Les réseaux et associations d’artistes plasticiens

Vivre des milieux de création
Contributeurs esthétiques à un espace public en recomposition…

L’invitation de Pascal Pesez, co président de la FRAAP, était celle-ci : « donne-nous un point de vue, ton point de vue, sur nos rencontres annuelles (les 19 et 20 mai 2016, à Limoges) ». Il ne s’agirait pas de rapporter sur les travaux, de les synthétiser mais d’en rendre compte par un regard sensible. Ce regard serait aussi le point de vue d’un chercheur, d’un sociologue, pas forcément un spécialiste du secteur, mais un chercheur qui s’intéresse par ailleurs aux initiatives citoyennes, à leur position par rapport à un espace public, politique, en recomposition, à la viabilité économique de ces initiatives…
Ayant en tête ces orientations, j’ai participé à ces rencontres ; à la visite du Centre d’Art de Vassivière le 19 mai et des sessions tenues le 20 mai à l’Ecole d’Art de Limoges. Ma participation, l’an dernier aux rencontres 2015 à Reims me donnait déjà les premiers points de repère. Des entretiens impromptus, courts et directs, lors des pauses, des repas, des « frottements » (comme le dirait Joël Lecussan) qui s’opèrent entre les sessions, m’ont mené de rencontres en rencontres…

Ces contacts et observations, je les ai mis en relation avec d’autres réflexions provenant des chantiers de recherche action auxquels je participe et qui constitue mon positionnement singulier.

Quel sens donner à ma contribution ?

Je me suis d’abord interrogé sur les spécificités du « monde » que je rencontrais. Je n’ai pas voulu reprendre le débat classique sur le, ou les, « mondes de l’art », mais envisager ce qu’il a de spécifique à l’âge de la création diffuse et de l’exercice des droits culturels. Ensuite, chercheur au CNRS, je me suis interrogé sur les convergences avec d’autres milieux, ceux de la recherche et d’autres professions intellectuelles.

J’ai été sensible à l’expression des modes d’organisation collective du milieu des créateurs parce qu’ils sont proches de ceux qui mobilisent les acteurs dans la mise en œuvre de leurs initiatives solidaires ; les questions des « collectifs » et des « lieux ».
Responsable d’une chaire universitaire en Economie Sociale et Solidaire, je ne pouvais échapper à la question de la viabilité économique des activités artistiques.

J’ai vécu les rencontres de la FRAAP comme un moment fort dans la vie politique des représentants du milieu artistique ; un moment important d’exercice du principe de « publicité » au sens de Kant et d’Habermas qui en font une médiation de la politique et de la morale. Cela m’est vite apparu dans la façon dont ont été abordés les thèmes de la « représentation » du milieu, des artistes et de leurs organisations. Cela m’est apparu aussi dans l’importance donnée aux dispositifs d’action collective comme ceux mis en œuvre dans le Nord Pas de Calais Picardie avec le CRAC.

Plus largement cela me permettait une réflexion sur l’éventuelle structuration d’un espace public, sous espace public oppositionnel, dans lequel prendraient place des initiatives comme celles du CRAC et d’autres.
Voilà les quelques points que je souhaite argumenter ici.

