Le possible, la perspective de l’utopie concrète

« Au fond, dans votre vie, avez-vous fait autre chose qu’une enquête sur les possibles ? ». C’est ainsi que Pat Can s’adresse à Cem Made.

Pat est en charge de « faciliter » cette discussion/conversation qui, dans un premier temps, a pris la forme d’un « world café » pour se terminer ensuite par une espèce de « table ronde » qui semble plus adaptée à ce qu’il a l’habitude d’ « animer ». Le thème en est assez vague, suffisamment pointé pour correspondre aux interrogations du temps, mais pas trop pour conserver le caractère « ouvert » et collaboratif de la discussion. En gros, il s’agit de parler de ce qui « nous fait agir aujourd’hui… ». On lui a donc organisé un panel de gens qui « font des choses », comme on lui a dit. En fait, il est assez gêné, mais cela ne se voit pas trop. On peut même imaginer que ses hésitations rassurent. L’audience se méfie des certitudes. Il le sait, comme il sait qu’on ne lui reprochera pas de surfer sur des demi-affirmations, des quasis certitudes. C’est un vieux routier des débats approximatifs. Le « en même temps » lui va bien. Elle est à l’image de l’interprétation qu’il donne à la notion dont il a vécu l’émergence récemment, celle de transition ; après tout, tout est transition, tout le temps, hier comme aujourd’hui. Alors, comment trouver le ton juste ?

Pat tente de couvrir toute la palette des termes dont il sait qu’ils ne seront pas trop « clivants » ; le moment et le lieu ne s’y prêtent pas. Alors, il dit les mots aux carrefours des grandeurs reconnues et plus ou moins partagées. Il est question d’être à l’initiative, de ne pas attendre les lendemains qui, dans tous les cas, ne chanteront pas. Il est question du « faire ensemble », mais bien sûr dans un contexte juridique et institutionnelle qu’il n’est pas question de trop bousculer puisqu’il est là pour nous protéger, hein ? Bien sûr, il est question de changer, « on est tous concernés ». Après chaque intervention des acteurs qui font état de leur expérience, le mot qui ponctue le plus la conclusion que Pat se sent obligé de tirer à l’adresse des autres participants et du « public », est celui de « chouette !, c’est chouette… ».

Pat sent monter le malaise. Il perd un peu pied. Il cherche ses mots. Il ne sait plus quel type de répertoire d’arguments il doit mobiliser. Pour qualifier les initiatives et les expériences qui lui sont présentées, parfois, il aimerait évoquer l’ « autogestion », replacer certaines initiatives dans un cadre « autogestionnaire » qui, pour lui, veut dire des choses, mais ne parle que peu à l’assistance. S’il le fait, il sait qu’il prend une position décalée par rapport aux acteurs ici présents, celle du militant d’expérience, que l’on regarde avec un peu de respect et pas mal de dérision. Il sait que le terme de changement n’a plus beaucoup de crédibilité, qu’il est usé à force d’avoir servi à continuellement engendrer des changements qui ne font que maintenir les mêmes choses et déboucher sur autant de déséquilibres et de contraintes. Il sait que « changer la vie » est désormais un slogan publicitaire éculé tout juste bon à rappeler les années 70 ; c’est celui repris par les publicités pour les voitures, c’est tout dire.

Alors, les mots lui viennent tout d’un coup, comme dans un sursaut qui le branche avec l’air du temps. Il dit, « collaboratif », « tiers lieu », « résilience » et « bien commun ». Ouf, il a bien failli donner des signes d’une non-conformité aux grandeurs émergentes de l’époque. Il sait qu’il doit afficher un optimisme bien tempéré de l’action collective, seul à même de contrebalancer le pessimisme anthropique qui sied à tout citoyen désormais conscient des enjeux de la planète.

