« Sens du travail », Sens d’une recherche en communs
moment 1 : initier l’« en quête » exploratoire
septembre 2025
Je m’autorise ici un exercice qui n’a peut-être comme seule utilité que de rassembler des matériaux et des fragments de problématique, traces d’un cheminement de recherche sur le travail, son sens, sa libération.
Ces matériaux font référence à des chercheurs acteurs qui m’inspirent et avec qui je chemine, notamment au sein d’un « groupe de travail ». Mais, ces premiers éléments cherchent à restituer ma contribution au travail collectif.
Comment construire une action de recherche qui vise à mieux comprendre les conditions d’une autonomie dans le travail et d’une gouvernance d’un agir économique en commun ?
Quelles orientations donner à un travail collectif de recherche prônant l’action réflexive sur les conditions de prise et d’exercice d’autonomie dans une triple construction/fabrique de parcours professionnels des personnes, de solidarités des organisations à finalité de développement de capacités d’action économique, de synergies territoriales associant coopérations et conventions ?
La, ou les réponses, à ces questions dépendent de la composition qu’un collectif de recherche en commun accepte de se donner dans une démarche d’ajustement progressif.
Composer le contexte collaboratif
Ici la démarche serait autre que ce que les chercheurs – ici chercheurs « académiques » en statuts explicites de chercheur reconnus comme tels – appellent la recherche action, ou la recherche participative. Dans ces deux cas, les acteurs sollicités pour une participation à la recherche ne le sont qu’à la mise en œuvre du dispositif d’enquête et à la mise en discussion des « résultats », mais peu à l’élaboration de l’objet et de la problématique de recherche.
Une première proposition de recherche dite « contributive » pourrait se formuler ainsi :
Parler de recherche contributive veut dire au moins trois choses.
Tout d’abord, la recherche est affaire de diversité et de pluralité des points de vue de ceux qui s’y engagent. Elle suppose apports et confrontations de savoirs, ceux déjà formalisés de chercheur·e·s, à différents niveaux d’exercice de travaux spécifiquement de recherche, et ceux, ensemble de connaissances
et représentations de l’action, portés par les personnes qui s’engagent dans les processus d’action réflexive.
Ensuite une recherche contributive ne peut pas être la simple juxtaposition de ces savoirs, dans un enchaînement de processus de recherche qui reproduirait la division du travail intellectuel entre ceux qui recueillent les données et formalisent les savoirs d’expérience en connaissances et ceux qui ne feraient
que livrer leurs expériences. S’opposant à cela, une recherche contributive nécessite un cadre collectif pluriel et coopératif qui met en commun constructions problématisées d’observations, hypothèses, méthodes de traitement et élaboration formalisée des résultats.
Enfin, il ne saurait y avoir recherche contributive si les processus de valorisation économique du travail de recherche ne sont pas explicités en tant que tels. Nous nous situons de ce point de vue dans une autre démarche que celle qui consiste à envisager la recherche comme une production de personnes exclusivement dédiées et financées pour cela. Nous mettons en avant un mode de recherche qui s’appuie sur les communs de la connaissance, enrichit ces communs, et vit de la contribution de ceux qui y participent.
Aucun de ces trois points n’est évident.
Manifeste de recherche contributive, Collectif Catalyst, Imaginaire communs – Numéro #0 – Avril 2019
Une autre proposition est celle des « recherches opérées en communs ». Ici la définition repose moins sur des principes que des pratiques de mises en œuvre de rapports basés sur la contribution aux communs.
Cf. « Des recherches opérées en communs pour une science socialement partagée », Alain Mille, animateur Coexiscience, Alters Média, Les cahiers citoyens, écologistes et solidaires, n°5.
Construire des capacités d’action réflexive en commun de recherche
Il s’agit pas ici d’établir une liste de compétences complémentaires de nature à enrichir une démarche de recherche. Il s’agit plutôt de comprendre les liens écosystémiques qui relient des acteurs engagés, explicitement ou de fait, dans des processus de mises en communs, dans des relations localisées, ou trans locales.
Plus qu’une liste d’acteurs chercheurs il faut envisager ici une dynamique collective de catalyse.
Voici comment nous le définissions en exergue du numéro initial de la revue Imaginaires Communs
Agir en communs et catalyse
Un collectif, Catalyst, composé d’une dizaine de personnes, a véritablement impulsé les premières expériences de création de communs dans l’agglomération lilloise à partir de 2010.
