Dis leur que tu les aimes, les artistes…

Tels étaient les propos de François Hollande à la novice Fleur Pellerin qu’il venait de nommer Ministre de la Culture : « Dis-leur que c’est bien, que c’est beau. Ils veulent être aimés ».

Et toi aussi, tu les aimes, tu es constamment avec des gens qui disent les aimer. Tu les aimes vraiment, toutes et tous ? Tu n’aimes pas toujours tout ce qu’iels font, mais tous tu les trouves, comment dire, méritant.es, non, pas méritant.es, c’est trop condescendant. Tu les trouves souvent inspirant.es. J’arrête l’écriture inclusive, c’est contraignant, ça ralentit ma propre inspiration…Inspirants, oui, c’est ça qu’il faut dire. En tout cas, utiles ; utiles et pas chers. Evidemment certaines œuvres, tu les trouves, chères, enfin pour toi. Il t’arrive même de dire, ou tout au moins de penser, sans le dire, que c’est cher pour ce que c’est. Mais très souvent tu n’as pas à te poser la question ; tu peux voir ce qui t’intéresse sans avoir à payer. C’est normal, tu leur rends service en allant voir ce qu’ils exposent ; s’il fallait payer en plus…Ah bon, on leur doit un droit chaque fois qu’ils exposent ? Première nouvelle…

En tout cas, globalement, c’est utile, c’est ce que tu dis souvent ; ce n’est pas cher et c’est utile. Ils vivent plus d’aides publiques que de leurs ventes, c’est ce que tu dis souvent. C’est vrai pour beaucoup d’artistes, mais particulièrement pour les plasticiens et autres artistes en arts visuels, c’est ce que tu as montré la fois dernière en montrant des statistiques sur l’origine des revenus des artistes auteurs. C’est pas croyable, tu mets des statistiques et des considérations économiques partout, c’est soûlant. Ca démolit toute la magie de leur activité, et en plus tu dis souvent que ce sont des aspects dont ils n’aiment pas parler. Ça fait partie de leur choix de vie. De quelle vie, de quoi tu parles ? Oui, ils l’ont choisi et ne sont pas surpris que ça se passe comme ça pour eux. Tu avais l’air de dire que c’était plus une composante de leur attitude devant la vie. Tu veux dire qu’ils font le choix de se mettre dans les difficultés qui constamment remettent en cause ce à quoi ils veulent donner leur priorité, leurs créations ? Tout le temps qu’ils passent à obtenir des moyens c’est du temps perdu pour poursuivre leurs créations. Enfin, pas tout, certaines activités sont dans la logique de leurs activités de création, de la gestion de projet, de la médiation, des ateliers « participatifs » avec des publics… Ah, les ateliers…pour beaucoup de financeurs diffuseurs c’est ça qui leur sert d’étalon pour mesure la compétence des artistes qu’ils souhaitent programmer, ceux qui ne se contentent pas d’exposer mais aussi, et surtout, savent tenir des ateliers avec les publics.

Récemment, tu étais parti à un, appelons ça, séminaire ; c’est comme ça que tu as dit que ça pouvait s’appeler quand tu es revenu. En fait, c’était une réunion organisée par un « lieu », qui fait « centre ressources » pour les artistes, surtout pour ceux qui veulent le devenir et se demande comment faire ; ce que celles et ceux qui sont passées par les écoles d’art n’y ont pas vraiment « appris » à être. Deux représentants d’un « collectif » très engagé sur les questions de rémunérations des artistes, qu’ils appellent les « travailleurs de l’art », venaient y rencontrer des « artistes » en devenir.

Lors de la présentation de tout un chacun, certain.e.s d’entre elles ont dit avoir commencé à trouver leur équilibre de vie artistique. Parmi les présent.e.s, seules les femmes semblaient être dans cette situation, même si elles en soulignaient la précarité. Elles disaient avoir un début de reconnaissance en tant qu’artiste, avec quelques expositions collectives à l’organisation desquelles elles avaient pas mal contribué d’ailleurs, et une pratique d’ateliers, dits, artistiques, pas la joie !, pas ce qui était visé, mais ça commence à le faire quand même.

D’autres étaient là, plutôt des hommes, jeunes, dans une position finalement assez paradoxale qui associaient l’expression têtue de la certitude de vouloir être, vivre comme, artiste, tout en en n’ayant pas, encore, la possibilité réelle. Pour l’instant, c’est un dispositif institutionnel, départemental, d’accompagnement de personnes au RSA, qui leur permet de fréquenter un centre de ressources et de rencontrer des pairs à différents niveaux de construction de cette position instable d’artiste à laquelle ils aspirent. Tu disais qu’en « réunion », assis en rond sur des chaises dans cet espace indéfini, à la fois salle de réunion, salle d’exposition, ils n’avaient pas encore quitté cette attitude à la fois faussement détachée, en retrait, ce que confirmait leur posture physique un peu avachie, marquant une moue dubitative, mais affichant aussi une morgue à peine amusée, empreinte d’une pointe d’ironie, à mi-chemin entre protestation timide, lorsque leur situation précaire est évoquée par les intervenants, et remerciement contraint pour l’accès donné à des informations et à un début d’introduction dans un milieu qui ne les reconnaît pas encore totalement comme les leurs.

