Le Parlement de la Terre des Caps 2 :

Rencontres Résidences

La démarche RCA (recherche action création)a fait l’objet de plusieurs textes de présentation mais demeure assez largement à construire. Les résidences de repérage et les rencontres avec les partenaires dans le cadre du projet IEAC permettent de la préciser sous l’angle des formes et des contenus.

Les résidences recherche/création seront l’occasion de différents travaux et pratiques artistiques, « culturelles » et de recherche. On peut caractériser ces travaux sous deux angles, celui des contenus et celui des formats et des formes. Lors de chaque résidence et de l’ensemble des résidences se développant en quelque sorte comme un cycle, contenus et formes entreront en résonance s’interpelleront, formant ainsi un parcours, un cheminement assemblant des travaux de création et des conversations autour d« en quêtes ».

Le terme de « rencontre » pourrait assez bien rendre compte de ce type d’approche. Dans « rencontre » on peut mettre en avant le « re » qui affiche l’idée du renouvellement, de la remise en cause…On peut aussi pointer l’ « encontre », l’encontre, « à l’encontre », en s’opposant à, avec l’idée de la controverse collective, apprenante…

Rencontres en Résidences en Communs

La démarche RCA proposée (La proposition RCA fait l’objet d’une présentation formelle, cf. le texte….) répond à la sollicitation par un appel à projet « Médiations et démocratie culturelle dans les Hauts de France » initié par une fondation privée, la Fondation Caraso. Le collectif de chercheurs RCA porté par Groupe A, association de coopération culturelle regroupant des artistes et des chercheurs y a répondu par une proposition intitulé IEAC, pour Intermédiations Environnementales, Artistiques et Culturelles ( Proposition IEAC, cf. le texte…).

Dans l’esprit de ce qu’elle souhaite promouvoir, cette proposition, dans sa mise en œuvre, continue à s’affiner, se préciser et se reformuler. Elle ne peut le faire qu’en dialogue avec les acteurs impliqués ; ce qui est en cours.

Elle affiche un principe central, celui de l’intermédiation, de l’agencement d’espaces et milieux intermédiaires qui sont ceux de la rencontre. L’intitulé et ce qu’il est supposé argumenter comme problématique et formaliser comme dispositif de recherche création action ne peut alors se re formuler et se formaliser, c’est à dire se mettre en formats d’action création, que dans la dynamique même des rencontres que la mise en œuvre commune génère.

Cette dynamique se nourrit d’une recherche action sur l’émergence du commun, sur les mises en communs, sur les prises d’initiatives collectives et solidaires, sur les processus de « publicisation » par reconnaissance dans l’espace public, de ce qui fait alternatives aux formes socio-économiques et politiques instituées, que les pratiques collectives mettent en œuvre.

Ces communs 1ipeuvent alors être envisagés sous l’angle des milieux et collectifs ou communautés socio-économiques. Mais, ils doivent l’être aussi sous celui de leurs rapports au vivant, aux « sujets » non-humains ; ce que la référence à la notion de ressource partagée qu’elle soit matérielle ou immatérielle ne suffit pas à caractériser2

Cette proposition RCA/IEAC s’inscrit dans une voie ouverte par de nombreux travaux de recherche s’appuyant sur des pratiques, des expérimentations et des actions réflexives qui commencent à concrétiser et potentialiser la perspective de ce que pourrait être une « société du commun ».

Hervé Defalvard, dans un livre récent, « La société du commun, pour une écologie politique et culturelle des territoires », nous en propose une esquisse en focalisant ses constats et ses propositions sur ce qu’il dénomme les « territoires en commun(s) ». C’est ici une une formulation très convergente avec la proposition RCA/IEAC qui s’appuie sur une argumentation en milieux intermédiaires, en écosystèmes en communs qui vise à comprendre les processus biopolitiques de création/destruction d’activités, de relations, de synergies, de coopérations, de capitalisation et de mutualisation de ressources, d’échanges marchands et réciprocitaires, d’usages et d’accès, de dominations, de prédations.

Ces processus concernent tout autant ce qui relève de l’art, dans ses pratiques et formes artistiques, de la culture légitime, comme des cultures subordonnées et des différentes expressions culturelles.

Les « mondes » et milieux de l’art sont alors tout autant interpellés par cette perspective de l’en-commun, du commun, des communs créatifs.