Le choix avait été fait, par l’un d’eux, de se dénommer Catalyst, alors même que ce collectif ne se donnait aucune structuration juridique, même pas associative. Les « Catalyst » ont d’abord été les initiateur·e·s des premiers lieux de co working lillois. Ils ont porté des projets dans des modes d’action inédits dont les premiers tiers lieux ont été les incubateurs.
En fait, les actions expérimentées par eux ne faisaient alors référence explicitement, ni à l’économie sociale et solidaire, ni aux politiques de la ville, Villes en transition ou autres actions publiques à destination des quartiers en difficulté. Elles sont souvent apparues a posteriori comme des contributions originales à ces différentes politiques. Elles ont alors été reconnues et financées comme telles. Mais surtout, les modes d’action qui les réunissaient et les faisaient coopérer se sont peu à peu révélés plus explicitement sous l’angle des processus de « mise en communs » qu’ils mobilisaient. Ce collectif a ainsi fortement contribué à progressivement acculturer l’espace public dans la
métropole lilloise à la prise d’initiative solidaire et, plus explicitement à partir de 2013, aux communs.
Quels ont été les apports de ces expérimentations dont les numéros de la revue Imaginaire communs – Cahiers de recherche du collectif Catalyst – veulent capitaliser les résultats ? En quoi les modes d’action ont-ils permis l’imprégnation d’une culture du commun ? Ils l’ont permis par l’importance donnée aux processus coopératifs permettant la formation de communautés
pratiquant une gouvernance démocratique de ressources partagées. Il est apparu qu’il s’agissait là d’une démarche originale : un procédé catalytique 1 de conduite de l’action collective pour la mise en communs.
André Danzin, dans un article célèbre, « Vers une culture de la complexité », parle de ce qu’il appelle “ l’ agir par actions catalytiques ” et ce n’est pas un hasard si ce mode d’agir trouve toute sa pertinence s’agissant de mise en communs. Pour lui, « agir par actions catalytiques, c’est imiter les systèmes
naturels qui gouvernent la physico-chimie de l’inanimé et des comportements biologiques. Le catalyseur est une “ forme ” proposée au système en période d’instabilité et donc en voie d’organisation. La seule présence de cette forme est structurante en ce sens qu’une contagion se propage qui généralise
la forme proposée à l’intérieur du système en marche vers sa
nouvelle structure »
1. La catalyse (du grec ancien κατάλυσις Katalysis, détacher) se réfère à
l’accélération ou réorientation de la cinétique de réaction au moyen d’un
catalyseur, et dans certains cas à la sélectivité pour diriger la réaction dans un sens privilégié (réaction concurrente, production d’un produit plutôt qu’un autre)
2. Le catalyseur est utilisé en quantité beaucoup plus faible que les produits réactifs. Il n’apparaît pas en général dans le bilan de réaction, donc pas dans son équation globale. Cependant les molécules du catalyseur participent à la réaction dans une étape, ce qui explique leur
influence sur la vitesse de réaction, et ensuite elles sont régénérées dans
une étape subséquente 3. Le catalyseur reste parfois intimement mélangé au produit final.
(Chimie) Action de certains corps ou composés qui, par leur seule présence, facilitent la transformation d’un réactif sans être eux-mêmes modifiés lors d’une réaction chimique.
(Linguistique) Élément du texte qui accélère, retarde, relance le discours.
La fonction constante de la catalyse est donc, en tout état de cause, une
fonction phatique (pour reprendre le mot de Jakobson) : elle maintient le
contact entre le narrateur et le narrataire, — (Roland Barthes, « Introduction à l’analyse structurale des récits », in Poétique du récit, W. Kayser, W. Booth, Ph. Hamon (éd.), Paris, Seuil, p. 23)
Les tiers lieux dont les Catalyst ont été les initiateurs, les dispositifs d’action qu’ils ont expérimentés, ont permis ces effets de catalyse : formes d’action communautaire, pratiques coopératives, dispositifs transitoires et transformationnels, structuration progressive par contagion, résilience des volontés de coopération par irradiation, pratiques démocratiques de coordination de type stigmergique…
Beaucoup de formes innovantes à expliciter et dont la revue
veut rendre compte.
