En quête d’une rémunération garantie pour les artistes

Avec le Réseau Salariat  et son Groupe Culture

Je participe aux travaux du Réseau Salariat Groupe Culture. Ma participation aux travaux du Groupe est fondée sur ma forte implication auprès d’artistes et de collectifs. Avec eux, je constate que le maintien de leurs activités est de plus en plus lié à des pratiques interdisciplinaires du point de vue des domaines et formats artistiques et que leurs pratiques sont de plus en plus ouvertes à des coopérations avec d’autres « travailleurs » dont ils partagent les ressources et les projets.

Dans ces contextes, la question de la rétribution est tout à fait essentielle. Elle l’est d’autant plus qu’elle dépend des conditions d’équilibre et de pérennité des formats de rémunération, par-delà les différences de statuts et les types d’emploi. En effet, comment prendre en compte collectivement, et même au regard des désirs de créer dans des relations de coopération, les situations créées par les projets de création artistique partagés par ceux qui relèvent du statut de salarié intermittent et ceux qui se rémunèrent par des « avances sur droits d’auteur »… ?

Les éléments avancés dans les travaux menés au sein du Réseau Salariat, posent les bases d’une « cible » susceptible de répondre aux attendes de nombreux contributeurs à ces pratiques artistiques/culturelles partagées. Certes, il faut encore enrichir la cible pour qu’elle offre une perspective désirable. Mais, comment la mettre en œuvre, en continuant à l’élaborer  avec les personnes concernées tout en s’appuyant sur toutes les potentialités d’alternative déjà en germe.

Aujourd’hui, le contexte est rendu encore plus difficile par la crise sanitaire qui ne fait que renforcer celle déjà là par l’extension du prima néolibéral donné au tout marché que ne contrebalance que peu une intervention publique de plus en plus alignée sur la dynamique néolibérale. Pourtant, les voies alternatives sont déjà au travail au sein des collectifs artistes. Ces collectifs n’ont pas attendu des contextes plus favorables pour exploiter des opportunités de développer des alternatives en termes d’agencement de leurs activités et de leurs formes partagées de rémunération.

Mais, toutes les potentialités sont loin d’avoir été repérées, expérimentées et soutenues pour qu’elles soient plus effectives par leur début de reconnaissance. Plus que normaliser la cible, il me semble que c’est le chemin vers ces formes mutualisées de rémunération pérenne qu’il faut mieux maîtriser pour en faire une vraie alternative.

Ces potentialités, quelles sont-elles ?

Il y a déjà ce que pourrait permettre l’extension du régime des intermittents, en réduction des heures exigées et en reconnaissance de davantage d’activités.

Une autre voie me semble être représentée par les expériences d’auto ou de co rémunérations au titre de contributions à des projets faisant l’objet de budgets contributifs. Ces rétributions peuvent être cumulées sur un statut de salarié, sous contrat CAPE ou de salarié coopérateur, au sein d’une CAE, coopérative d’activité et d’emploi. Évidemment, elles demeurent dépendantes de la hauteur des financements des projets de création.

Dans l’état actuel de mes réflexions sur ces potentialités de rémunération garantie et pérenne, deux questions préalables me semblent se poser. Leur non prise en compte pourrait mettre en cause toute perspective de salariat continué.

La première question est celle de l’autonomie créative et de la garantie de non subordination. Une des façons « simple » et un peu défensive d’y répondre, en minorant de ce fait les contraintes de subordination, est, pour la personne, ici l’artiste, de multiplier et diversifier les relations contractuelles entrainant rétribution ; créant ainsi davantage d’indépendance par la multiplication des liens qui pourraient être assimilés à de la dépendance. Mais, c’est au risque de la précarisation ou de l’isolement s’il n’y a pas de dispositif collectif de sécurisation, en communs par exemple. De fait, il faut constater que les pratiques de création et les processus à l’œuvre révèlent une diversité de formes de coopération, non seulement dans les activités de création/fabrication/diffusion proprement dites, mais aussi dans le recours à des ressources mutualisées pour  créer les conditions économiques et institutionnelles de production de ces œuvres. Les collectifs dans le spectacle vivant pratiquent déjà ces formes et agencements mutualisés. D’autres collectifs, associant des artistes plasticiens à d’autres plus aguerris aux formes du spectacle vivant, notamment ceux porteurs de lieux partagés, le découvrent à leur tour.

La seconde question est celle de la logique de rétribution et de ses liens avec les valorisations et donc les évaluations en travail. La difficulté repose ici sur la nature de l’institution sur laquelle s’appuie le principe de rétribution. Bernard Friot fait remarquer que « ce n’est pas le contenu d’une activité qui conduit à la définir comme du travail, mais l’institution dans laquelle elle s’inscrit ».

Du fait de la situation salariale d’où l’on vient, un premier moment de recomposition des formes de rétribution, me semble devoir être d’assurer la déconnexion des formes de rétribution de leur évaluation en travail marchandise. C’est cette déconnexion qui est assurée par les expérimentations de rétributions en termes de contribution.

Dans le contexte d’un « écosystème contributif » nous expérimentons dans les Hauts de France, cette forme de mobilisation de budgets et revenus contributifs. Un numéro de la petite revue « Imaginaire Communs » éditée par le collectif Catalyst ANIS, en cours de publication, fait une première présentation de ces expérimentations.

Mais, cette première déconnexion apparente ne peut manquer d’un appeler une autre, par une institution qu’il nous reviendrait de créer en nous appuyant sur des logiques solidaires existantes. L’important serait ici qu’elle ne relève pas d’une solidarité marginale et défensive mais repose bien sur un principe de contribution en activités et travail ainsi que d’engagement et d’utilité sociale reconnus. Il est de ce point de vue intéressant de regarder ce qui a commencé à se profiler comme « salariat, au-delà du salariat » (M-C. Bureau et A. Corsani, eds.) et comme « emploi, au-delà de l’emploi » (A. Supiot, ed.) pour reprendre les titres de certaines synthèses de travaux de recherche sur ces thématiques.

C’est ici que la créativité politique et institutionnelle devrait s’exercer pour envisager ces institutions à différents niveaux d’intervention. Cela devrait/pourrait être tout d’abord un niveau local, en phase avec les contenus d’activités, leurs domaines et territoires d’expression et de réalisation, au plus proche des salariés individuels et personnes morales associés à leur « gouvernance », dans une logique de « caisse primaire » par exemple. Mais, cela devrait / pourrait tout autant, ou aussi, être un niveau plus global national, relevant d’une logique de fonction publique.

Certains collectifs d’artistes expérimentent des formes de mise en communs des projets, budgets et modalités de rétribution à la marge des dispositifs réglementaires actuels. Ma préoccupation est de nourrir ces expérimentations, de les conforter et les pérenniser en les mettant dans une perspective « progressiste », mais sans les renvoyer à un horizon politique, certes souhaitable, mais pas immédiatement atteignable.

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