Pat accueille un nouvel intervenant qui vient prendre place dans cette espèce de table ronde qui prend les formes d’un « fishbowl ». De fait, Ann Map s’est levée de sa chaise et vient occuper l’une des chaises disposées au centre des cercles concentriques des participants. Pour elle, en dehors d’une alimentation alternative point de salut, quelque chose comme « prolétaires de tous les pays, faites une soupe ! », sans l’exprimer ainsi. La perspective ici n’est pas vraiment anthropologique. Elle n’est que vaguement mondiale, avec des références approximatives sur les conditions d’alimentation que connaissent les habitants d’une planète qui ne sont pas aux standards alimentaires qu’elle dénonce. Cette possible alimentation alternative, il n’est même pas question de la qualifier de « bio », tant cette appellation semble déjà dépassée, voire suspecte de récupération marchande. Il semble qu’il n’y ait de salut que dans l’autoproduction de son alimentation, où que l’on habite, à la campagne comme désormais en ville, où l’agriculture se doit d’être rebaptisée d’écoagriculture plus encore que de permaculture. Le propos, tout en demeurant assez flou, à défaut d’être fou, présente la certitude de la pratique effective. Ici, on ne se contente pas de dire, on fait d’abord, on fait ce que l’on dit, on mange comme on vit. Le possible est déjà là. Ann Map termine son intervention en invitant les participants à partager ce qu’elle n’a pas manqué d’apporter. Elle ponctue sa dernière phrase par un rire éclatant, celui qui dans toutes les publicités télévisuelles marque la bonne santé et la joie de vivre. Pat est séduit. Il ne peut manquer d’approuver : santé, sobriété des ressources, nature respectée et source de vie, tout y est. Pat approuve bruyamment. Il est ici non seulement pour accueillir la parole des différents intervenants, mais aussi pour l’accompagner, lui donner tout le relief, faire en sorte que la dynamique qui est censée se dégager de ces différentes interventions gagne les différents cercles qui entourent les intervenants placés au centre de l’arène. Mais son rire se termine par un rictus de perplexité. Dans cette rencontre, table ronde en World Café qu’il facilite, il s’agit de donner une perspective du possible, d’en donner les aperçus mais aussi les conditions de réalisation. Certes, qui dit possible dit possibilité d’être déjà là, déjà effectif. Mais, si c’est déjà tellement là, sans problème particulier à affronter, ce possible apparaît bien peu utopique. Ou alors il faut considérer comme l’utopie déjà tellement là qu’aucune mobilisation ne semble plus nécessaire pour affirmer une possible alternative. Pat hésite à questionner l’optimisme communicatif que l’intervention suscite. En plus, il a à cœur de ne montrer aucune suffisance masculine face à une intervention aussi vivante qu’il ne veut pas paraître réduire à l’expression d’une féminité qui serait naturellement nourricière. Il renonce aux remarques et questions qu’il n’arrive pas à formuler immédiatement dans le ton qu’il souhaiterait leur donner. Il jette un coup d’œil circulaire autour de lui et c’est avec un vrai soulagement qu’il voit se lever quelqu’un qui se fraye un chemin parmi les chaises pour venir occuper un siège près de lui.