Ici aussi, les matériaux et agencements culturels artistiques n’échappent pas à la controverse qui parcourt la dynamique des milieux intermédiaires ; dans laquelle les acteurs/créateurs se positionnent, soit explicitement, comme Peter Handke, dans un livre intitulé comme tel, « Mais, je ne vis que d’espaces intermédiaires », soit implicitement au travers de leurs pratiques de création.

Cela donne matière à resituer pratiques artistiques et pratiques de recherche création action (dynamique RCA) dans cette perspective de l’ « art en commun »3 dont Estelle Zhong Mengual donne trois critères, formant un idéal type commun4 . Le premier critère serait que l’activité de création soit « extériorisée », produite « dans le monde » et que « cette activité constitue le projet même » : n’est-ce pas là l’objet même de la résidence de création ? Le deuxième critère est celui de la coproduction de l’œuvre dans une perspective de collaboration et coopération du « monde » avec l’artiste. Le troisième critère souligne l’attention portée à la relation établit entre l’artiste et le milieu concerné, impliqué, et ce de différentes façons et à différents moments du « geste artistique » lui-même.

A la rencontre des milieux intermédiaires en terre des 2 Caps

Pour que ces résidences recherche création action prennent tout leur sens, il s’agit de mieux de mieux comprendre et faire se révéler à eux-mêmes ces possibles milieux intermédiaires. C’est l’objectif du programme RCA/IEAC. Contrairement à un travail d’étude et d’analyse cette démarche qui doit permettre une fabrique socio économique et bio politique de ces milieux dans la perspective de la prise de conscience collective de leur existence, de leur reconnaissance réciproque et de la construction collective de leur capacité d’action. Une telle fabrique suppose tout autant de prendre en compte les conditions relationnelles de l’habitabilité en Terre des 2 Caps que des conditions de l’agentivité des sujets, humains et non humains, de la construction de leurs capacités et pouvoirs d’agir. Faire converger ces deux types de conditions à l’occasion des résidences, et des rencontres qu’elles promeuvent, suppose aussi leur prise en considération simultanée sans renvoyer les premières à des catégories prétendument objectives et les secondes à des catégories perçues comme subjectives. Les conditions de l’habitabilité reposent sur des critères de positions et dispositions, sur des critères de mises en relations et d’échanges en situations. Les conditions de l’agentivité, fonction des capacités et pouvoirs d’action, reposent quant à elles sur les représentations, faites de jugements et argumentations. Ces conditions sont celles qui peuvent permettent la construction simultanée d’un « état des lieux » – D’où l’on vient-, associé à une synthèse projective -Où l’on voudrait aller-, et de l’association des justesses personnelles prenant son sens dans une synthèse projective, une vision commune.

Comprendre ces conditions demande de porter une attention aux processus de mise en dialogue, en conversation, d’influence, de mobilisation collective. Cela demande aussi de porter la même attention aux processus et modalités d’implication et d’engagement dans l’espace public y compris les sous espaces publics dominés, là où s’éprouvent les conditions d’exercice des droits naturels et ou légaux des humains et des non-humains. Cela met au centre de l’attention portée aux milieux la question de la différence sociale que constitue le rapport à l’avenir, la capacité à la « synthèse projective »5. Point nodal d’inégalités, plus ou moins perçues comme injustices vécues, ce sentiment de l’avenir constitue un point de vue plus significatif que la somme de ses déterminants.

Les travaux récents portant sur les comportements électoraux nous montrent les différenciations relevant de ces auteurs appellent des « classes géo-sociales ». Pour eux : « « la position des électeurs dans le tissu territorial et dans le système de production n’a jamais autant le vote que lors des dernières élections »6. On comprend alors que cela soit déterminant dans la composition des milieux et des intermédiations qui les constituent et les mobilisent. Ces milieux sont alors autant d’espaces relationnels potentiels porteurs des produits et contenus relationnels des interactions et de communalités, lorsque ces produits et contenus sont construits en communs, permettant de « faire milieu », de « faire commun »7.

Faire milieux en terre des 2 Caps, habiter, ici, maintenant et demain

Faire converger ces conditions liées aux modes d’habitabilité et celles liées aux capacités d’agir, aujourd’hui et en perspective d’avenir, différenciées selon les rapports aux territoires ne peut s’abstraire des contextes institués dans lesquels elles s’expriment dans l’espace public. Il s’agira alors de bien circonscrire ce que représente le contexte spécifique d’un « quasi-pays » de Côte d’Opale qui ne correspondant pas à un découpage administratif et d’un territoire correspondant globalement à une collectivité territoriale celle de la Communauté de Communes de la Terre des 2 Caps.

