicain. Le pire a ainsi été évité et nous nous réjouissons du résultat final de ces élections législatives.
La situation politique issue de ces élections législatives ne peut cependant nous satisfaire. Les inégalités sociales, produits d’un système économique dominant brutal à l’encontre de nombreuses personnes (salariés, chômeurs,
sans papiers, femmes…), les conséquences du changement climatique, l’éloignement des services publics dans de nombreux territoires, l’impression souvent bien réelle d’être abandonné, tout ceci demeure. Le seul changement politique ne peut résoudre la crise sociale et culturelle dans laquelle nous nous sommes enfoncés :
La société civile à travers ses corps intermédiaires doit prendre toute sa place dans la reconstruction de la cohésion sociale. C’est à cette condition que nous surmonterons la crise sociétale actuelle et que nous arriverons à faire société, à reconnaître nos différences et à vivre ensemble dans notre diversité.
Les initiatives que l’Apes et les acteurs de l’économie solidaire déploient sur les territoires sont une mobilisation pour les droits sociaux, culturels, pour le droit à l’emploi, au logement, à une alimentation saine, à la sécurité, à la préservation des ressources et de la biodiversité. C’est une action collective et plurielle, porteuse d’intérêt général, pour l’effectivité de ces droits, leur maintien et leur extension. Nos initiatives solidaires valorisent et privilégient l’action en commun, c’est notre perspective démocratique.
Pour autant, nos actions n’ont pas réussi à empêcher l’enracinement d’un discours de repli sur soi, de peur et de désespoir. Ce qu’a révélé en pleine lumière la séquence électorale que nous venons de vivre doit nous interroger
et interroger nos actions. Tout n’a pas été tenté pour redonner de l’espoir et nous n’avons pas réussi collectivement à trouver les chemins d’une société désirable. Il faudra prendre le temps de la réflexion mais deux axes de travail apparaissent d’ores et déjà :
-> être plus proche de ceux qui s’estiment délaissés,
-> développer et porter un discours politique émancipateur.
Plus que jamais, il faut réaffirmer notre référence pratique à l’éducation populaire. Être à l’écoute, apprendre de l’autre, limiter un jargon rassurant pour les initiés mais excluant pour les autres, voilà sans doute quelques points de repère qu’il nous faut davantage prendre en compte. Certains territoires souffrent plus que d’autres, la vie y est plus difficile, il est donc plus difficile d’y imaginer un avenir dynamisant. Ces territoires méritent notre attention et nous devons réfléchir à notre investissement.
La politique ne peut être entièrement déléguée aux partis, il appartient aux acteurs de la société, en particulier à nous acteurs pour une économie solidaire, de porter haut et fort une voix pour la démocratie économique, pour la transformation sociale, écologique économique et démocratique. L’économie solidaire doit développer et porter avec pédagogie un discours alternatif à celui de l’économie mainstream. Cessons d’être un laboratoire pour devenir une espérance.
L’avenir sera ce que nous ferons, rien n’est écrit. Si nos archipels forment galaxie, nous pèserons économiquement, socialement et culturellement, l’économie solidaire pourra affirmer son projet de remettre l’économie au service de l’humain et des territoires de vie. A travers nos initiatives, affirmons la préférence solidaire.
APES – Appel suite aux élections législatives de juin et juillet 2024