1. La découverte d’un « monde », à la façon d’un ethnographe ? pas vraiment
C’est un contexte que je connais un peu, pour l’avoir côtoyé et le faire encore.
Etudiant en sociologie, en première année, j’étais aussi l’invité permanent d’un atelier au sein de l’école des beaux-arts de Lille qui existait alors. J’y accompagnais des amis qui y étaient élèves et avec qui je partageais ce que l’on n’appelait pas encore un « lieu ». Il s’y faisait de la musique. Nous nous sommes initiés à la sérigraphie. Nous, nous disions un « atelier », l’Atelier 110 (numéro de la rue, à Lille). L’époque était marquée par des courants artistiques critiques qui n’étaient pas sans lien avec ce qui se passait sur la scène intellectuelle et politique d’alors. Mai 68 était encore dans l’air. Nous commencions la décennie « 70 ». Nous étions marqués par le structuralisme et le marxisme. Notre atelier aux Beaux-Arts s’intitulait « Structures & Morphologies ». Nous n’étions pas les inventeurs de ce titre. Nous n’en comprenions que ce qui ne nous permettait que de faibles et péremptoires arguments concernant la rupture avec les supports d’expression hérités de l’art moderne. Nous nous sentions proches de « Supports/Surfaces » et de Viallat, comme nous l’étions d’Althusser sur les questions de philosophie politique… Cela nous a fait nous intéresser à la sérigraphie, comme support de nos interventions artistico politiques…
Bref, rien de très original pour l’époque, mais une socialisation au sein d’un petit collectif, qui n’est pas sans conséquence pour la vie à venir, les choix de thématiques de recherche et les activités en tant qu’amateur…
Aujourd’hui, fréquentant des lieux culturels et leurs animateurs, participant aux Rencontres de la FRAAP, je m’interroge sur les spécificités des personnes concernées et des interactions que ces lieux et ces événements permettent. Ces interrogations sont nourries d’expériences de recherche action menées sur, et dans, d’autres milieux, dans des lieux d’où émergent des projets d’activités alternatives, sociales et économique, autour du Numérique, des initiatives associatives et solidaires, de plus en plus souvent exprimées en termes de « communs ».
Présenté tel que je l’ai été au cours de ces Rencontres de Limoges, comme quelqu’un d’extérieur susceptible d’avoir un regard décalé, une première réflexion semblait s’imposer : est-ce que, et en quoi, les représentants des réseaux et associations d’artistes plasticiens forment-ils un « monde artiste » ? Y-t-il matière à une approche et un récit de type ethnographique ?
Ma rencontre était-elle avec le « monde de l’art » ? Mais alors, sur quoi reposaient les impressions mélangées de distance et de proximité que je pouvais ressentir ?
S’agissait-il d’une distance ou, tout au moins d’un décalage, avec un monde artiste ? Et, même si les réflexions classiques d’Howard Becker sur les mondes de l’art (1982) montrent qu’ils n’existent qu’en liens forts avec d’autres mondes qui les rendent possibles, une approche par les mondes de l’art me faisait privilégier, dans mes propres expériences, celles qui m’avaient mis, ou me mettent, un peu ou davantage, en position d’artiste.
Mais aussi, comment expliquer les impressions de proximité que je pouvais ressentir alors que je ne suis porteur que d’une très faible expérience artistique ? Ces impressions de proximité ne venaient-elles pas d’une expérience partagée avec nombre de personnes rencontrées lors des Rencontres FRAAP, d’un agir commun ? L’impression de proximité ne venait-elle pas de pratiques communes d’intermédiations, non pas avec des « publics » qui nous seraient communs, mais des milieux, incubateurs de pratiques sociales, culturelles, artistiques, politiques auxquels nous participons et à l’éclosion desquels nous œuvrons communément ?
Ce faisant, je ne partagerais alors pas avec les artistes une expérience de l’œuvre mais une pratique commune de l’ouvrage ?
C’est avec cette préoccupation en tête que je me suis confronté aux enjeux et argumentations mis au débat lors des Rencontres à Limoges.
Certes, d’une certaine manière, oui ; la spécificité « artiste » est réelle. Elle l’est par rapport aux autres mondes sociaux, du fait de caractéristiques et positions sociologiques. Elle l’est dans la façon dont ceux qui s’en réclament perçoivent les particularités de leur existence. Elle l’est aussi, ne serait-ce que par rapport aux autres métiers de création. Et ce n’est pas ici seulement du fait des questions de statuts et de l’absence de filière reconnue pour les arts visuels. Mais l’argumentation de ces spécificités ne relève pas seulement des considérations sur les « mondes de l’art » avancées par Howard Becker (1982) ou de « champs artistiques », chères à Pierre Bourdieu (1979). Mon point de vue ne peut pas être celui de l’ethnologue dépaysé et distancié, découvrant un monde isolé. Il est plus une tentative de relier les enjeux mis en débat lors des Rencontres avec ceux sur lesquels je travaille par ailleurs.
Alors, faut-il parler d’un monde, ou de plusieurs mondes qui s’articulent et s’interpénètrent du fait de la transversalité des pratiques de création ? La complexité est certes le fait des rapports internes et des relations avec l’extérieur qu’impliquent ces activités. Mais elle l’est plus encore des relations qui se tissent avec des « publics » qui ne sont plus ceux auxquels il fallait –faudrait encore diraient encore certains- faciliter l’accès à l’art et la culture, mais des publics qui deviennent pour partie des contributeurs, à différents niveaux d’engagement, dans les activités de création. Et cela ne relève pas seulement d’une logique plus au moins assumée et assurée de médiation mais aussi de pratiques de collaboration.
Dire cela, c’est affirmer que les spécificités artistes ne coïncident plus totalement et exclusivement à la pratique de la création. Les positions artistes sont au croisement des milieux et au cœur des interactions sociales, souvent en relais de pratiques de création qui se diffusent dans la société. Ne peut-on considérer que les artistes sont tout autant des créateurs que des révélateurs et « activateurs » de droits culturels portés par des « publics » qui ne sont pas que des publics auxquels il faudrait permettre l’accès aux œuvres ? La façon dont a été présentée et reçu par les participants la question des droits culturels me semble valider ce point de vue.
Je veux insister sur ce point sans sous-estimer la complexité des relations entre artistes au sein des processus de création, des processus qui sont déterminants pour la socialisation et la rémunération de ceux qui en font profession.
Nous vivons une « époque de créativité diffuse », selon Pascal Nicolas-Lestrat (1998), ou d’ « interdépendance créative », selon Philippe Henry (2014). Mais, elle n’est pas que le résultat de l’exercice de droits culturels. C’est aussi le résultat des positions complexes et souvent ambigües des activités artistiques et culturelles au sein des processus de valorisation économique. Certains parlent de « culturalisation » de l’économie pour marquer le recours grandissant à des formes et contenus artistiques dans les produits et modes de production. Il est devenu courant de parler d’ « industries créatives », et la Région Nord Pas de Calais en faisait même un domaine d’activité stratégique prioritaire…