Le contexte, ici comme ailleurs, ne se réduit pas à quelques données prétendument objectives, ni à un découpage géographique. De plus, il est vivant, tout autant matériel qu’immatériel, plus ou moins stabilisé du point de vue de ses composants, en transformation continue. A le réduire à des catégories instituées ou faussement naturalisées, le contexte appréhendé comme « terrain » de recherche et d’action pourrait échapper à la démarche qui se veut recherche création action.

Caractériser le « territoire » dans ses dimensions socio économiques et bio politiques ne consiste pas à cumuler des données figées qu’elles soient socio démographiques, géo morphologiques, écologiques. Le contexte dans lequel s’inscrivent, se décrivent et s’écrivent les relations entre les sujets humains et non humais en interactions est le produit de processus complexes d’intermédiations. Pour Augustin Berque, dans son approche « mésologique » du contexte comme milieu, « Le milieu n’existe pas en soi ; il est milieu de quelque chose ou de quelqu’un ; il s’agit d’un ensemble d’intermédiations singulières qui se construisent corrélativement à ces sujets, humains et non humais, eux-mêmes ». Il ne peut l’être que comme un équilibre provisoire fait de tensions entre des processus qui contribuent, selon Berque, à « renaturer la culture et à reculturer la nature »8. Berque fait de la notion de milieu le centre de sa conception de l’existence humaine. La compréhension fine des milieux s’enrichit de la notion de « médiance » qui permet d’envisager l’existence humaine à travers les mouvements qui forment  « toutes sortes de combinaisons et de communautés à travers la division en d’innombrables individus », « Mais, si l’on saisit d’abord le caractère duel de l’existence humaine, il deviendra tout de suite clair que l’on doit en découvrir la spatialité simultanément et corrélativement à la temporalité ». « Ici se montre, en tant que médiance-historicité, la structure spatio-temporelle de l’existence humaine ». « La correspondance indissociable du temps et de l’espace est le substrat de la correspondance indissociable de l’histoire et du milieu ». Aussi le milieu est-il fait aussi de matérialité d’un contexte « naturel » auquel s’applique tout autant ces processus de médiance. Le milieu prétendument naturelle n’est pas simple territoire qui ne serait qu’un ensemble de caractéristiques physiques, géo morphologiques. Les tenants d’une approche « biorégionale » mettent en avant des processus similaires. Pour eux, à l’instar de Ludovic Duhem s’appuyant sur les propositions d’Alberto Magnaghi, « Le territoire n’est pas un objet, opposé à ce qui n’est pas lui, résultant d’une forme pure et abstraite appliquée de l’extérieur à une matière brute et passive. Le territoire au contraire enveloppe et résiste, il s’étend et se rétracte…S’il n’est pas un objet manipulable, il n’est pas non plus un simple support indifférent où placer des objets à loisir en fonction des intérêts prédéfinis sans lien avec sa réalité. Le territoire a une profondeur, un sol stratifié, une mémoire enfouie et des sources vivaces…Sa surface médiatise le sol et le ciel, elle est tracée, marquée, construite, par l’activité humaine autant qu’elle est traversée par des flux hydriques, aériens, chimiques, biologiques. Elle est aussi structurée par des récits, contes et légendes, par des croyances qui ouvrent et qui interdisent l’accès à certains lieux, à des moments précis ou pour toujours. Le territoire n’est pas en cela une image que l’on pourrait reproduire selon un modèle connu et stable, donnant un sens clair et univoque de ce qu’il est »9.

Envisager, au regard de ces conceptions mésologiques et biorégionales, le contexte territorialisé est une composition momentanée, faite de décompositions /recompositions des habitabilités, ou façons et formes de l’habiter, et donc des modes de vie et d’existence, des relations aux sujets humains et non-humains, mobilisés en ressources plus ou moins partagées, échangées, en synergies, en initiatives, en mobilités, en communalités (mises en communs et mutualisations, en dominations, en appropriations et accès plus ou moins tarifés.

