Faire converger les recherches et les expérimentations sur les nouvelles de rémunérations, pour un salariat au-delà du salariat, ordinaire…

Parmi d’autres, mais pas tant que ça…, j’ai été et suis encore un acteur qui a contribué à une certaine popularisation « des communs » dans un petit écosystème local, porteur de ce que l’on a appelé des « initiatives solidaires en communs ». Cet « écosystème » fait de la référence aux « communs » son point de ralliement. Il le fait sur la base d’une définition limitée, peu mise en perspective théorique et politique. Dans un premier temps, cette définition très centrée sur une économie des ressources, a permis, du fait de sa simplification/réduction, une diffusion assez simple et consensuelle. En fait, coupée de toute référence contextuelle et de toute mise en perspective des transformations convergentes du capital et de l’État, elle permettait la cohabitation pérenne dont nous parle Patrice Grevet dans un texte récent[1]. Cette cohabitation pérenne avait certes l’avantage de permettre de ne pas différer la mise en action et l’expérimentation d’une économie basée sur les communs. De ce point de vue, l’ambiguïté d’une définition limitée des communs n’a pas été qu’un obstacle, elle a été aussi une opportunité pour problématiser des formes alternatives d’action en communs, de mise en communs. Par exemple, l’ écosystème émergent en communs sur le territoire lillois se voit financé par les pouvoirs publics pour mettre au point un KIC, Kit Incubateur en Communs, sorte de « prêt à agir en communs », manuel de cohabitation pérenne…Que faire ? Faut-il faire le pari que l’intention et la pratique de la mise en œuvre débouchera sur la compréhension, dans l’action, du double danger d’enclosures par la logique du capital, comme rapport social, et par l’action étatiste ? Cela suppose que les enjeux juridiques et institutionnels soient bien posés, ce qui manque à la définition simplificatrice des communs qui sert de base à la diffusion courante de ce que serait une alternative en communs.

Mais, on peut considérer que nous sommes aujourd’hui à un tournant où les effets contreproductifs de cette définition réductrice de l’agir en communs se font sentir. En tout ça, les prises d’initiatives en communs sont aujourd’hui face à la nécessité de s’expliquer et d’expliciter les enjeux.

Les contextes où cette nécessité théorique et pratique s’affirme sont, principalement, d’une part, celui des « agencements socioéconomiques locaux » et, d’autre part, celui des dynamiques de rémunération par la contribution, « au-delà de l’emploi » et constitutif d’un « salariat, au-delà du salariat ».

Le premier contexte est celui que constituent les dynamiques autour des « tiers lieux », des « lieux culturels  intermédiaires » (souvent amorcées dans des pratiques d’occupation de friches urbaines industrielles…), mais aussi des pratiques de « développement/reconversion » territorialisées, à l’initiative des dynamiques politiques locales.

Dans ce premier type de contexte, les problématiques en communs qui sont diffusées dans les réseaux des lieux intermédiaires (par exemple la CNLII, http://cnlii.org/) s’efforcent de dépasser les limites d’un en communs restrictif que l’on retrouve majoritairement diffusé par les pouvoirs publics dans la mesure de leur capacité à discipliner le mouvement des tiers lieux (au niveau local avec la création de la Compagnie des Tiers Lieux avec le soutien de la MEL, https://compagnie.tiers-lieux.org/), et au niveau national, avec la création de France Tiers Lieux, https://francetierslieux.fr/). On retrouve le même contexte de cohabitation à l’œuvre dans les collectivités territoriales, par exemple dans la présentation/discussion du PSTET (plan stratégique de transformation économique du territoire) promu par la MEL.

Le second contexte est celui de la construction des formes individuelles de viabilisation et de rémunération économiques des actions potentiellement engagées en communs. La solution de cohabitation pérenne prend ici la forme de la coopérative pour les organisations collectives et de la CAE (coopérative d’activités et d’emploi) pour les individus. A cela il faut ajouter l’expérience récente des EBE (entreprises à but d’emploi) sur lesquelles s’appuient les programmes TZCLD. Mais, là on est proche des « solutions réservées » aux publics plus mis « en réserves » qu’en communs, avec le risque de réinventer les « ateliers nationaux »…

Ici, dans ce type de contexte d’action pour la rémunération, le dépassement de ce qu’implique une définition restrictive des communs conduit à se rapprocher de problématiques développées dans d’autres dynamiques, par exemple celle développée autour de Bernard Friot, avec le Réseau Salariat (https://www.reseau-salariat.info/) et le groupe Culture de ce réseau (https://www.reseau-salariat.info/groupes/culture/) dans la mesure où les terrains lillois d’expérimentation et d’action font se poser ces questions de rémunérations et d’agencements collectifs dans le contexte des activités liées à la création/action artistique. Mais là, cette dynamique se fixe comme objectifs « opérationnels » la mobilisation d’une cotisation à faire accepter par les pouvoirs publics et la création d’une sécurité sociale sectorielle pour le salariat continué et garanti pour les travailleurs de la culture. Elle ne permet pas de penser des points d’appui actuels à l’action en communs dans les dispositifs actuels privés et publics de financement ou maintien des rémunérations, ou dans les marges et angles morts de ces dispositifs.