Pat demande au nouvel intervenant de se présenter. Il le fait avec une arrogance bien marquée. Visiblement c’est la dernière intervention qui l’a conduit à se lever pour parler ; ce qu’il n’avait pas prévu de faire. Il le dit d’ailleurs : « J’avais pas prévu de parler, c’est pas mon truc, je n’ai rien préparé ». Il dit s’appeler Pier Rath, être arrivé récemment ici et ne pas savoir qui fait quoi. Le terme de « territoire », devenu pourtant incontournable, semble lui écorcher la bouche ; il ne manquerait plus que quelqu’un parle de résilience pour l’agacer. Il marque tout à la fois un accord et un désaccord avec ce qui se dit ici. L’accord repose sur un possible immédiat qui ne demanderait d’autres conditions que volonté et détermination. Le désaccord tient, pour lui, au caractère « domestique » que recouvrent les questions d’alimentation. Il se situe dans un ailleurs qui est pourtant là ; il suffit de le faire exister comme on le souhaite. Il voit cet espace, certes dominé, mais autonome, comme une base de vie, dans les replis d’une société qu’il voit fragmentée et dont les espaces de solidarité se répartissent comme autant de zones limitées, éventuellement en archipels. C’est ce qui le fait venir ici et parler ; plus en tant que porte-parole d’une initiative qui se veut « zone à défendre » que comme membre d’un réseau dont il aurait bien du mal à spécifier ce qui les relierait. Il porte la parole d’un collectif de vie et il le décrit avec un niveau d’engagement tel que la solidarité entre les personnes qu’il évoque semble prendre la forme d’une appartenance qui laisse peu de place pour d’éventuelles synergies avec d’autres. Il ose le mot « autonomie » que les autres intervenants ne prononcent pas, ou pas directement, seulement en utilisant des périphrases qui finissent par en dénaturer le sens. Il le fait en évitant de se qualifier lui-même d’autonome, mot qu’il réfute pour prévenir toute objection qui pourrait lui être retournée. Par une brève incise Pat lui fait remarquer que le terme autonomie n’est pas – ou plus, aurait-il envie de dire ; ce qu’il ne fait pas- habituel dans le type de rencontre qu’il est désormais conduit à faciliter. Autonomie n’est pas, ou ne fait pas, commun, terme auquel tous se réfèrent sans y mettre en fait le même sens, mais ça il le sait aussi et évite de le dire. Peut-être est-ce cette évocation d’autonomie, pourtant pas vraiment explicitée qui fait réagir l’une des personnes présentes qui demande à prendre la parole.

Le terme autonomie l’a fait réagir. Ça lui évoque liberté et indépendance ; elle le dit. Elle se présente, Arna Rand. L’initiative qu’elle porte, elle la présente en rupture avec ses expériences professionnelles précédentes. Elle dit n’en plus pouvoir des structures dans lesquelles elle a été amenée à travailler précédemment. Investie, mais non reconnue à ce qu’elle considère comme sa juste valeur , et dans l’impossibilité de donner du sens à ce qu’elle pensait entreprendre comme activité mais qui l’entreprenait plus elle-même qu’elle ne l’épanouissait, elle a démissionné. Après qu’elle ait évoqué à demi-mot ce qu’il faut comprendre comme un burn-out, elle précise qu’elle n’a pas seulement quitté une « entreprise » mais démissionné du parcours de carrière qu’elle avait préalablement envisagé. Sa rupture n’est pas d’avec des entreprises qui ne lui auraient pas parues assez libérées, mais avec « le salariat » lui-même. Elle dit indépendance. Elle se dit professionnelle mais bute sur le mot libérale, quand même pas ; ce n’est pas le lieu. Ailleurs, peut-être, mais pas ici. Elle dit sa joie d’être là : « c’est chouette ». Avant, elle faisait du coaching et du développement personnel. Maintenant, il dit « faciliter » des rencontres en intelligence collective, un peu comme ici : « C’est fou, ce que les gens sont créatifs quand, on les accompagne avec une facilitation bienveillante ».

Pat tique : «  Encore ce mot de bienveillance. Si ça continue je compte combien de fois le mot est prononcé sur cette table ronde et j’annonce le chiffre en conclusion », se dit-il, in petto. Mais il sait qu’il ne le fera pas ; personne ne comprendrait ; il aurait trop à s’expliquer. Il paraîtrait suffisant plus que décalé. Il sait que ça fait partie des mots valises auxquels tous se rallient à défaut d’y mettre le même sens. Mais ça n’a pas grande importante. En fait, ça veut dire on est bien, pas de problème, il y a une belle synergie, tiens en voilà encore un mot qui mériterait d’être explicité. Il se dit comment je lui faire parler d’une rupture vers un autre possible alors que ça apparaît juste comme le nouvel emballage d’une activité, comme un nouveau relooking, à la limite comme un nouveau marketing pour une activité qui demeure la même, dans le même rapport aux personnes, mais dans un nouvel habillage langagier. Peut-être se dit-il la rupture lui apparaît-t-elle forte mais plus dans le niveau de vie qu’elle a dû restreindre transitoirement le temps de se faire une nouvelle clientèle, et ce n’est pas ce qui doit manquer avec ce nouveau marché émergent de la facilitation ? Pat jette un coup d’œil circulaire dans l’assistance, quelqu’un pourrait-il lui permettre de se sortir de cette séquence qui ne le met pas en situation d’enclencher le dialogue dont il rêve sur la « fabrique des possibles ». C’est pourtant les mots forts qu’il avait mis en avant dans sa brève introduction, et voilà que cette faciliteuse fait retomber la discussion dans les eaux finalement glauque du calcul égoïste malgré les envolées lyriques sur la bienveillance et l’intelligence collective. Ah !, quelqu’un se lève et vient prendre la chaise libre à côté de celle qui termine son intervention par un grand sourire qui se veut apaisant.