Le contexte peut tout d’abord, pour qui prend contact avec les acteurs majeurs de l’espace public du territoire, se donne à voir selon les catégories de l’institution publique. C’est alors celui du territoire de la collectivité territoriale, communauté de communes de la terre des 2 caps qui regroupe 21 communes. Ce territoire administratif est le cadre institutionnel dans lequel s’opèrent de nombreuses actions publiques qui ont pour motif, par exemple, la définition d’un schéma de cohérence territorial (ScoT), document stratégique de planification à l’échelle des 21 communes de l’intercommunalité et auquel doivent se conformer ces 21 communes. Mais il faut aussitôt tenir compte des autres « espaces d’action institutionnalisée » par rapport à laquelle cette communauté de communes est contrainte de se positionner. Il pourra s’agir d’espaces  intercommunaux que peuvent être les syndicalisations intercommunales ayant à charge les espaces naturels, comme le Parc Naturel Régional des Caps et Marais d’Opale, le Grand Site des 2 Caps Blanc-Nez Gris-Nez, parmi les Grands Sites de France, les organisations liées à la gestion des bassins versant. D’autres espaces d’action institutionnalisée pourront « associer » cette intercommunalité à d’autres. C’est bien entendu les territoires que constituent le Département du Pas de Calais et la Région des Hauts de France selon leurs compétences administratives et politiques, mais c’est aussi la Côte d’Opale constituant une sorte de « pays » plus ou moins institué selon les enjeux géo morphologiques, socio économiques et biopolitiques.

Sous l’angle des descriptions associées à l’action publique, le territoire sera vu comme l’agglomération d’une « péri urbanité littorale » à une « micro urbanité post industrielle ».

Péri urbanité parce que les modes de résidence sur les communes du littoral et, de plus en plus, dans les petites communes de l’arrière littoral ne relève pas, ou plus, de la ruralité mais désormais majoritairement de résidences touristiques, qu’elles soient secondaires ou devenues permanentes. De nombreux critères en font des espaces de résidence dépendants des activités touristique qui doivent être vues à l’échelle du littoral et de l’arrière pays de la Côte d’Opale, mais aussi comme des espaces de résidence d’une population qui trouve à s’employer dans les deux métropoles qui polarisent les flux des personnes et des biens, la métropole de Boulogne sur Mer et celle de Calais, avec dans une moindre mesure l’agglomération Dunkerquoise. Cette péri urbanité est ainsi polarisée par le rapport aux « sites » touristiques, notamment le littoral, et aux agglomérations métropolitaines voisines.

Cet espace péri urbain se trouve associé à un territoire formé de plusieurs communes qui ont connu un développement industriel (les communes de Marquise, Rinxent, Ferques, Hydrequent) par la juxtaposition d’un « bassin carrier » au nord de Marquise et Rinxent, et d’un tissu d’entreprises métallurgiques qui se situent dans les villes de Marquise et Rinxent et s’étendent entre ces deux villes. Ce développement industriel a suscité un habitat ouvrier fait de « cités » qui s’étendent le long des rues et routes qui relient ces petites villes, et d’ensembles de logements sociaux, qui valent à la ville de Marquise de se voir reconnaître un « Quartier Politique de la Ville ».

Cette caractérisation par la péri urbanité littorale et la micro urbanité post industriel ne traduit que très imparfaitement la réalité des milieux tels qu’ils se composent dans les formes d’habitabilités qu’ils se donnent et les capacités d’action qui les mobilisent potentiellement.

Cette caractérisation traduit une équilibre apparent et provisoire qui masque des dynamiques auxquelles ces milieux sont aux prises, des dynamiques de l’« habiter », dés habiter / ré habiter, dans la territorialisation de ces milieux, dé territorialiser / Re territorialiser.

Ces dynamiques doivent être envisager au travers de ce qu’elles représentent pour les agents humains et non humains qu’elles mobilisent, selon ce qu’ils exercent comme capacités d’action et sont reconnus en droits. Ce qui va faire milieux et surtout milieux agissant sera la capacité collective de se projeter dans l’avenir.

L’espace de décomposition recomposition de ces milieux peut être représenter par la représentation vectorielle suivante.

Habiter le monde : composition des milieux, décomposition, recomposition

Rétrospectives/Jugements Positions / Dispositions Projections/Perspectives

Habiter

Résider

Se lier Relier

Transiter

Se déplacer

Travailler

Se rémunérer

Rémunérer

Valoriser

S’entraider

Échanger Acheter Donner Recevoir

Accéder (à la propriété, aux ressources)

Exploiter (des ressources)

Préserver Fréquenter

Communiquer Informer S’informer

Argumenter

S’ajuster

Se mobiliser

S’exprimer

Fêter

Célébrer

Écosystème de l’agir en communs : Synergies/ Solidarités/Réciprocité

Synergies Quoi ? Solidarités Qui ? Réciprocités Comment ?