2. Un milieu social, mais aussi une « catégorie » qui se rapproche des chercheurs et autres professions intellectuelles, une façon de conforter invalider la notion de créatif culturel…
Si je n’ai pas été dépaysé par un monde qui n’est pas un monde artiste, fermé, c’est aussi peut-être parce qu’il participe d’un monde plus vaste qui est celui de la création, de l’innovation et de la recherche. La perméabilité des pratiques créatives, d’action culturelle, sociale et politique renvoie à celle des positions et des parcours des personnes et des collectifs. Au titre de mes propres pratiques de recherche-action, je coopère avec des représentants de collectifs et développeurs de lieux intermédiaires et alternatifs qui partagent des dispositifs d’action semblables à ceux qui mobilisent nombre de membres de la FRAAP rencontrés. Ils y développent un agir collectif comparable et se forgent les mêmes représentations de l’action en commun. Comme leur est commun le recours à des formes renouvelées d’intelligence collective et l’usage du Numérique.
On voit bien que l’on ne peut réduire la question à celle des statuts d’emploi et surtout à celle de leurs différences avec l’emploi salarié faisant norme. Les artistes ont souvent des statuts de professionnels indépendants. Ils voisinent et interagissent avec les salariés des associations et des réseaux qui les aident dans leurs activités, les organisent, parfois les représentent. D’une certaine façon, nous retrouvons ces mêmes complémentarités et structurations dans les mondes de la recherche, lorsque les chercheurs vivent la même expérience d’autonomie des artistes –La sécurité en plus, ce qui change cependant pas mal de choses- et un rapport comparable aux catégories qui les aident et organisent leurs activités ; les personnels administratifs et techniques de la recherche. La recherche connait aussi la croissance des statuts précaires pour ceux qui ne sont pas titulaires des grands organismes publics de recherche.
Dans le même temps, mes recherches sur les milieux porteurs d’initiatives solidaires me montrent des acteurs dans lesquels les jeunes artistes sortant des écoles d’art se retrouveraient certainement.
Voici comment je résumais cet aspect dans un document récent :
Les recherches montrent la manifestation d’un fait générationnel que certains qualifient d’émergence des Millenials, de Digital Natives, de génération Y. On pourrait évoquer aussi leur appartenance à ce cognitariat (Moulier-Boutang, 2007), mais aussi à la « Multitude » (Hardt, Negri, 2004) ou au Precariat (Standing, 2014).
Deux composantes principales forment ces communautés et collectifs de preneurs d’initiatives solidaires, voire en communs. La première composante est le fait d’individus, plutôt jeunes, autant hommes que femmes –La parité dans les modes d’action et de gouvernance n’a pas besoin d’être revendiquée, elle est souvent de fait-. La plus part du temps ils sont diplômés de l’enseignement supérieur, la norme est ici le Master, en particulier ceux produits récemment par l’université française. Peu d’entre eux (elles) sortent de filières caractéristiques de l’élite française, les grandes écoles (d’ingénieurs et de commerce).Leur engagement pour les communs ne s’opère pas tout à fait au sortir des parcours de formation initiale. Il intervient souvent après un temps et des expériences, souvent douloureuses, d’insertion professionnelle dans l’emploi ordinaire par les parcours de stages, de volontariat, d’emplois à durée déterminée, etc.
Mais cette première composante voisine avec une autre, plus âgée, faite de cadres en « transition d’emploi », pour ne pas dire en reconversion professionnelle, et plus globalement personnelle. Cadres intermédiaires, diplômés dans des filières courtes (Bac+3), bloqués dans leurs perspectives de promotion ou fragilisés dans les restructurations des entreprises, ils sont tentés par la création d’activités. Ils ont souvent commencé un parcours ordinaire de créateur d’entreprise dans les modes de l’ « entrepreneuriat ». Parfois, ils sont à cheval entre deux mondes : celui de l’entrepreneuriat et de ses dispositifs publics et privés d’accompagnement, et celui des collectifs et des lieux et dispositifs de l’action en communs. Ici la parité est moins nette, les hommes sont plus nombreux à prendre le risque d’un cheminement qui est souvent présenté comme une reconversion personnelle plus encore qu’une seconde carrière. Mais, les femmes constitutives de cette composante, ont des raisons spécifiques de se retrouver dans ces mêmes lieux et dispositifs en communs. Elles ont souvent exercé des métiers de cadres intermédiaires, mais ont connu les ruptures de carrière, les reconversions obligées des restructurations industrielles avant celles du tertiaire, de la grande distribution, les blocages de carrière dus au plafond de verre de la promotion. De fait, elles ont souvent gardé des contacts avec ces contextes économiques.
Ce sont majoritairement des personnes relevant de ces deux composantes que nous retrouvons dans l’action pour les communs. Ils sont alors, non seulement des acteurs porteurs de projets de communs, mais aussi gestionnaires d’organisations économiques tentant des modes de valorisation économique hybridée, les faisant se rapprocher, de fait, des organisations de l’ESS.
Si elles s’en rapprochent, ces deux composantes sociales se distinguent cependant nettement des catégories sociales principalement mobilisées dans le champ de l’ESS. Dans ces catégories, nous retrouvons plutôt des professionnels des secteurs de l’éducation et de la formation, associés à des métiers et professions travaillant, ou ayant travaillé dans différents secteurs de l’industrie ou des services. Le nombre de retraités de l’Education Nationale et du secteur public, de la fonction publique territoriale par exemple, est ici très important.
En fait, pour comprendre ce qui réunit ces différentes catégories, il faut examiner leurs trajectoires de socialisation professionnelle. Leur seul positionnement en tant que représentant d’une catégorie sociale, statistique, n’est pas suffisante pour en définir les potentialités d’un agir collectif. Ainsi, l’origine sociale et le niveau de formation initiale ne les discriminent pas de ce point de vue, ne serait-ce que du fait de la relative massification des diplômes –Je pense aux Masters de l’Université- ; et ce même s’il faut constater que l’accès aux formations supérieures demeure un indicateur fort de marquage social.