Le propos prend alors une autre tournure. L’expression est forte, façon meeting. On sent un agacement. On voit qu’il aurait plutôt envie de se lever, de se donner une tribune. Rester assis ne lui sied pas. Il n’utilise que le bord de la chaise, pour se mettre au même niveau que les autres intervenants. Mais, on imagine vite qu’il ne devrait pas rester assis là très longtemps ; qu’il devrait ensuite se lever et se mettre à la périphérie du cercle des chaises, d’où il continuera à faire des commentaires à haute voix. Depuis le début de cette table ronde il ne tient pas en place. Le cercle, le rond, ne lui convient pas vraiment. Il se verrait plus en face des personnes qu’il perçoit plus comme un public à convaincre. Plus ou moins consciemment il tient à montrer qu’il n’est pas un intervenant comme les autres ; il se sent un peu l’organisateur de la rencontre et tient à ce que, par ses déplacements autour du cercle et en direction de l’accueil du lieu, on puisse s’en rendre compte.

Mat Brio, c’est sous ce nom qu’il se présente, commence très fort. « Autonomie, autonomie, certes, mais d’abord, collectif et solidarité, non ? ». Il dit avoir parfois l’impression de s’être trompé de table ronde. Pour lui, nos positions personnelles ne prennent de sens que par rapport à l’une ou l’autre forme d’action collective qui nous meut : « N’est-ce pas cela qui nous relie ? ». Immédiatement, il regrette un peu son ton et un référence trop marquée au collectif ; ça fait « collectifs », et c’est pas trop la référence partagée sur ce type de table ronde. On n’est pas des militants. Le terme même militant fait « old school » et fait peur, peur de l’esprit de scission et des clivages qui pourraient en résulter. Surtout, c’est pas cool…Il parle de l’initiative à laquelle il participe. Il prend garde de ne pas dire « je », de mettre en avant le « nous », tout en dérapant dans sa présentation pour laisser des indices qui montrent que cette initiative lui doit beaucoup : « Au début, on n’était pas beaucoup, pas beaucoup plus qu’un, en fait… ». Il parle de sa communauté. Il ose le mot communauté en le prononçant d’une manière telle que l’on sent que ce mot n’appartient pas à son vocabulaire d’origine, que c’est un mot repris du contexte dans lequel il situe désormais son action. Mais, immédiatement, il dit « territoire », l’autre mot qui garantit que sa communauté s’ouvre aux enjeux de solidarité et de citoyenneté. Ouf, il s’en est fallu de peu qu’il se laisse gagner par un argumentaire qu’il réprouve ou tout au moins nuance fortement, lorsqu’il est dans d’autres contextes, notamment celui de ses liens avec les représentants des collectivités locales. Mat Brio se veut « politique », mais, attention,  « pas au sens encarté, vous voyez », mais parce qu’il faut bien travailler avec les institutions, et pas seulement les solliciter pour obtenir des soutiens, d’ailleurs, il vaut mieux participer à la conception de ces soutiens, de ces appels à manifestation d’intérêt, à projets. Sa façon de se montrer « politique », c’est le fait de recadrer son propos et de placer son intervention et son initiative dans une perspective plus large, celle d’un réseau et d’une action à l’échelle, au moins nationale. Il utilise des mots comme « réseau », mais pense « fédé », pour fédération ; un mot qui n’a pas vraiment cours dans l’auditoire rassemblé autour de lui.

