Richard Powers,  Sidérations, Actes Sud, 2021, p.218-219.

LA PREMIERE FOIS QUE TEDIA MOURUT, c’est quand une comète arracha un tiers de la planète, la transformant en lune. Rien sur Tedia n’y survécut.

Au bout de dizaines de millions d’années, l’atmosphère revint, l’eau se remit à couler, et la vie se ralluma. Les cellules apprirent le vieux truc symbiotique qui consiste à se recombiner. De grandes créatures se répandirent une nouvelle fois dans chaque niche de la planète. Et puis une explosion lointaine de rayons gamma fit se dissoudre la couche d’ozone et les ultraviolets tuèrent pratiquement tout.

Des poches de vie survécurent au plus profond des océans, si bien que cette fois son retour fut plus rapide. Des forêts ingénieuses recommencèrent à s’étendre à travers les continents. Cent millions d’années plus tard, au moment même où une variété de cétacé commençait à inventer l’outil et l’art, un système stellaire du voisinage éclata en supernova et Tedia dut repartie à zéro.

Le problème, c’est que la planète se trouvait trop près du centre de la galaxie, trop collée aux cataclysmes d’autres étoiles. L’extinction ne serait jamais très loin. Mais entre deux destructions, il y avait des ères de grâce. Au bout de quarante redémarrages, l’accalmie dura assez longtemps pour que la civilisation prenne racine. Un peuple d’ours intelligents bâtit des villages et maîtrisa l’agriculture. Ils domestiquèrent la vapeur, canalisèrent l’électricité, apprirent à construire des machines rudimentaires. Mais lorsque leurs archéologues révélèrent à quelle fréquence le monde mourrait, et que leurs astronomes comprirent pourquoi, la société s’effondra et s’autodétruisit, avec des millénaires d’avance sur la prochaine supernova.

Et cela aussi advint encore et encore.

Allons voir quand même, dit mon fils. Juste un coup d’œil.

A notre arrivée la planète était déjà morte et ressuscitée mille et une fois. Son soleil était presque épuisé, et se dilaterait bientôt pour engloutir le monde entier. Mais la vie continuait d’assembler sans fin de nouvelles plates-formes. Elle ne savait rien faire d’autre. Ne pouvait faire autrement.

On découvrit des créatures tout en haut des jeunes montagnes crénelées de Tedia. Des créatures tubulaires, branchues, si immobiles, et si longtemps, qu’on les prit d’abord pour des plantes. Mais elles nous accueillirent, en implantant le mot Bienvenue directement dans notre crâne.

Elles sondèrent mon fils. Je sentais leurs pensées pénétrer en lui. Tu voudrais savoir si tu dois nous avertir.

Effrayé, mon fils hocha la tête.

Tu veux nous préparer. Mais tu ne veux pas nous faire de peine.

De nouveau il acquiesça. Il pleurait.

Soyez sans inquiétude, nous dirent les créatures condamnées. Il y a deux formes d’  « éternel ». Et nous avons la meilleure.

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