3. Les artistes au cœur des processus d’intermédiation
En tant que groupe social susceptible de développer un positionnement objectif proche des représentations communes de leur appartenance à un groupe et de leurs rapports aux autres, une autre dimension les réunirait davantage. Cette composante est le fruit de leurs expériences communes de l’intermédiation.
Je formule cette hypothèse au terme de trois années d’observation et d’action au sein de dispositifs d’action collective sur lesquels portent mes recherches. Ces dispositifs sont conçus et animés par des acteurs porteurs d’initiatives solidaires et de projets collectifs axés sur les potentialités du Numérique, le développement d’activités basées sur la création et la mise en commun d’usages en communs au sein de collectifs locaux. Deux de ces dispositifs posent directement la question de l’intermédiation. Leurs initiateurs sont connus pour former un collectif d’ « activistes », lillois au départ, et de la région Hauts de France de plus en plus, le collectif « Catalyst ». Ce collectif a la particularité d’être informel, de ne pas s’être constitué en association (du type loi 1901), tout en ayant été reconnu depuis quatre ans par les collectivités locales, la Métropole Européenne de Lille en tout premier lieu. Ce collectif est à l’origine de nombreuses actions qui sont autant d’expériences d’intermédiation.
L’un de ces dispositifs est un atelier tenu tous les deux mois, appelé « Meet-Up Tiers Lieux ». Il permet de rassembler des représentants de collectifs ayant un projet de tiers lieu (Burret, 2015), de leur faire exposer leur projet, de soumettre ce projet à la discussion de porteurs équivalents, puis de tenir plusieurs groupes de travail à la suite. Les mêmes activistes Catalyst se trouvent, pour certains d’entre eux, à l’origine d’un autre dispositif, plus spécifiquement axé sur la fédération et le partage d’expériences sur les communs1. Cette « Assemblée des Communs » se tient, quant à elle, tous les mois, depuis la fin 2015. Envisagé par le « Réseau francophone sur les biens communs », organisateur d’un événement national appelé « Le temps des communs », mais véritablement initié sur le terrain à Lille, ce dispositif commence désormais à faire école en France2. La participation à ces différentes mobilisations d’acteurs sociaux vient renforcer les observations que je mène en direct, dans le suivi de certains des projets présentés dans ces différents dispositifs. Ma participation à ces expérimentations et à leurs analyses intervient dans le cadre du projet CREACIT (Créativité Citoyenne) que je développe depuis 2015 avec l’association Interphaz ; projet de recherche action qui a reçu le soutien de la Région Nord Pas de Calais au travers de son programme de recherche « Chercheurs-Citoyens ».
Ce que tout cela permet, c’est bien une réflexion spécifique sur les contextes et les pratiques d’intermédiation. Philippe Henry, envisageant ce qui caractérise les espaces de création culturelle et artistique, reprend cette notion d’intermédiation qui avait été mise en avant au moment du colloque international sur les friches culturelles, en 2002, et des publications qui ont suivies (Lextrait, Kahn, 2005) : « Dans le sens précisé d’instance active qui met en relation deux situations ou acteurs distincts et qui, parce que justement située entre deux réalités, assure une transition et une communication entre deux phénomènes, la désignation d’intermédiaire me semble rester adéquate » (Henry, 2010).
Pour Philippe Henry, sept dimensions sont structurantes pour caractériser ce que sont ces friches du point de vue de leurs rôles en tant qu’intermédiaires : « En effet et au-delà d’une fonction de médiation entre deux mondes, les friches culturelles existent bien par elles-mêmes et en tant que telles, comme espaces de projets artistiques et culturels identifiés et par ailleurs situés au carrefour d’enjeux divers. Espaces de transactions multiples entre acteurs sociaux hétérogènes, ces « go between » réalisent plus profondément – ou pour le moins ont la volonté de réaliser – une véritable reconfiguration des termes de l’échange entre les acteurs concernés » (idem, p.8).
Je ne détaillerai pas ici ces sept dimensions. Mais, si elles sont une bonne approche pour comprendre ce que sont ces espaces et lieux intermédiaires, « culturels et artistiques », elles le sont aussi pour comprendre la dynamique de lieux, tiers lieux, d’où émergent les initiatives solidaires en communs évoquées précédemment. Ces dimensions sont celles qui permettent la « capacitation » (comme construction de capacités d’action collective, citoyenne, à potentialités de développement économique, etc.) des acteurs qui y sont impliqués, qu’ils soient artistes professionnels, amateurs ou citoyens acteurs de projets alternatifs valorisés dans une autre logique de développement économique. Comme le souligne Jules Desgoutte : « C’est leur capacité d’intermédiation qui les définit (ces lieux) comme « intermédiaires » : à l’intérieur du champ culturel, ils tracent des passages et des continuités entre disciplines –street art, marionnettes, design, peinture, musique amplifiée, danse, art numérique…-, entre acteurs –administrateurs, techniciens, artistes, porteurs de projet, amateurs, habitants…- En dehors, ils ouvrent des lignes de fuite du champ culturel vers d’autres : par leurs pratiques fortement territorialisées, ils croisent autour des enjeux de la ville sensible, les mondes de la recherche, de l’urbanisme et de l’architecture ; fabriques de commun(s), ils explorent des modalités nouvelles d’agir, dans les champs de l’économie, de la politique et de la culture » (Desgoutte, 2016).
Les débats lors d’un séminaire organisé récemment (le 29 juin 2016), à la Briqueterie, à Amiens, par ARTSFactories/Autre(s)pARTs, auquel ont, notamment, participé Ph. Henry et Jules Desgoutte, m’ont que confirmer l’importance de ces processus d’intermédiation dans la construction de ces « intermédialités » (Desgoutte citant Eric Méchoulan, à propos du « tiers inclus et de la médialité de la procédure », revue Intermédialités, 2013). Ces débats prenaient la suite de ceux portés par la Coordination Nationale des Lieux Intermédiaires Indépendants (CNLII) dont la FRAAP est partenaire.
Ces processus d’intermédiation sont sous-jacents aux Tiers Lieux pour ceux qui donnent à voir autre chose que le partage d’espaces de travail entre des personnes isolées. Dans une rédaction récente, portant sur ces espaces, je développe ces processus de capacitation citoyenne, en soulignant les dynamiques d’  « incubation de communs » dont ces lieux sont porteurs (Mahieu, à paraître).