André Danzin, « Vers une culture de la complexité », Études, Décembre
1988, p. 636.
En biologie, la stigmergie est un mécanisme de coordination indirecte
entre les agents. Le principe est que la trace laissée dans l’environnement
par l’action initiale stimule une action suivante, par le même agent ou un
agent différent
Collectif Catalyst, Imaginaire communs – Numéro #0 – Avril 2019
Construire le dispositif d’ en quête :
S’ajuster sur la problématique, sur les enjeux et les traduire en questions de recherche
Tout cela ne peut se déclarer a priori, ce sont des formes d’action collective en réflexivité qu’il faut construire par ajustements continus.
L’énonciation de l’action est déjà un début de construction de telles actions.
Les exemples :
Le sens du travail en questions
(Bernard Brunet pour le Groupe de Travail de la Coop des Communs)
Une enquête exploratoire de La Coop des Communs auprès des salarié·es des
entreprises de l’Économie Solidaire
« Dans votre travail au quotidien, avez-vous le sentiment de contribuer à réaliser les missions sociales ou environnementales portées ou revendiquées par votre entreprise ?
Pouvez-vous donner un exemple récent, où vous avez ressenti une certaine
fierté de l’impact de votre travail ?
Votre travail est-il exigeant physiquement ? Devez-vous souvent travailler sous
la pression du temps ou des clients ?
Dépassez-vous souvent vos horaires théoriques ? Estimez-vous que vos
conditions de travail sont soutenables ?
Avez-vous en général les moyens de faire un travail de qualité ? Eprouvez-vous
souvent la fierté du travail bien fait ?
Avez-vous le sentiment que votre hiérarchie connaît votre travail réel (ce que
vous faites au quotidien, vos difficultés, vos initiatives, votre engagement dans
votre travail…) ?
Trouver du sens à son travail est une composante essentielle de la satisfaction
au travail pour de nombreuses personnes. Est-ce votre cas ? ».
Interpellée par une tribune de Pierre-Yves Gomez dans Le Monde, évoquant
« le travail mis à distance par les comportements et les attentes des nouvelles
générations », La Coop des Communs a initié un groupe de travail composé de
praticiens et de chercheurs afin de mieux comprendre comment sont perçues
ces questions au sein des entreprises de l’ESS et notamment de celles qui ont
opté pour un fonctionnement participatif.
En effet, qu’est ce qui fait encore sens aujourd’hui dans le fait de travailler pour
une entreprise, outre le besoin de gagner sa vie ?
Alors que bifurcation, démobilisation, ennui au travail, turn-over, perte du lien
au projet de l’entreprise, constituent autant de phénomènes qui interpellent
leurs responsables comme les observateurs du fait social, les entreprises qui se
reconnaissent dans l’ESS et les communs ont elles des atouts spécifiques à faire valoir ?
Voici quelques-unes des questions que La Coop des Communs se propose
d’explorer avec vous afin de mieux comprendre les raisons et les situations qui
font qu’un·e salarié·e peut avoir envie ou pas, d’adhérer aux valeurs et de
s’impliquer dans le projet de son entreprise.
Pour ce faire nous avons besoin de cinq à six volontaires, si possible
représentatifs de la diversité des postes et des situations dans l’entreprise, qui
accepteraient de nous accorder 45 minutes de leur temps afin de répondre de
manière anonyme à nos questions les invitant à nous parler de leur travail réel.
Ce pourrait être par exemple leurs engagements éthiques, leurs choix
d’organisation du travail (verticale/horizontale), la gestion du pouvoir (pouvoir
de la hiérarchie mais aussi pouvoir d’agir des salariés) et de la gouvernance, la
considération des métiers et des savoir-faire, la reconnaissance du travail réel et de l’engagement…
Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Pour répondre à cette question, les membres du groupe de travail ont identifié
un panel d’entreprises pour qui ces préoccupations sont à l’ordre du jour.
Nicole Alix (présidente de La Coop des Communs), Bernard Brunet (militant des
communs), Thomas Coutrot (économiste et statisticien), Christian Mahieu
(sociologue, chercheur CNRS), Gaïa Ozeray, Justine Loizeau, Daniel Le Guillou…
Le travail émancipateur (action information formation atelier, Maillage-Apes)
Ces ateliers se déroulant dans le contexte de plusieurs Entreprises à But d’Emploi, (l’EBE mise en œuvre en lien avec un CLE comité local de l’emploi, est le cœur des expérimentations locales au titre du projet TZCLD) , mises à contribution, je propose de réfléchir sur les paradoxes et les contradictions de développement émancipateur dans les trois dimensions/axes de mise en valeurs du travail formant un espace potentiel de qualification des personnes, des agencements collectifs et des écosystèmes territorialisés.