Pat, censé introduire les intervenants et faciliter les échanges, sent qu’il perd la main. Bientôt on oubliera qu’il est là. L’intervention de Mat, tout à la fois le rassure et le gène. Ça le rassure qu’il soit intervenu ; dans le contexte « politique » du territoire, ça aurait été un problème qu’il n’intervienne pas ; il vaut mieux qu’l intervienne ici plutôt que de la faire ailleurs dans des contextes plus institutionnels. Mais, ça le gène qu’il donne l’impression de présider les échanges et de vouloir les recadrer en se donnant le monopole du lien avec les autres niveaux d’action, régional et plus encore national. Mais Pat reprend la main vis-à-vis de lui en lui demandant de se positionner sur le sujet crucial de ce qu’il entend comme « possible ». Certes, il a parlé de son initiative, mais ne l’a-t-il pas prise en se conformant à un cadre d’action déjà là, dans une continuité de ce qui se faisait déjà, sans réelle rupture, voire même en conformité avec un mode d’agencement largement institué ? Il n’aurait alors fait que renforcer et professionnaliser un mode d’action dont l’enjeu principal est moins sa reconnaissance que son niveau de financement public ? Le possible, ne serait-il qu’une question de budget ? Mat met en avant son « pragmatisme », son sens du réel, sa volonté de déboucher concrètement dans les conditions qui lui sont données aujourd’hui.  Ill dit chercher avant tout à être inclusif. Il bute sur le mot « réalisme », ça fait socialiste.

C’est au tour de Cem Made de prendre la parole. Il sait qu’il a peu de temps pour cela. La parole ne lui est donnée que pour un instant mesuré. La parole doit circuler entre les personnes, sans que l’une d’entre elles puissent se considérer comme principale. Qu’aucune hiérarchie de qualité, de compétence, ne puisse s’instaurer, convient bien à Cem. Mais que cela coïncide à une simple juxtaposition d’avis, sans interrelations des types et niveaux d’argumentation, le chagrine beaucoup. Toutes les idées, les propositions, se valent-elles, donc, qu’il faille toutes les mettre sur le même plan ? Pourtant que toutes soient reçues avec la même attention a plutôt de quoi le ravir. Après tout, chacun partant des expérimentations dans lesquelles il.elle est engagé.e, chacun opérant pour lui-même, et parfois en la partageant avec d’autres, une dynamique d’action réflexive, cela aboutit à des à des propositions à différents niveaux d’élaboration et de consolidation théorique.

Il se dit qu’il a bien fait de ne pas parler tout de suite. Il va pourvoir tenir compte de ce que les autres ont dit. Il va surfer sur les expressions qui ponctuent le bruit de fond de ce consensus apparent. Il va essayer de dire sa perspective du possible. Il pense avoir trouvé quelques arguments dans la lecture d’un ouvrage éponyme, la perspective du possible. Ça lui a fait lire les livres, ceux de Jean Pierre Cometti, d’Arno Münster notamment, qui ont mis en débat les perspectives ouvertes par Ernst Bloch avec son « principe espérance ». Du coup ça lui a fait relire l’ « homme sans qualité » de Robert Musil, livre dont il n’osera pas parler ouvertement tant cela paraît daté, et pourtant… : « Mais s’il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu’il ait son droit à l’existence, il doit bien y avoir quelque chose que l’on pourrait appeler le sens du possible.

L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être « aussi bien », et de ne pas accorder plus d’importance à ce qui est qu’à ce qui n’est pas ».

Sans faire une référence explicite à ces auteurs qui paraissent hors du temps des pensées de la transition, Cem, en s’appuyant sur des expériences alternatives en cours, peut avancer quelques propositions et pensées réflexives inspirées du concept blochien d’ « utopie concrète ».

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