4. Pratiques artistes : les paradoxes de l’intermédiation
Je mesure l’ampleur des travaux à mener pour être en compréhension de ces pratiques d’intermédiation que je viens de désigner comme l’enjeu majeur d’un développement de milieux créatifs ; que ces milieux soient axés sur des activités artistiques et culturelles ou qu’ils soient plus largement des fabriques sociales, citoyennes, porteuses d’une alternative éthico politique.
Ces travaux, je voudrais y contribuer en ayant le souci de mettre constamment en relation ce qui se conçoit au croisement des mondes de l’art et de la culture avec ceux qui se créent pour porter les initiatives solidaires et les projets alternatifs en communs.
Je ne voudrais pas ici en dresser le programme, ni même en détailler les problématiques. Mes impressions lors des Rencontres de Limoges confrontées à l’expérience de mes recherches action en cours me permettent de souligner quelques paradoxes, pistes pour de futures réflexions.

Artistes entre « collectifs » et « lieux »
Le lieu serait au « collectif artiste » ce que l’atelier lui était dans une représentation antérieure ?
Le lieu traduit-il un processus projet porté par un collectif ou n’était-il qu’une opportunité de mutualiser des ressources ?
Plusieurs personnes rencontrées lors des Rencontres m’indiquaient que, pour eux comme pour beaucoup de collectifs, ceux-ci s’étaient constitués au sortir de l’école d’art, au moment où « lâché(e)s » dans la nature, ils-elles avaient dû faire face aux difficultés d’être artistes, seul(e)s.
Le collectif, et donc la mise en commun est alors le recours. Au-delà représente-t-il autre chose, un projet commun, une orientation partagée, une vision du métier et du rapport aux autres, à l’institution, à la société ?
Un parallèle peut être fait avec les dynamiques qui se font jour lors de la création des espaces alternatifs et autres lieux de coworking, les tiers lieux, etc. Le bilan de ces dynamiques de création souligne l’importance des communautés dans la création de ces espaces (Burret, 2015 ; Mahieu, à paraître) ; sans communauté porteuse, et, j’ajoute, sans pratiques d’intermédiation, le tiers lieu n’est souvent qu’un espace de travail partagé, évoluant souvent davantage vers le centre d’affaire que vers un lieu intermédiaire.
Cela débouche sur une problématique bien connue des communautés porteuses de lieux artistiques comme des lieux alternatifs, fut-il privilégier le lieu lui-même en tant que réalité spatiale, matérielle ou le « projet » qu’un lieu (celui-là où un autre, si on y est obligé) permet de mettre en œuvre ? C’est notamment la question qui est posée aux collectifs lorsque la survie ou même la pérennité du lieu est posée.
Ainsi le lieu intermédiaire peut être, tout à la fois, lieu de travail de l’artiste, de résidence de l’artiste invité, lieu d’exposition, lieu de vie et d’interactions. Mais peut-il être aussi un lieu « projet », pour des créations nomades, cartographies sensibles, visuelles et sonores, participatives, interactives, qui pourrait privilégier l’ « itinérance » et le fait « d’aller au-devant des populations » ? Certains –Je ne rends pas compte ici d’une « enquête » qualitative qui aurait le souci de la représentativité des opinions exprimées- m’ont dit : « Pas de lieu, c’est un atout ; on investit des lieux qui ne sont pas dédiés à l’art… ».