Dynamiques des milieux : les sujets et objets, enjeux de la Terre des 2 caps

Comprendre les dynamiques qui traversent ces milieux suppose de ne peut séparer ce qui fait leur composition/recomposition de ce sur quoi portent leurs actions communes.

Ce qui est souvent convenu d’appeler les « habitants » relève de modes de composition de ces milieux plus complexes et indissociables des dynamiques socio économiques et biopolitiques qui les mobilisent ou les immobilisent.

Certes les positions socio économiques et démographiques (âge, sexe, trajectoires socio scolaires et socio professionnelles) peuvent être observées et analysées, sous l’angle statistique notamment, dans la mesure des caractéristiques objectives que l’on peut mobiliser. Mais la prise en compte de ces mêmes catégories sous l’angle de leurs dispositions et des capacités et comportement mises en œuvre ouvre un autre niveau d’analyse plus en phase avec la compréhension de la dynamique des milieux. Faire milieu ne se réduit pas à l’activation des positions socio économiques, même associées aux dispositions héritées des contextes historiques. Les contextes en jeu offrent de nouveaux « objets » à l’agir des hommes, du vivant et de l’environnement.

Les antagonismes n’existent pas seulement à travers les formes visibles de tensions, de conflits, voire de luttes qui peuvent opposer les acteurs, individus et groupes, dans les milieux qui les mobilisent ou les immobilisent. Ici, les antagonismes ne renvoient pas seulement à des positions différentes du point de vue d’intérêts liés à l’accès et aux usages des ressources. Ils renvoient aussi, et sous l’angle des représentations que les personnes et les groupes s’en font, aux dispositions différenciées, véritables capacités exercées, acquises, apprises et mises en œuvre dans l’action. Sous ces deux dimensions et par le produit de leurs combinaisons, ces antagonismes l’espace public. Ils sont, tout à la fois, évoqués, explicités, exposés, débattus, justifiés, contournés, amoindris, neutralisés, exacerbés, disqualifiés, combattus.

Les dispositifs de mise en dialogue que sont les Rencontres/ Résidences peuvent potentiellement être des moments de mise en scène, d’expression et de calibrage de ces antagonismes.

Si l’on élargit le spectre de ce qui détermine positions et dispositions aux rapports au vivant et pas seulement aux seuls rapports sociaux liés aux conditions de production, les sujets concernés par ces antagonismes sont tout autant « non-humains » qu’humains. Il faut alors préciser ce qui fait sujet et objet de cette mise en dialogue.

Les enjeux de l’action publique : objets/sujets de l’action publique

Comment ces dynamiques et ces antagonismes s’opèrent ils sur ce territoire spécifique de la Terre des 2 Caps ?

Ce qui fait enjeu est présent dans l’espace public se présente sous de nombreuses formes d’action publique plus ou moins instituées et selon l’état des prises d’initiative et des mobilisations différenciées des acteurs collectifs locaux.

On peut les envisager au regard des formes de l’action publique territoriale.

C’est tout d’abord ce qui relève de l’action publique organisée, opérée à différents niveaux institutionnels et qui impacte le territoire local, selon les « compétences » politiques des différentes institutions et collectivités. Ce pourra être le niveau régional (par exemple s’agissant des transports, du développement économique, de l’enseignement), du Département (62), de la communauté de communes (Communauté de Communes Terre des 2 Caps), des communes ou autres instances intercommunales, sur des questions spécifiques.

Ces formes d’action publique sont générées par déclinaisons locales de politiques publiques sur différentes thématiques faisant enjeux. : le foncier, l’habitat/logement, les transports, l’environnement, les activités économiques, etc.

Mais ces formes d’action publique et d’organisation de l’espace public sont également la traduction locale d’expressions plus ou moins conflictuelles, de mobilisations ou prises d’initiatives locales plus ou moins impulsées et supportées par la société civile locale.

Elles visent alors soit à apporter une réponse locale en réponse aux besoins que sous tendent ces enjeux, soit à appuyer un plaidoyer en faveur d’une intervention politique et économique des pouvoirs publics compétents sur les différents sujets.