Premiers éléments de contribution au travail collectif dans le cadre de cette action :
La mise au travail, qui est le premier argument avancé par l’expérimentation TZCLD correspond à un premier niveau d’émancipation, mais une « émancipation entravée », porté par une idéologie libérale/néo libérale.
« Le travail est la solution, réconcilier les Français avec le travail » , B. Martinot et F. Morel, 2025.
Engager la dynamique d’action réflexive : un chantier et sa mise en récit
Proposition d’une contribution de recherche
En relation avec le Groupe de travail de la Coop des Communs sur Le sens du travail en questions, voici les formulations initiales de ce pourrait être une contribution de recherche en commun.
Cette contribution de recherche s’inscrit dans le contexte d’une expérimentation TZCLD et d’une participation active, en tant que bénévole, au développement d’une EBE et d’un CLE, dans les Hauts de France, territoire de B.
La période pendant laquelle cette contribution prend place est importante pour en comprendre le contexte politique au sein du territoire concerné.
Réflexions sur ma propre contribution au groupe compte tenu de mon implication dans une démarche d’expérimentation TZCLD avec participation à ses « agencements spécifiques », CLE (comité local de l’emploi et commission des activités) et EBE (entreprise à but d’emploi).
En parallèle à ce que nous mettons en œuvre dans le cadre de notre groupe de travail sur le « sens du travail » je m’efforce de contribuer, bénévolement, au « développement des activités » d’une EBE -entreprise à but d’emploi- créée récemment dans le cadre de l’expérimentation TZC (Territoire Zéro Chômeur).
Je m’interroge sur ma contribution et la relation à établir avec les acteurs concernés par ce développement, dans le respect des positions des un.es et des autres.
Cette interrogation me semble convergente avec celles que pose notre « en quête exploratoire » dans le cadre de notre groupe de travail.
Le texte de Thomas Coutrot,« Vivre en coopération, le statut coopératif suffit-il à libérer le travail » nourrit fortement ma réflexion en lien avec celle que nous partageons dans notre groupe de travail.
Je retiens en particulier quatre orientations fortes et partagées que le texte met en avant :
1.Le travail est essentiellement l’activité organisée par laquelle les humains transforment le monde naturel et social et se transforment eux-mêmes.
2. Le travail comme activité doit être distingué de (ou des) formes qui résulte du cadre institutionnel dans lequel le travail se met en œuvre ; en tout premier être distingué de ce que le cadre institutionnel qualifie d’« emploi ».
3. La mise en œuvre concrète de l’activité (ce qui relève du travail dit « réel ») s’inscrit dans un ensemble de contraintes et de potentialités relationnelles se traduisant par un agir individuel et collectif variable et dynamique. Cette mise en œuvre est problématisée en termes d’organisation/division/répartition du travail ; de coordination et/ou coopération ; de marges de manœuvre ou zones de contrôle ; de pouvoir/savoir agir ; de mise en dispositions dans le cadre de dispositifs techniques.
4. Le champ relationnel dans lequel interviennent la mise en œuvre concrète des activités génère des positions résultant de la conjonction de trois « forces »
aboutissant à trois formes et/ou niveaux de « capacités » d’action à référer au cadre institutionnel dans lequel ces capacités peuvent s’exercer.
Dans les formes instituées du travail en emplois cela peut se traduire en trois niveaux d’autonomie : opérationnelle, professionnelle, stratégique.
Ces orientations étant établies, comment aborder la question du « vivre en coopération » ? Avec d’autres, au sein d’un « collectif » d’expérimentateurs « nordistes », nous avons tenté de s’interroger sur le « vivre des/en/par les communs ». C’est, je crois, la question majeure qui mobilise, de fait, l’action de la Coop des Communs ; en tout cas, c’est comme cela que j’envisage mes liens avec cette association.
Ces orientations supposent de positionner nos questions par rapport au cadre institutionnel et au champ relationnel dans lesquels s’exerce le travail.