Lieux et Identités
La question de la construction des positions et postures artistes, des trajectoires personnelles et des parcours identitaires est une question complexe. Je ne l’aborde ici qu’en relation avec cette problématique des lieux intermédiaires, lieux de pratiques d’intermédiation. Alors, il faut tenir compte de la diversité des façons dont se construisent ces parcours, souvent dans une succession de lieux portés par autant de collectifs et de groupes d’appartenance. Les expériences de coopération se mêlent alors aux controverses, voire aux ruptures.
Ce sont souvent autant d’interactions, de frottements, comme autant d’épreuves de construction de singularités. Ici aussi mes observations des tiers lieux me révèlent autant des processus collectifs d’intermédiation qui sont, pour beaucoup, construction d’une « justesse personnelle », selon Danilo Martuccelli (2010).
« Je ne suis plus restreint à un lieu, mais lié à un territoire ; avec un lieu je n’ai pas trouvé mon compte, parce qu’il faut s’identifier… »
« Je veux être l’artiste, mais pas l’artiste tout court, tout seul, on ne peut pas se contenter d’être artiste tout seul. On ne peut pas n’exister qu’en lien avec les expos, en vendant des œuvres ; on vit dans un espace complexe. On vit de la relation au sein d’une communauté (de pensée) qui forme un espace d’institution. On vit de nos expériences hybrides, d’expérimentations des formes d’art en public, de l’intermédiation… ».
« Le « nous » se construit souvent après l’école d’art, lorsqu’on est lâché tout seul après 5 ans d’études et de projets en collectifs… »
« Ce n’est pas seulement, ou tellement, que l’on veut réaliser des œuvres collectives, ce sont souvent des œuvres individuelles mais aidées par des compétences qui viennent des autres pour faire avancer des œuvres qui demeurent personnelles… ».
« J’aime travailler dans un atelier, mais dans un contexte « collectif ». Je préfère travailler seul (photos), dans un espace cloisonné. Mais, j’aime qu’à côté de moi, il y en ait d’autres avec qui je peux partager une même expérience de travail, des réseaux. Je privilégie le travail individuel mais dans un espace qui permet des contacts, des repas en commun par exemple, un atelier personnel mais avec des liens amicaux forts, et de la coopération sur certains travaux entre pairs… ».
« La dynamique de création collective, de co création, ou de mise en commun des démarches individuelles de création avec entre aide ou coopération, partage de compétences, etc. ; ce n’est pas un phénomène récent. Les processus de création ont souvent été plus collectifs qu’on ne le croit ; les collectifs jouant un rôle d’  « incubateurs de singularités ». Le rôle des collectifs structurés en assos se trouve bien là… ».

Les questions de professionnalisation aux détours des processus de coopération
Je me rends compte que parler de coopération entre structures peut soulever des interrogations.
La question de la coopération entre lieux, structures et réseaux peut présenter des pièges lorsque les parcours spécifiques des uns et des autres en leur sein ne sont pas identifiés, explicités et organisés : « Il ne suffit pas de créer des dispositifs de coopération pour que les artistes puissent y avoir accès.. ».
Ces dispositifs de coopération permettent-ils de développer des logiques de professionnalisation, mais lesquelles et privilégiant qui ? S’agit-il de professionnaliser des artistes dans la pluridisciplinarité de leurs activités et la diversité de leur parcours, ou s’agit-il de professionnaliser des métiers culturels éventuellement dans des perspectives de polyvalence fonctionnelle ? Certains soulignent que les dispositifs de coopération profitent d’abord aux « staffs des structures et des dispositifs de coopération qui sont souvent les mêmes ou ont les mêmes trajectoires en sont les développeurs et les animateurs. Mais les artistes sont souvent marginalisés dans les processus de coopération, lorsque ces processus sont appuyés par des dispositifs financés par l’action publique… ».

Lieux, Institutions, Patrimoine…
Les Rencontres sont l’occasion de présenter des lieux, des « structures », certaines faisant « réseaux ». Les présentations mêlent descriptions physiques de ressources, de moyens, de réalisations et récits historiques de la création et des développements qui s’en sont suivis.
Ainsi, quand il est question de la création de centres d’art, la présentation qui en est faite peut restituer des processus et des logiques bien différentes.
S’agit-il, au départ d’artistes créateurs, d’un collectif qui se crée et définit un lieu, puis le lieu devient centre d’art et éventuellement un bâtiment est créé, avec un architecte qui en symbolise la création, puis le directeur du centre qui l’organise et en devient l’incarnation…
Mais, le patrimoine auquel on identifie ensuite plus ou moins l’entité créée, c’est l’histoire de l’ensemble des interactions et des intermédiations qui ont rendu possible des processus de création ancrés sur un territoire, ou le patrimoine sera-t-il réduit au lieu lui-même dans son existence physique et institutionnelle ?

Du fait des recherches que je mène par ailleurs et du choix fait de les positionner au sein d’une Chaire interdisciplinaire en Economie Sociale et Solidaire, je n’ai pas manqué d’être interpelé, lors des Rencontres, par deux autres thématiques. La première de ces thématiques est celle de l’économie politique sous-jacente à un développement d’activités artistiques et culturelles marqué par cette créativité diffuse et cette interdépendance créative évoquée plus haut. La seconde est celle qui fait converger reconnaissance des activités créées, valorisation économique de ces activités, représentation de ceux qui activent ces processus de création et structuration d’un espace public, incubateur de mobilisations éthico politiques, d’activités valorisées économiquement ainsi que de politiques publiques et d’institutions en appui.