Ces formes d’action plus ou moins organisées, instituées, publicisées, pourront se mettre en « relai » politique des mobilisations et initiatives sur les différents enjeux. Elles pourront privilégier une démarche de maîtrise d’ouvrage, confiant à d’autres partenaires, publics ou privés, la maîtrise d’œuvre. Elles pourront privilégier une position d’incitation et d’appui à une démarche axée sur une dynamique de « maîtrise d’usage » et d’arbitrage garante de l’intérêt général.

Les modes et périmètres d’intervention de ces actions publiques sont conditionnées par les modes d’existence des milieux locaux, leurs transformations, le niveau de conscience collective des enjeux et des éventuelles controverses qui animent le territoire.

Ces actions s’inscrivent aussi dans des temporalités différentes selon les processus institutionnels concernés et les configurations d’acteurs mobilisés.

Ces actions publiques sont également fonction de la durée et de la périodicité que leur confère le cadre législatif, parfois il s’agira d’un cadre légal ancien ou d’une quasi permanence instituée. C’est par exemple le cas du cadre de propriété foncière dans lequel opère le Conservatoire du Littoral. C’est aussi d’une certaine façon le cas de la labellisation « Grand Site », bien que celle ci puisse évoluer et s’étendre sur le territoire. D’autres actions sont mises en place de façon plus transitoire au titre de « programmes », sous différentes formes intercommunales, soumis à des échéances d’évaluation de projets, de plans, de schémas (d’aménagement, de transport, des eaux et des bassins versants, etc.). C’est ainsi le cas des « Parcs », parc maritime, et surtout Parc Naturel Régional. Pour ce qui concerne le territoire de RCA/IEAC, il s’agira du Parc Naturel Régional des Caps et Maris d’Opale.

D’autres actions, s’articulant souvent avec ces mêmes interventions institutionnelles, sont davantage à l’initiative des collectivités territoriales. Cela pourra être, de façon permanente mais rythmée par les échéances politiques, l’action menée dans le cadre des « commissions » thématiques présidées et animées par les élus locaux. Le site de la Communauté de Communes présente ainsi les projets de l’intercommunalité : https://www.terredes2caps.fr/les-projets-de-lintercommunalite.

Sur des thématiques spécifiques, et à l’initiative des collectivités, ces commissions, par délégation de leurs collectivités, pourront avoir recours à des partenaires publics ou privés, centres ou bureaux d’étude, à l’exemple de l’étude portant sur l’ « accompagnement des collectivités pour la gestion intégrée du littoral », étude menée pour le compte de communauté de communes de la terre des 2 Caps par le CEREMA (https://www.cerema.fr/fr ) en lien avec l’ANEL (association nationale des élus du littoral) (https://www.cerema.fr/system/files/fiches/2022/01/terre2caps_03122021.pdf).

Les sujets en action dans l’espace public

Mais, nous mettons au cœur de notre démarche RCA / IEAC, la question des milieux et de leurs capacités d’action. Aussi devons nous nous interroger sur les formes et modalités d’actions collectives spécifiques au territoire. Celles ci ne peuvent se réduire à leur seule traduction en une action publique instituée. Elles ont à trouver leurs propres espaces d’expression et d’intermédiation.

Il faut alors regarder les sujets que sont les milieux et leurs collectifs en actes sur le territoire. Ce territoire d’action peut alors être vu comme un écosystème composant un espace public formé de milieux intermédiaires dont on pourra s’apercevoir que certains s’organisent en synergies, solidarités, voire en communs. De ce point de vue, nos résidences RCA vont à la rencontre de ces milieux.

On peut se donner un premier repérage de ces sujets /acteurs au travers de catégories formelles. Par exemple, on parlera des « habitants » comme une catégorie d’évidence. Mais, les formes de l’habiter se révèlent vite très différenciées. Parler des « publics », en rapport avec les politiques publiques notamment, traduit les mêmes ambiguïtés du rapport à l’action collective. Parler des « usagers » marque la volonté de se distancier de rapports sociaux exclusivement marchands, mais ne lèvent pas les différences du rapport à la production et la mise à disposition (l’accès) des biens et services. Parler de « partenaires » ne règle pas la question des relations qui se nouent sur le mode de l’association ou de la contractualisation.

Les premiers repérages menés sur le terrain nous donnent de premières indications sur ce que sont ces sujets, acteurs et groupes capacitaires, plus ou moins influenceurs ou décideurs.