Cette situation que tu as vécue lors de ce séminaire, tu me disais que cela te changeait des réunions plus convenues avec des membres des milieux artistiques locaux tels que tu as désormais l’habitude de fréquenter. Dans ces réunions auxquelles participent des représentant.e.s de « structures » – C’est comme ça que le milieu arts visuels nomme les associations qui se donnent des objectifs divers en matière d’arts visuels- et d’ « institutions » -C’est comme ça que l’on dénomme les organisations publiques chargées de mettre en œuvre les politiques publiques qui concernent les arts visuels-. Structures et institutions se veulent d’autant plus organisatrices, ensemble, des activités artistiques que leur financement est essentiellement public. Les représentants des galeries, lorsqu’ils participaient à ces réunions arts visuels avaient tendance à renvoyer structures et institutions dans le même champ, celui du « public », quand bien même ces structures associatives relèvent du droit privé, celui de la loi 1901. Cela situe bien le mode d’assemblée auquel correspondaient ces fameuses réunions dont tu m’as si souvent parlé. En fait, l’institution n’est jamais bien loin. L’impression pouvait être donnée que le travail engagé dans ces réunions s’apparentait plus à un travail de commission au sein d’un organisme public plutôt qu’une assemblée d’acteurs économiques en arts visuels. Tu as pu constater que le mot assemblée fait peur. Il ne manquerait plus que la question de la représentation de ces acteurs auprès des institutions publiques et des collectivités politiques soit posée. Ceux qui, du fait de situations acquises précédemment dans des conditions qui n’ont pas fait appel à un mode « électif » et qui occupent ces positions de représentation ne veulent pas que la question soit posée. De fait, dans ces réunions sensées faire assemblée des arts visuels dans la région, les artistes ne sont pas présents, ou très peu et avec une présence qui les infériorise. Ils le sont par évocation, certes des évocations largement bienveillantes, trop peut-être. Certain.e.s représentant.e.s de structures en amènent parfois un ou une sur le sort duquel tous se penchent, mais pour signifier qu’ils ont besoin d’être représentés par d’autres, par nous. Qui représente qui, comment les personnes interviennent elles dans ces réunions, pour la structure sensée parler d’une voix unique, pour les personnes elles-mêmes, en tant que responsables de la structure et ou en tant que salarié de ces structures ayant des aspirations et des positions qui les font exister en tant que travailleur du secteur, parfois même en tant que citoyen ayant à cœur l’avenir de ce secteur d’activité et de son poids social et économique ? Les personnes, ici, en oublient momentanément ou durablement, le sort qui leur est réservé dans ces structures lorsqu’elles ne sont pas à leur direction et n’en sont que des salarié.e.s souvent peu reconnu.e.s et finalement peu assuré.e.s de leur propre trajectoire personnelle. Tu me disais que tu avais eu la surprise de voir évoquée d’une façon hésitante par l’une d’elles la question des conventions collectives, en fait inexistantes dans ce secteur des arts visuels. La personne qui en avait parlé avait presque voulu retire ses mots, tant elle se considérait privilégiée par rapport à la situation moyenne réservée à celles et ceux qui se veulent artistes et en payent le prix de la précarité. Il t’a fallu les enjoindre à ne pas évacuer ces questions. Mais tu faisais aussi remarquer que ces mêmes structures, en fait associations de promotion de la chose artistique, en art contemporain notamment, « cornaquait » quelques artistes, et que parfois, ils (elles, souvent) les amener dans l’une ou l’autre manifestation, mais c’est ici à prendre au pied de la lettre, plus exhibition que démonstration, au sens anglo-saxon du mot, de l’existence du secteur des arts visuels. Ces artistes sont en quelque sorte montré.e.s, un peu comme des faire-valoir de l’activité de celles et ceux qui les montrent. On attend d’eux qu’ils (elles) se conforment à leur position, une élocution réduite, souvent hésitante, une attitude révérencieuse plus ou moins consciente vis-à-vis de ceux qui les ont amenés. Une trace d’arrogance est néanmoins acceptée comme faisant partie du personnage à condition que l’expression ne remette pas en cause la légitimité construite des structures organisatrices des événements promotionnels.

Ah, ces artistes, ils ne savent pas jouer collectif ; il faut qu’on les accompagne. En fait, ils jouent plus les collectifs qu’on ne le pense ou que les représentants de ces structures prescriptives des activités artistiques ne le pensent. Mais ces collectifs sont souvent éphémères, fragiles, en porte à faux par rapport aux processus de valorisation de l’activité artistique. Ces processus sont bâtis sur des modes de reconnaissance essentiellement individuels alors que les singularités artistiques sont souvent indissociables de processus collectifs de création, monstration, diffusion largement sous les radars de l’action publique.

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