5. Quelle économie politique pour quelles intermédiations ?
La question de l’ « économie » est peu souvent abordée. Elle est plus souvent vue comme une contrainte au travers de la question du financement provenant de l’institution publique au titre de la redistribution par l’action publique. Elle est souvent associée à une alternative qui semble marquée d’évidence mais que démontent les pratiques innovantes de création d’activités portées dans des logiques émergentes d’un entreprendre en communs. Ce qui est parfois présenté comme le « nouveau paradigme » économique des activités artistiques et culturelles : « il ne faudrait plus trop compter sur le financement public et aller vers un entrepreneuriat culturel à même d’assurer désormais une partie importante de la valorisation de ces activités… ».
Lors des Rencontres, quelqu’un soulignait « l’ambiguïté de la gratuité pour nos activités…Ils nous voient comme des bénévoles dans l’espace public. Lorsque les représentants des collectivités territoriales nous font accéder à un espace, à un mur, etc. Ils estiment que cela va nous aider à nous faire connaitre. Ils n’envisagent pas que ce soit une « activité » qui mérite une rémunération. On se financerait donc ailleurs, par les expositions (mais qu’en est-il de l’exercice rémunéré du droit de représentation ?), par les ventes en galeries (mais quelle est l’économie des galeries d’art contemporain ?)… ».
Et un autre ajoutait à ce propos que « l’on ne peut pas compter à ce moment-là sur les représentants des institutions (type Frac) qui ne connaissent rien à la création, à ses processus concrets et à la façon de les financer et de les rémunérer… ».
Pour le représentant de la DGCA-Ministère de la Culture, à propos des réflexions en cours sur un futur schéma directeur de la filière, le SODAVI : « Il faudrait associer le secteur marchand pour y mettre de l’économie, y mettre les métiers d’art, la mode, le design… ». Ainsi, il ne saurait être question d’économie en dehors de l’évocation du secteur marchand ? Il est apparu à d’autres qui n’ont pas manqué de le dire que l’économie politique permettant de penser l’évolution de la filière ne pouvait se réduire « au fait d’y intégrer les galeries…des galeries, qui plus est, sont en difficulté, et s’en sortent en adoptant des statuts associatifs… ».
Quelqu’un faisait alors remarquer que « l’économie ce n’est pas seulement le marchand, c’est l’ESS, réflexion qui est bien présente dans les avancées de l’UFISC… ». De façon convergente à un texte qui donne une dimension artistique et poétique aux lieux intermédiaires sous le titre de Commun(s), il me semble important de souligner en quoi le mouvement de l’ESS enrichi de la dynamique des communs ouvre de nouveaux horizons pour une économie politique ouvertes à la création et au développement des activités artistiques et culturelles comme il l’est aux activités générées par le Numérique en Open Source.

6. Engagements et représentations des artistes dans un espace public en émergence ?
Les associations et collectifs d’artistes sont des « acteurs résilients » dans les territoires.
« Voir ces associations et ces collectifs comme des opérateurs de médiation culturelle, c’est une façon élégante et dépolitisée de parler du rôle de tampon et d’amortisseur de la violence sociétale que recouvrent les ségrégations créées dans les territoires par les rapports économiques dominants ».
Il faut identifier le rôle que l’on fait jouer à ces associations pour le construire en intervention politique et en professionnalisation maîtrisée par les artistes eux-mêmes.
La question est posée de la représentation des artistes : Qui parle pour eux ?
Les artistes sont marginalisés dans les processus de discussion et de négociation avec les institutions, mais aussi dans les processus de coopération, dans l’accès aux ressources.
La FRAAP est un outil commun, une plateforme pour donner de la visibilité aux assos d’artistes.
Mais comment représenter les salariés des structures et des réseaux et les artistes qui eux sont en micro BNC, ou sous statut Maison des Artistes ?
Cela rejoint la question de la professionnalisation, mais professionnalisation de qui : des artistes, ou de toutes les professions intermédiaires qui se développent à mesure que la profession se structure ?
« Qui nous représente ? » « Par-delà ce que disent ces structures il faut aller voir si les artistes et leur dynamique de création sont bien représentés. Il ne faut pas se sentir représenté par les structures type Drac, Frac, ou même les lieux, si ce n’est pas vraiment le cas… ».
« Il faut aller les voir (les Drac, les assos de diffuseurs, les lieux intermédiaires) pour parler de nos pratiques réelles qui ne sont pas celles du spectacle vivant ou des musiques actuelles… ».
La discussion lors des Rencontres me semble vouloir faire converger plusieurs modes de représentation, activant plusieurs types d’action et d’argumentation / délibération : le mode de représentation type CIPAC, une représentation des lieux officiels, leurs organisations, leurs salariés… ; le mode de représentation type FRAAP, dans la mesure où « elle représente vraiment les petits collectifs et les artistes, en direct… ».
Ces modes de représentation se mettent en œuvre à différents niveaux : le niveau national, les schémas, les conseils nationaux, les négociations professionnelles ; de plus en plus, les niveaux des collectivités territoriales.
Mais, un danger est évoqué, celui du tropisme régional, c’est celui où peut se construire la filière dans ses rapports avec les acteurs majeurs des collectivités territoriales, les Régions : « Le danger serait d’assimiler toute concertation locale à ce niveau sans tenir compte des concertations locales, infra régionales, celles où les projets se font, se financent…. ».
Une autre question est posée celle des articulations entre les fédérations nationales et les réseaux régionaux.
Mais, une des difficultés principales de la concertation et de la négociation (du partage de la valeur) est peut être ailleurs ; dans le fait d’être un secteur qui n’a pas une opposition frontale entre employeurs et salariés. « On ne peut pas évoquer le paritarisme comme dans le spectacle vivant. Les artistes ne sont pas des salariés ; ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des oppositions de cette nature au sein de la filière… ».
Ainsi, les limites de la concertation seraient dues au fait de ne pas être une branche et de ne pas avoir un paritarisme évident et une opposition employeurs / salariés. Mais les représentants qui pensent en représentation paritaire ont eux aussi des limites.
Des représentants comme l’UFISC et la FRAAP sont bien partenaires de ces concertations : « ils sont dedans, ils apportent sans être des émanations des exclusives de forces soit employeurs soit salariés… ».