C’est là où, selon moi, les questions doivent être précisées.
La question du comment « vivre en coopération » ne se réduit pas celle du comment vivre en coopérative ».
Thomas Coutrot pose la question suivante : « Le statut coopératif suffit-il à libérer le travail ? »
Les recherches auxquelles il se réfère et ses propres travaux montrent que non.
Cette question me semble devoir être mise en relation avec deux autres niveaux de questionnement. Certes, ces derniers ne peuvent être argumentées dans un court texte problématique susceptible d’orienter une enquête de terrain sur les conditions du travail réel. Mais, il me semble utile de les prendre en considération pour préciser le domaine de validité des résultats d’une enquête exploratoire qui se centrerait sur le travail en coopération.
Une première question, souvent abordée dans d’autres travaux de Thomas Coutrot serait de se demander s’il s’agit de « libérer le travail » ou de « se libérer du travail » ; une question qui vient ici enrichir la question du niveau d’autonomie du et/ou dans le, travail?
Une autre question, plus opérationnelle, se pose quant au « statut coopératif » lui-même. Celui ci ne se réduit pas à la forme SCOP. De nombreuses formes statutaires et agencements coopératifs plus ou moins institués existent et souvent coexistent, s’hybrident aussi dans les écosystèmes relationnels.
Aussi, mais c’est évident, la question ne peut se réduire à celle de l’organisation du travail dans la forme la plus manifeste d’agencement et la plus instituée, l’« entreprise », quant bien même on l’envisage sous différents statuts de « responsabilité », de coopérative, d’association, de groupement, et autres.
On peut alors s’interroger sur les conditions de mise en œuvre d’activités de travail, au regard du travail réel exercé par les personnes, en lien, lesquels ?, avec les collectifs d’intermédiations sous différents registre de coordination/coopération, lesquels ?
Dans quelle mesure les mises en situations permettent, supposent, autorisent, positionnent les personnes dans un espace temps de l’autonomie à trois dimensions, celle de la personne et de son développement singulier, celle de la configuration relationnelle dans laquelle l’activité se met en œuvre, celle du « projet » auquel l’activité participe.
Cela n’est pas sans lien avec les réflexions de Laurent Thévenot sur les trois « régimes d’engagement ».
Comment faire pour mieux comprendre les positions et les parcours des personnes dans cet espace temps de l’autonomie ?
Il semble qu’on ne puisse que difficilement s’émanciper d’une analyse de situations de travail dans le cadre de l’« « emploi, de l’« organisation du travail » en « entreprise ». C’est un cadre réduit mais prégnant du fait de son poids institutionnel.
Dans ce cadre, comme le souligne Thomas Coutrot, la capacité d’autonomie relève de trois dimensions (formes et niveaux).
La première dimension, « opérationnelle », correspond au rapport à l’opération (les taches, la maîtrise de l’exécution…) et au temps (le rapport à l’évènement, l’imprévu, l’atteinte de l’objectif…)
La deuxième dimension, « professionnelle » correspond à la position occupée, potentiellement ou de fait, à la prescription et la définition du système de règles dans lesquelles les situations de travail sont mises en œuvre.
La troisième dimension, « stratégique », correspond à la position occupée, potentiellement ou de fait, quant à la définition des finalités et de leurs mises en projets.
Ce qui complexifie l’analyse à mener est que toute situation de travail, même exprimée dans le cadre institué le plus accessible à l’observation, l’emploi, les collectifs de travail, les règles formelles, l’entreprise, toute situation a des déterminations qui échappent à ce cadre. Il me semble que l’on ne peut pas ne pas tenir compte, immédiatement, en situations, de l’écosystème relationnel dans lesquels les situations de travail interviennent.
Je m’interroge sur la façon de procéder à cette analyse compréhensive, surtout si on veut le faire dans le « respect » des positions occupées par l’ensemble des personnes concernées.
Je prends un exemple concret pour concrétiser mon interrogation.
Je participe à la « commission construction des activités » du Comité Local de l’Emploi dans la ville où j’habite. J’y participe en tant que « bénévole » de l’« entreprise à but d’emploi » créée du fait de l’expérimentation « Territoire Zéro Chômeur Longue Durée », tous les mots ont ici leur sens.