Imaginons un partenariat susceptible de développer des « recherches participatives autour et au-delà de l’emploi » sur la base d’éventuels partenaires, ceux avec lesquels je collabore et qu’il me serait facile de contacter rapidement et ceux dont je connais les travaux qui me sembleraient un apport précieux mais que je ne connais pas personnellement, sachant que le fait de les contacter de la part d’ATD/TZCLD pourrait retenir leur attention du fait de la notoriété d’ATD et de l’impact actuel de TZC.

Tout d’abord, pour développer des recherches, dites, « participatives » mais être pris en considération par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) il faut des partenaires susceptibles d’être, pour certains, dans un rapport de compréhension critique des expérimentations portant sur les formes alternatives de rémunération, et, pour d’autres, dans un positionnement de recherche plus en phase avec le débat scientifique sur ces questions.

La prise en compte, critique, des expérimentations sur les dynamiques alternatives (Je veux dire autres que les formes d’insertion professionnelle « classiques » dans l’emploi ordinaire…) me semble importante. Ces expérimentations sont plus « en exploration », sans être en aveugle du point de vue  des problématiques qui sous-tendent ces expérimentations, que véritablement appuyés sur des modèles économiques et politiques préexistants. Mais elles ont l’avantage de poser, dans leur propre démarche de recherche-action, comment les processus de problématisation (Où est le problème, pourquoi faut-il l’aborder ?) dans le même temps que l’on comprend les logiques d’action et d’acceptation de l’action, comment les personnes concernées peuvent se construire des représentations valorisantes pour elles-mêmes et les autres de ces processus alternatifs de viabilisation économique. La recherche doit traiter, dans l’action/expérimentation, les questions suivantes : Est-ce que ça représente des conditions de viabilité économique acceptable pour moi, est-ce une vraie solution même si ce n’est pas un emploi ordinaire, quelles garanties, quelles protections sociales, si l’on considère que ces éléments sont essentiels ? etc. Est-ce que j’ai raison de participer à ces dispositifs/actions qui peuvent apparaître comme des pis-aller ou des solutions provisoires ou marginalisantes ?…

C’est un peu ce que tente de faire le collectif local auquel je participe au sein de cet « écosystème local expérimentant des budgets et revenus contributifs, en commun » (https://anis-catalyst.org/communs/imaginaire-communs/imaginaire-communs-1/).

Une passerelle entre ces expérimentations et les approches plus problématisées sur l’ « emploi au-delà de l’emploi » pourrait être représentée par les travaux de Lionel Maurel sur les Droits Communs du Travail (https://scinfolex.com/2017/11/18/droits-communs-du-travail-et-droit-au-travail-dans-les-communs/).

La mise en relation de ces expérimentations avec les problématiques sociologiques et économiques est aussi l’objet d’un nouveau programme de recherche de la Chaire ESS, notamment avec le projet TACT (https://christianmahieu.lescommuns.org/wp-admin/post.php?post=145&action=edit)

De ce point de vue la ChaireESS pourrait être un partenaire du projet ATD TZC. Mais, du point de vue de l’ANR, la ChaireESS n’étant pas considérée comme un « vrai » labo, trop lié aux acteurs de l’ESS, elle doit passer par les labo universitaires de ses membres, le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSE) de l’Université de Lille et le Centre de Recherche Interdisciplinaire en sciences de la société (CRISS) de l’Université Polytechnique des Hauts-de-France.

D’autres chercheurs pourraient être associés à ce projet du fait de leurs travaux sur :

– l’ « au-delà de l’emploi » (Alain Supiot, ancien professeur au Collège de France, il a porté des recherches européennes sur cette thématique, ouvrant des pistes pour des travaux convergents en cours),

– le « Un salariat au-delà du salariat ? » (C’est le titre d’un livre collectif de Marie-Christine Bureau et Antonella Corsani) (https://www.pantheonsorbonne.fr/unites-de-recherche/idhes-homepage/membres/bourg-la-reine-chercheurs-enseignants/antonella-corsani/);

-le Réseau-Salariat (https://www.reseau-salariat.info/), autour de Bernard Friot, universitaire (Institut européen du salariat, https://ies-salariat.org/) en même temps que très engagé pour une option alternative associant sécurisation du salaire, droits sociaux et financement par la cotisation.

Permettre à ces potentiels partenaires de collaborer entre eux et avec TZCLD permettrait de relever le défi que représente cette recherche.

[1] Patrice Grevet, « Que retenir des communs pour une alternative ? », Les Possibles (revue d’ATTAC), n°27, 2021.

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