Lieux intermédiaires, chemins d’errance

Espaces/temps de l’utopie vivante

D’abord l’errance

Le chemin n’est fait que de lieux et de moments

Le lieu est le chemin

« Mais, je ne vis que d’espaces intermédiaires », Peter Handke

que je sois donc, toujours, en mouvement, toujours sur les routes. Mais, lesquelles ?

Ainsi commence l’introduction générale du livre de Lambert Barthélémy , (Fictions contemporaines de l’errance, Peter Handke, Cormac McCarthy, Claude Simon, Paris, Classiques Garnier, 2011).

Mais, comme s’interroge immédiatement Barthélémy, « Qu’est-ce qu’une route ? ». Pour lui, c’est : « Un ferment de conquête, comme une surface d’accueil, un bifrons iqui donne de l’espace sa profondeur de multiplicité et de médiation, d’assemblage . Mais définir ce qu’est une route, c’est aussi nécessairement aborder la question de l’usage. La route : une libération, une domination, une invention ; un voyage, un exil, une errance » (p.9).

Il pourrait y avoir un paradoxe à définir un lieu qui se veut intermédiaire, (Mais le veut-il ou ses protagonistes y mettent-ils la même signification?), comme un espace non « fixé », un espace mobile en quelque sorte, un espace davantage temporel que lieu physique. Pris avant tout comme un lieu physique la problématique se centre sur l’économie du lieu et sur son rapport au foncier. Mais, pour qui connaît les lieux au travers des pratiques sociales qui lui font être un lieu, ce que l’on pense être avant tout un lieu le lieu est, d’abord, une projection collective, puis, un moment dans la mobilisation commune, plus concourante que convergente. C’est pourquoi toute définition de ce qu’est un lieu, tiers lieu, est un processus collectif de mobilisation, plus une aventure et un récit que la description fonctionnelle d’un ensemble d’activités et de services répartis dans des espaces, et même plus un récit qu’ un projet.

Prendre ce pli de l’errance, c’est faire notre ce constat de Lambert Barthélemy pour qui : « le monde contemporain légitime l’émergence d’un imaginaire du fluide et de la circulation au sein duquel les subjectivités et les entités collectives sont susceptibles de muter » (p.24). Pour lui, « la figure déceptive de l’errance renvoie à une situation initiale d’exil intérieur, d’échec, de perte ou de refus et apparaît comme une façon d’être au monde selon des modalités a priori inacceptables pour les discours qui régissent la compétence traditionnelle du sujet, … Le personnage en errance des fictions contemporaines apparaît comme un sujet précaire et démobilisé, un sujet soustrait à la mobilisation générale et aux impératifs de productivité qui l’organisent et voué aux modalités latérales ii ». C’est ce qui lui fait dire qu’il y a toujours dans l’errance, si c’est bien de cela dont il est question aussi dans ces lieux / chemins, l’enjeu d’une « contrebande », « d’une circulation clandestine de subjectivité dans les interstices du temps et de l’espace du Pouvoir », comme on la trouve aussi, « entre les frontières, les langues, les cultures ». Barthélemy reprend alors ce dont parle Pierre Barbéris lorsqu’il analyse la question de l’errance en termes de « soustraction du sujet à l’espace-temps du Pouvoir, soit comme le signe d’une « crise du politique » (Pierre Barbéris, « Utopie, errance, littérature. Errance, erreur, sens ? », Elseneur, n°7, 1992, p.227-253). « Errer, c’est ce qui reste au sujet quand il n’a plus de place , plus de lieu assigné, quand le lieu habité devient inhabitable » (Barthélemy, opus cité p. 25). Mais alors, errer dans cette acception, « ce n’est plus chercher un autre lieu, mais plutôt faire de l’absence de même un territoire d’habitation » (idem, p.25).

Enfin, l’utopie vivante, à suivre

iSe dit d’une statue ou d’un buste à deux visages opposés.

ii Avec cette notion de modalité latérale, Barthélémy renvoie aux catégories élaborées par Peter Sloterdijk dans Eurotaoïsmus, en français, La Mobilisation infinie, Ed Christian Bourgeois, 2000.

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