Dans une première « concertation » rapide avec les salariés de cette EBE, nous avons convenu que cette construction d’activités devait se concevoir dans sous trois dimensions :
– celle des capacités existantes et potentielles des salariés de l’entreprise en vue du développement et de la reconnaissance des capacités mobilisées et suscitées ;
– celle du développement et de la sécurisation durable de l’entreprise dans son écosystème relationnel et institutionnel ;
– celle du « développement territorial » et de son cadre relationnel, avec la question de la « coopération territoriale », les modes de conventionnement dans un cadre réglementaire contraint par des règles de concurrence, plus ou moins favorable à la coopération, à la réciprocité, etc.
Le suivi de cette construction collective d’activités et de ce qu’il en advient dans la mise en œuvre de nouvelles activités au sein de cette EBE et par de nouveaux « partenariats » avec des acteurs économiques du territoire, me semble représenter un cas d’enquête exploratoire intéressant. Je me propose de le porter à l’attention de notre groupe de travail.
La commission « construction des activités » du CLE de B.
Je participe pour la première fois à cette commission « construction des activités ».
Participent à cette réunion ….
A l’ordre du jour, le bilan de la seconde loi et du fonds d’expérimentation qui lui est lié. Le rapport est jugé positif par ceux qui ont réalisé ce bilan. Il pointe cependant que les « coûts » ont été plus importants que prévus….Les chargées d’animation du CLE présentent les résultats du point de vue de l’effort fait pour « améliorer la mise à l’emploi », banalisant un peu l’expérimentation TZCLD comme un dispositif de (re)mise à l’emploi comme les autres. Cela leur fait prévoir/accepter de fait que le Fonds d’expérimentation, avec ses modalités et accompagnements spécifiques, soit prochainement supprimé, à l’occasion de la 3ème loi, et que l’animation de ce deviendrait un « dispositif » ordinaire, en soit confié à France Travail, dont tous, autour de la table de réunion, s’accordent à dire qu’ils ne sauront pas faire, étant déjà débordés par leurs missions actuelles.
Puis le directeur adjoint de l’EBE, un des premiers salariés recrutés par l’EBE, ancien cadre dirigeant d’entreprise, en rupture et reconversion personnelle, présente les créations et développements d’activités en cours de mise en œuvre au sein de l’EBE.
Il faudrait reprendre les activités les unes après les autres pour voir en quoi elles correspondent à des « enrichissements » et ou développements d’activités déjà initiées au sein de l’EBE, et ce par la créativité des salariés de l’EBE, eux-mêmes, et en quoi elles correspondent à l’apport de nouvelles activités en cours de développement et provenant de plusieurs sources extérieures.
Deux moments forts lors de la réunion révèlent les potentialités et les limites de ces processus de construction d’activités portés conjointement par le CLE et par l’EBE, elle-même.
Dès le début de la présentation par le directeur adjoint de l’EBE des « développements » que connaissent certaines activités déjà mises en œuvre, mon voisin de table, salarié de l’EBE, mais qui se trouve aussi en être le représentant du personnel, prend la parole. Il le fait pour s’interroger sur l’application du Droit du Travail dont il rappelle d’une façon déterminée les origines.
Ce qui est en cause dans ses propos c’est la question de la reconnaissance des développements professionnels dont les salariés ont fait la preuve dans la mise en œuvre « enrichie » de potentialités économiques les activités déjà existantes. Il lui est « rappelé » – Il semble que cela lui aurait déjà été dit ? – que le droit du travail ne s’applique pas à ce type d’entreprise qu’est une EBE et que donc que ces développements professionnels et l’ancienneté de ces développements, ne peuvent être reconnus et, a fortiori, pris en compte.
L’EBE permet d’« accorder » un CDI payé au SMIC, ni plus ni moins.
Le salarié proteste, dénonce la façon dont cette « règle » lui est rappelé. Il referme son carnet range son stylo et ne prendra plus la parole en signe de protestation. Il lui est dit que ces développements professionnels ne peuvent être reconnus dans le cadre de l’EBE et supposent d’en sortir vers l’emploi ordinaire. Certains ajoutent « C’est toujours mieux que le RSA » (sous entendu, RSA d’où tu sors…).