Acteurs potentiels sous l’angle des positions vécues, des rapports sociaux et de genre :

– Agents publics, agents des politiques et collectivités, les chargé.es de missions de protection, préservation, médiation culturelle et politique, etc. ;

– Bénévoles, « engagé.es », des associations ;

– Salariés en insertion ;

– Élu.es des collectivités territoriales ;

– Personnels de santé et du soin aux personnes et aux paysages ;

– …

Groupes capacitaires :

– Exploitants, agricoles, carriers, sites et activités touristiques ;

– Propriétaires et acteurs du foncier ;

– Résidents secondaires épisodiques, réguliers ;

– Résidents secondaires sédentarisés (à la retraite, ou désormais basés sur le territoire après avoir été en résidence secondaire) ;

– Revenus au pays, nés sur le territoire, partis et revenus y vivre ;

– …

Sites :

– Réserves naturelles protégées ;

– Littoral ;

– Dunes et cordons dunaires ;

– Caps et sites naturels ;

– Paysages ;

– Marais et bassins d’expansion des rivières ;

– Marchés (en villes et villages, marchés paysans) ;

– Cafés ;

– Médiathèques ;

– Espaces communaux ;

– …

Les sujets selon les 3 axes Synergies (quoi ? Quelles ressources?) Solidarités (qui?) Réciprocités (comment, dans quelles relations?)

– Les « Nous » identifiés en intérêts partagés ;

– Les « Nous, déjà là » identifiés en authenticité, ancienneté ;

– Les « Nous, d’abord » identifiés en priorité ;

– Les « Bosseurs », pas assistés ;

– Les « Qualifiés », diplômés ;

– Les « Professionnels », normés ;

– Les « Faiseurs », avec leurs propres moyens ;

Les sujets individus et collectifs selon leurs régimes d’engagement dans les systèmes de relation, les ajustements :

– Consensuels conformistes ;

– Oppositionnels ;

– Participatifs (la satisfaction querelleuse) ;

– Contributifs (les radicaux tempérés) ;

– …

A la rencontre des milieux intermédiaires : le Parlement de la Terre des 2 caps

C’est tout l’objet des résidences que de permettre la composition de ces milieux intermédiaires.

Comment mettre en jeux et en quêtes les sujets sommairement présentés ci dessus ?

On peut envisager 4 modalités de rencontres.

1. L’expression (éthique politique et esthétique sensible) , la conversation située, avec les « habitants »

2. La présentation récit d’initiatives, avec les « partenaires collectifs »

3. L’audition de sujets/projets, avec les « experts »

4. La restitution d’enquête, avec les « chercheurs »

Chaque moment de résidence pourra se composer son programme de rencontres en associant ces 4 formats selon les contextes et les potentialités.

C’est l’ensemble de ces rencontres menées sur 2 années qui forme le « Parlement de la Terre des Caps ».

Mettre en œuvre opérationnelle les rencontres résidences, premiers éléments

1. Ce qui fait ou, tout au moins, pourrait faire « parlement », suppose de mettre en résonance les résidences les unes avec les autres. Il ne s’agit pas de les intégrer dans une architecture formelle mais en les mettre en relations et interconnaissances. C’est l’ensemble qui ferait Parlement. Nos partenaires et les « habitants » mobilisés devraient pouvoir se sentir concernés par toutes les résidences et les thématiques abordées.

2. On voit alors toute l’importance de la définition des « thématiques », ce qui suppose de sortir des énoncés spécialisés ou dénommés par les politiques ou dispositifs publics qu’ils donneraient l’impression de rallier.

Il y a un intérêt majeur à ce que les thématiques soient présentées sous forme de questions orientées par des perspectives, existantes ou non, d’avenir, demain ?

Les thématiques se découvrent au fur et à mesure du repérage des différents milieux, ici considérés non pas comme des catégories formelles démographiques ou géographiques mais comme des sujets/objets agis et agissant

Il importe de ne pas les figer même s’il y a un intérêt majeur pour la recherche création action à circonscrire des thèmes assez précis, les reformuler dans le dialogue avec les partenaires et les habitants, les faire évoluer sur la durée des deux ans de résidences.

3. Nous ne sommes pas pris dans les enjeux locaux, c’est ce qui ouvre la possibilité de rencontres apaisées.

Nous pourrions expérimenter des formes d’intervention publique, jusqu’où, jusqu’à contribuer à la co construction de décisions publiques locales ?

4. Pratiques de recherche création

S’agit-il de pratiques « intégrées » recherche-création ou d’une « co présence » ?

Comment, concrètement, s’opère le lien entre chercheurs et artistes ?