Mais, on pourrait élargir la question de la représentation des milieux de la création artistique pour mieux comprendre leurs rôles comme acteurs politiques. Un participant aux Rencontres soulignait le rôle des associations et collectifs d’artistes comme acteurs résilients sur les territoires. Mais, au-delà de cela, c’est la question de leur rôle dans un espace public en recomposition qui me semble posée.
Je me la suis posée à propos des tiers lieux, des mobilisations et des processus d’intermédiation que j’observe dans mes autres terrains de recherche.
Ainsi, je développe l’idée selon laquelle : « L’institution d’un espace public 3c’est l’émergence d’un vocabulaire et de modes argumentatifs et décisionnels spécifiques. Le tournant communicationnel, avec Habermas notamment, a consisté à mettre l’accent sur la structure argumentative de la discussion publique. La sociologie à visée pragmatiste insiste, quant à elle, sur l’agir ensemble. Mais, un espace public c’est avant tout une collectivité, une configuration de couches ou classes sociales, dans lesquelles s’enracinent des acteurs mobilisés. Ces acteurs pourront être socialement diversifiés, mais relevant de positions sociales et de postures socio politiques suffisamment proches pour permettre une prise de conscience d’eux-mêmes et une volonté de se déterminer, de se produire (et reproduire) et de se transformer, lorsque le maintien ou l’instauration d’une posture hégémonique le rend nécessaire. Les rapports complexes entre espace public, action politique, notamment sous le thème de la liberté et des droits, et configurations sociales sont au cœur de l’analyse et des interprétations à propos des mobilisations à l’œuvre dans ces initiatives et des communautés et réseaux qui les fédèrent. Dans quelle mesure une communauté participe-t-elle à l’institution d’un espace public politique, en accédant à la visibilité sur une scène publique sur laquelle les acteurs s’appréhendent les uns les autres comme égaux, libres, autonomes et solidaires dans une intersubjectivité de niveau supérieur (Cottereau, Ladrière et al., 1992, p.13) ? Les réticences demeurent quant à la possibilité de ceux appartenant à certaines couches sociales marginalisées d’accéder à de tels processus d’action collective potentiellement émancipateurs. Tenir compte des limites de l’action collective suppose une approche plus stratégique, envisageant des sous espaces publics dominés, quitte à les considérer comme articulés dans un espace public oppositionnel au sein duquel des couches sociales, plus avantagées en capacités d’action collective, jouent un rôle hégémonique. Cette conception de l’action politique en termes d’ « espaces publics partiels » nous fait porter notre attention, plutôt que sur les contenus substantifs en valeurs des argumentations, sur les contenus collectivement et socialement construits au cours des pratiques collectives. Cela nous met en vigilance sur les principes, les procédures d’argumentation et de décision garantissant la fondation des normes et des institutions que se donnent les acteurs. Quels en sont les acteurs clés, en situation hégémonique au sein de cet espace ? » (Extrait d’un article en cours sur « L’Espace Public de l’Agir en Communs : Publicité des tiers lieux et accompagnement des projets vers l’Assemblée des Communs »).
C’est dans cet esprit que, selon moi, devrait s’analyser l’expérience du CRAC (Comité Régional Art et Culture) dans le Nord Pas de Calais Picardie.
C’est aussi au regard de cette notion d’espace public et en prenant en considération la dynamique instauré par la démarche CRAC que je m’interroge sur l’opportunité qu’il y aurait d’une dynamique similaire à impulser pour et par les chercheurs, et à faire converger ces dynamiques…Le jeu de l’action politique est ouvert….

Je ne voudrais pas terminer ces annotations et propositions personnelles sans redire tout mon intérêt pour poursuivre la réflexion et ma disponibilité pour de futurs partenariats de recherche action.

Références :
Desgoutte J. (2016), https://www.artfactories.net/Commun-S-Vers-une-poetique-des.html

A lire également