Je m’autorise alors ce que je présente comme une « remarque », sous les regards inquiets de l’« animatrice » du CLE et de la représentante du Département, en charge des actions de « mise à l’emploi ». Les activités, même les plus initiales dans l’existence de l’EBE, ne peuvent être mises en œuvre par l’EBE que par la mobilisation des expériences et des compétences de personnes à qui elles ne leur ont pas été reconnues et par le développement continu de « capacités » dont dépend cette mise en œuvre.
L’enrichissement de ces activités en valeurs, sous différents registres de valeur, ne peut dans ce cadre « réglementaire » de l’EBE, n’être perçu que sous l’angle des opportunités de mise à l’emploi payé au SMIC.
De fait c’est dans ce cadre que seront abordées ensuite les perspectives de construction de nouvelles activités. A chaque fois plutôt que de les considérer comme une potentialités de développements professionnels internes des salariés de L’EBE, elles sont envisagées à l’aune de ce qu’elles permettent de nouvelles embauches de salariés qui passeront alors du « sas » – On convient alors de l’appeler « sas d’embarquement » – qu’anime le CLE et qui permet de préparer la mise à l’emploi des postulant.es à l’EBE porté.es sur une liste.
La discussion sur cette question révèle vite le dilemme de « développement » de l’EBE. Il ne peut résulter que de la croissance et de l’enrichissement des activités, mais doit n’être que la juxtaposition de nouvelles activités servant de tremplin à des développements économiques pour d’autres, ou à des développements professionnels non reconnus ou qui supposeront un départ vers d’autres formes d’entreprises.
Le dilemme se complexifie du fait du cadrage réglementaire de l’expérimentation. Celui ci impose que les activités créées ne puissent pas être « en concurrence » avec les entreprises du territoire. De fait, cet a priori de « non concurrence », peu analysé dans ses contenus concrets, ne permet pas d’envisager les partenariats symbiotiques qui pourraient correspondre à des développements économiques territoriaux.
Ceci me semble conforter cette problématisation de l’espace de développement de synergies de capacitation sous les trois dimensions :
– des « métiers », au sens des « qualifications », « capacités » des salariés, au sein de l’« entreprise » et/ou du secteur/branche dans lequel elle s’insère, en partie (problématique des synergies trans locales) ;
– des « métiers » au sens des « qualifications » de l’entreprise, porteuse principale du système de rétribution des salariés concernés, ce qui donne un sens à une dynamique de conventionnement collectif pour les salariés insérés, par l’entremise de « leur » entreprise, dans un.e secteur/branche ;
– des « métiers », au sens des synergies locales territoriales, constituant autant de capacités et coopérations territoriales.
Le positionnement et les trajectoires de capacitation dans cet espace et selon les trois axes de développement ne relèvent pas de parcours uniques et uniformes. Ils dépendent des conditions de mise en œuvre du cadre réglementaire expérimental et des évolutions données à ce cadre et de la construction dynamique des niveaux et formes d’autonomie à l’œuvre au regard des rapports sociaux qui s’établissent selon les trois axes de développement métiers.
De fait, la discussion se déplace vite vers la question de la mise à la limite de ce cadre réglementaire (non concurrence et développement professionnel réduit à la mise au travail – cdi smic- hors « droit commun » du travail) et donc la nécessité pour y échapper d’envisager une duplication dans une autre EBE, plus ou moins conjointe. Ce processus de duplication/reproduction d’EBE ayant pour mission d’initier des activités « à faible valeur ajoutée » doit être examiné au regard des répercussions que cela entraîne :
– dans la façon d’envisager les développements professionnels des salariés, par le biais de l’optimisation du marché local du travail et/ou par un « gestion » solidaire et capacitaire des parcours professionnels individuels des salariés ;
– dans la façon de « gouverner » le développement synergiques conjoint des coopérations synergique dans l’espace socio économique territorial ;
-dans la façon de donner un cadre institutionnel à ces évolutions synergiques conjointes en lien avec les solidarités trans locales instituées, conventionnements, syndications, création de structures coopératives, type SCIC, notamment.
La réunion du CLE n’est pas le lieu où une telle approche puisse être explicitée évoquée. Et donc, sans que ces perspectives soient envisagées lors de la réunion, il est alors proposé par la responsable de la CLE que des bénévoles de l’EBE, participant de la commission aillent rendre visites à d’autres EBE pour déceler des opportunités de création et développement d’activités.
Une réunion est programmé avec les trois volontaires pour mettre au point la mission et le mandat qui leur sera donné pour cela.