Comment aborder, ensemble, une thématique spécifique lors d’une résidence elle même spécifique ?

S’agit-il, pour le chercheur, de co construire avec un artiste une approche commune chercheur-artiste, sur un sujet/objet ?

Faut-il envisager des binômes chercheur-artiste ?

Mais, les temps de recherche et de création ne pourront pas être complètement simultanés, comment faire alors ?

Du fait de leur disponibilité, les chercheurs seront amenées à participer à plusieurs résidences, à chaque fois, sur un temps plus court que celui des artistes en résidence.

La « Résidence » ne signifie pas que toutes les pratiques de recherche comme de création sont fixées en un lieu et un agenda stricte qui serait celui de la présence des artistes.

La Résidence pourrait correspondre aussi à des pratiques diversifiées et distribuées sur le territoire, des « moments » partagés dans des lieux spécifiques (médiathèques bibliothèques, « Mont de Couple », Dunes de la Slack, lieux d’intervention de nos partenaires…) ou en itinérance.

Elles pourraient être diverses et impliquant :

des pratiques collectives d’écoute (pratiques musicales en voiture,…) et de lecture

un angle d’attaque dans la prise en considération de ces pratiques, en ce qu’elles participent à des pratiques d’attachement aux territoires,

des interventions plus formalisées de chercheurs,

des « ballades et autres parcours »,

des enquêtes restituées (textes, photos, vidéo,…),

des fresques,

On peut imaginer que les résidences soient différentes en première année (2024) et en deuxième année (2025), davantage « fixées » en seconde année ?

5. Préciser les enjeux de formes et de contenus des rencontres chercheurs artistes et définir ce qui fait approche commune :

des enjeux de méthode, et d’intelligence collective, relationnelle,

des enjeux de « contenus », les représentations subjectives, sensibles, les attentes et inquiétudes, le vécu, le pratiqué, le ressenti, le débattu, le projeté, le caché ou non exprimé, le rejeté…

des enjeux d’équilibre (?) entre la construction de regards croisés, partagés et le compte rendu d’analyse de situations, de contextes.

Des enjeux d’attachement, d’implication, d’engagement.

1 Leur problématisation et définitions sont maintenant bien connus. De nombreuses formulations en ont été proposées qui, même si elles font encore l’objet de discussion, sont maintenant stabilisées. Cf.

2 Il faudrait développer ici ce point crucial pour une dynamique des communs. Signalons juste les travaux d’Andreas Weber, Invitation au vivant, Paris, Seuil, 2021.

3 Estelle Zhong Mengual, L’art en commun, Réinventer les formes du collectif en contexte démocratique, Dijon, Les Presses du Réel, 2018, Estelle Zhong Mengual, Baptiste Morizot, Esthétique de la rencontre, Paris, Seuil, 2018.

4 Hervé Defalvard (opus cité, p. 216-217) établit le lien entre ses propositions et celles d’Estelle Zhong Mengual. Un rapprochement pourrait avantageusement être fait avec les propositions de Pascal Nicolas-Le Strat notamment dans « Le travail du commun » et « Une sociologie des activités créatives-intellectuelles ».

5 Nicolas Duvoux, L’avenir confisqué, Inégalités de temps vécu, classes sociales et patrimoines, Paris, Presses Universitaires de France, 2023.

6 Il faudrait ici reprendre l’ensemble des analyses de Julia Cagé et Thomas Picketty dans, Une histoire du conflit politique, Pais, Seuil, 2023.

7 On pourrait aussi dire, avec Patrick Chamoiseau, « faire pays « , Faire Pays, Éloge de la responsabilisation, K éditions, 2023.

8 Cf. les propositions d’Augustin Berque qui avec son approche dite « mésologique » nous livre une conception du milieu comme « spécification médiale de l’existence humaine », dans ses commentaires du livre de Watsuji Tetsuro, Fûdo, le milieu humain, Paris CNRS Éditions, 2011, ainsi que dans ses autres livres et l’ouvrage collectif, autour et en présence d’A. Berque, La mésologie, un autre paradigme pour l’anthropocène ?, Paris, Hermann, 2018.

9 Ludovic Duhem, « Introduction, Reterritorialiser le design », in L. Duhem et R. Pereira de Mourra, (eds.), Design des territoires, Paris, eterotopia, 2020. ainsi que Alberto Magnaghi, La conscience du lieu, Paris, eterotopia, 2017.


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